Au terme de la réunion du Groupe consultatif à Paris, le mois dernier, le ministre du budget s’est prêté aux questions du Service Communication et Relations extérieures de son département. Mohamed Lamine Doumbouya, très au fait du mécanisme et des enjeux, en profite pour expliquer les promesses de financement qui en avaient résulté. De même, avec une certaine conviction, il rappelle les conditions que la Guinée devrait satisfaire pour que les promesses se traduisent en des investissements concrets et qu’in fine, le mécanisme profite aux populations à la base, destinataires ultimes de toute politique publique. Mohamed Lamine Doumbouya insiste sur l’importance des réformes sans lesquelles, selon lui, rien de viable ne saurait être envisagé en matière de développement socioéconomique de la Guinée.
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Monsieur le Ministre, vous rentrez de Paris où vous avez pris part, du 16 au 17 Novembre, à la réunion du Groupe consultatif sur le Plan National de Développement Economique et Social (PNDES 2016-2020). Au-delà de la signification de sigle, c’est quoi le PNDES et à quoi sert- il réellement ?
MDB – Comme son nom l’indique, le Plan National de Développement Economique et Social (PNDES) est un outil de planification stratégique qui permet à un pays de projeter ses réalisations dans le temps. En réalité, c’est une forme de contourner les pilotages à vue qui permet à un pays de savoir quelles sont ses priorités et comment est-ce qu’il les adressera progressivement afin de les décliner comme les différents piliers du plan l’indique :
- Participer à la construction des institutions républicaines ;
- Participer à l’amélioration de la qualité du capital humain ;
- Participer à l’amélioration ou à la protection du capital naturel mais aussi permettre une transformation structurelle de notre économie.
Donc l’objectif est d’investir davantage dans notre pays mais investir dans la qualité afin que nous puissions promouvoir la croissance, laquelle croissance permet à terme de générer des ressources mais aussi générer de l’emploi pour les populations. C’est tout ceci que peut permettre un plan comme celui-ci.
Outre la création de l’emploi pour les jeunes, existe-t-il d’autres impacts positifs de ce PNDES pour la population ?
MDB – Bien sûr parce que le plan s’articule sur un certain nombre de points notamment les axes que je viens de souligner qui devraient, une fois mis en place, permettre une amélioration substantielle des conditions de vie des populations. Les routes que nous comptons faire avec le PNDES vont certainement permettre de désenclaver nos préfectures, nos zones rurales. Vous savez actuellement la capacité de production dans le secteur agricole par exemple a nettement augmenté. Le problème que nous avons aujourd’hui est que ces productions se réalisent dans les bas-fonds, dans les zones difficiles d’accès. Donc ce n’est pas motivant pour une population rurale de continuer à produire et de voir cette production pourrir.
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Le fait de désenclaver, de trouver de quoi réaliser ces pistes rurales, de tirer l’énergie vers ces zones-là, de pouvoir permettre à ces populations d’accéder à l’eau potable ou encore à un centre de santé et même ce qui est plus important, les centres d’éducation (l’école), tous ceux-ci viennent participer à l’amélioration des conditions de vie de nos populations. Pour nous, c’est un outil de développement important qui devrait nous permettre dans les cinq années à venir de savoir où est ce que nous allons ? Quels sont nos objectifs et quels sont les moyens dont nous devrions nous munir pour y arriver ?
On peut dire que la moisson a été bonne du coté de Paris puisque le gouvernement guinéen a dépassé ses attentes de financement. Faites-nous un retour chiffré sur ces intentions de financement obtenues à Paris ?
MDB – Globalement, les intentions de financement se chiffrent aux alentours de 21 milliards 800 millions de dollars, disons environ 22 milliards de dollars. Ce montant couvre les promesses du secteur public et du secteur privé.
Les intentions de financement du secteur public englobent les promesses des partenaires multilatéraux, représentant environ 7,5 milliards de dollars, ainsi que celles des partenaires bilatéraux, qui ont manifesté le désir d’accompagner le Plan National de Développement Economique et Social (PNDES) de la Guinée pour une enveloppe globale portée à 6,6 milliards de dollars. En effet, ces promesses de financements, orientés vers les projets porteurs de croissance, viennent essentiellement des pays amis de la Guinée, notamment la France, la Chine, le Royaume Uni, l’Arabie saoudite, la Belgique, le Japon et le Koweït.
S’agissant des intentions du secteur privé, le montant total des engagements se chiffre à 7,7 milliards de dollars. Il s’agit là des initiatives propres aux acteurs qui veulent venir investir en Guinée. Les sous-secteurs ciblés par ces acteurs privés sont les mines, l’énergie et les infrastructures avec une primauté pour les deux premiers sous-secteurs qui absorbent l’essentiel des intentions de financement.
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Aujourd’hui, au-delà des infrastructures que le gouvernement est en train de réaliser dans le secteur énergétique, il y a la question d’approvisionnement de nos industries au niveau local mais aussi d’exportation d’une partie de l’énergie produite dans certains pays de la sous-région. Les six frontières terrestres et la frontière maritime sont autant d’atouts pour notre pays dans un environnement concurrentiel.
Je voudrais juste préciser que dans les quelques 22 milliards de dollars d’intentions de financement obtenus, il y a une partie du financement chinois parce que j’ai vu qu’il y a assez de polémiques là-dessus. Nous avons tenu dans la comptabilisation que la partie du financement chinois de 20 milliards de dollars obtenue avec la Chine en septembre dernier soit intégrée, ce qui représente à peu près un peu plus de 6,5 milliards de dollars.
Dans la mise en œuvre du PNDES, le PRG aurait instruit aux Ministères économiques de prendre des dispositions pour l’amélioration de la capacité d’absorption du pays autrement dit, veiller à l’utilisation totale des ressources financières annoncées. A ce niveau, jusqu’où se situe le rôle du Ministère du Budget en parlant bien sûr de capacité d’absorption ?
MDB – Vous savez l’un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui c’est celui des marchés publics. Donc, si nous voulons vraiment améliorer l’absorption de ces ressources, nous devons forcement investir dans l’amélioration des conditions d’attribution des marchés et d’exécution de ces marchés et aussi le suivi. Et il ne faut pas oublier la partie annuelle de PNDES est emboitée par le budget national au titre d’une loi de finances. Par exemple, la loi de finances 2018 qui est en adoption au parlement inclut certains éléments de ce PNDES ce qui fait que nous avons l’obligation en tant que Ministère du Budget de veiller à son exécution tout en préservant l’équilibre budgétaire.
Donc, nous avons un rôle important à ce niveau de participer à la mobilisation déjà parce que ce sont des intentions de financements. Il faut capturer ces intentions pour les amener et ensuite créer des conditions pour que ces capitaux puissent rapidement s’investir et créer davantage de valeurs. L’autre chose à ne pas oublier, c’est que le PNDES est en partie financée par l’économie nationale. Là aussi, nous avons tout d’abord l’obligation de veiller sur la qualité des dépenses, c’est essentiel pour s’assurer que les ressources ne sont pas gaspillées et que les ressources utilisées puissent avoir des effets d’impact sur les conditions de vie de nos populations. Ensuite, nous avons aussi l’obligation de faire en sorte qu’il y ait plus de mobilisation, que nos régies puissent dépasser les objectifs assignés pour pouvoir mettre à disposition les ressources nécessaires.
Nous avons de façon générale besoin d’avoir de l’épargne budgétaire pour pouvoir davantage investir. Si nous voulons comme le prévoit le PNDES, atteindre un niveau de croissance à 2 chiffres, il faut absolument que nous pussions travailler sur ces deux aspects et à cela on ajoutera la création des conditions pour que les ressources qui viennent de l’extérieur puissent être très rapidement investies dans de meilleures conditions.
Et quelles sont les dispositions prises par le Ministère du Budget pour aller vers la concrétisation de ces promesses ?
MDB – Certainement, ce ne sera pas une initiative solitaire. J’attends de me mettre autour de la table avec mes collègues des Ministères économiques pour pouvoir adopter une approche synergique. Mais en attendant, en réunion de cabinet, j’ai fait un compte rendu à mes Directions et aussi attirer leur attention sur un certain nombre de faits relatifs notamment à leur engagement et à la nécessité qu’elles s’impliquent encore plus en faveur de la réussite de ce processus pour ce qui concerne la partie Budget. Mais nous aurons une commission multipartite intergouvernementale qui va se charger de mobiliser ces ressources et de voir comment faciliter leur utilisation au niveau domestique. Sur ce point certainement, des dispositions seront prises mais d’un commun accord avec les autres Ministères économiques.
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Autre chose monsieur le Ministre, c’est le financement des projets retenus dans le PNDES. Quelles sont les mesures prises pour le décaissement ? Je parle bien entendu du Fonds National et aussi des fonds de contrepartie.
MDB – Pour les fonds de contrepartie, nous veillons à ce qu’il y ait de l’allocation budgétaire pour ne pas que l’Etat faillisse à son engagement, ce qui compromettrait la mise en exécution du PNDES. Nous veillons aussi à créer toutes les conditions pour que ces fonds arrivent et puissent être déclinés sans corruption dans les règles de bonne gouvernance. Pour chaque partie annuelle, nous veillons à ce que nous aillions déclarer au parlement au titre d’une loi de finances donnée ou d’une loi de finances rectificative pour que décision soit approuvée afin qu’on puisse les décliner dans le temps.
Le plus important reste le suivi/Evaluation de ces projets. Quelle est la position du Ministère du Budget à ce niveau ?
MDB – Cette question de suivi-évaluation fait partie des recommandations du dernier forum sur les finances publiques que nous avons organisé où on parle d’investir davantage dans l’évaluation des impacts des projets. On a eu à organiser les Journées des Etablissements Publics Administratifs (EPA). Donc, une des mesures ici est de travailler sur les réformes institutionnelles. Il faut que nous puissions disposer des institutions fortes capables de gérer les ressources qui seront mises à leur disposition.
Une fois que ces ressources sont gérées, il faut s’assurer que ces institutions rendent compte c’est-à-dire qu’on mette en rapport les ressources mises à disposition et les impacts produits. C’est cela le suivi/évaluation. Donc, on n’attendra plus que les institutions finissent d’utiliser les ressources. Pour cela, on va essayer de voir comment mettre en place un système de monitoring au fur et à mesure que le projet avance et que ces structures puissent vraiment livrer comme on le dit à la bonne satisfaction des populations et des opérateurs économiques qui, aussi sont concernés par ce processus.
La rencontre de Paris a par ailleurs été marquée par votre intervention à deux niveaux notamment : la promotion de la bonne gouvernance pour un développement durable et la stratégie de financement du secteur de l’Energie. Qu’est-ce qu’on peut retenir de ces deux thématiques ?
MDB – La bonne gouvernance bien sûr c’est le pilier de tout. On ne peut pas avoir les niveaux de croissance projetés sans qu’il n’y ait une bonne gouvernance. Définitivement, c’est impossible. Donc il faut que nous travaillons pour que nos institutions se distinguent dans la production, dans la productivité, c’est absolument important. Les règles sont là, nous devons faire en sorte qu’elles soient respectées et aussi que les raisons qui doivent prévaloir pour accéder aux ressources et les conditions d’utilisation de ces ressources aussi soient respectées. Tant qu’on n’arrive pas à cela, on ne peut pas s’attendre à ce que les choses changent.
La bonne gouvernance stipule que chacun se plie derrière la loi. Parlant toujours de bonne gouvernance, il y a encore beaucoup de choses à faire. Pour y parvenir, nous devons continuer les reformes. En Guinée, tout le monde dit qu’il faut reformer mais très peu sont prêts parce que dès lors où on touche à un domaine donné, certains s’énervent ou bien la polémique s’installe. A un moment donné, il faut que les gens comprennent que les reformes ne doivent pas être du luxe, elles doivent être une habitude, une volonté collectivement exprimée. Que nous acceptions à un moment donné de quitter nos différents conforts pour nous pilier à cette exigence-là dans l’intérêt commun.
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Donc, la Guinée ne peut pas avancer aussi longtemps que nous n’aurons pas mené les reformes qu’il faut. Les réformes principalement dans les finances publiques, dans les différents secteurs qui absorbent et qui livrent les politiques sectorielles.
Au niveau de l’énergie, mon propos a été très clair. Actuellement, l’énergie fait partie des secteurs qui pèsent beaucoup sur notre budget. Cela peut se comprendre parce que la volonté du Président de la République est de doter la Guinée d’une capacité d’énergie. Dans l’énergie, on a trois éléments. D’abord la production. Nous avons une capacité de production aujourd’hui qui ne fait que s’améliorer avec Kaléta et Souapiti qui doit venir. Ensuite nous avons le transport. Partir de la zone de production jusqu’à la zone de distribution. Il y a des lignes de transmission qui sont en réfection dans ce sens et puis il y a la distribution aussi.
Aujourd’hui EDG pèse beaucoup sur le budget national. Nous l’acceptons parce que pour nous c’est un investissement mais à un moment donné, il faut qu’on ait une visibilité sur jusqu’où on peut supporter. L’Etat ne peut pas de façon illimitée subventionner un secteur qui est rentable. Donc, il faut qu’EDG prenne ses responsabilités et nous dise à tel horizon, nous allons continuer à faire baisser nos subventions. Cela nous permet de nous reprogrammer en conséquence, de savoir qu’une partie du budget qui est là va être à EDG pendant tel nombre d’années, mais qu’au-delà, on peut réaffecter à d’autres fins telles que la santé, l’éducation ou bien à l’accès à l’eau potable. C’est sur cela que j’ai insisté à Paris et je pense que mon message est bien parti dans la mesure où le secteur est en train de se prendre en charge et nous espérons que dans les mois ou les deux années à venir, EDG retrouvera son équilibre financier
Votre mot de la fin Monsieur le Ministre
MDB – Donc nous sommes aujourd’hui en train de créer des conditions pour que ces ressources arrivent. L’administration publique doit oser se remettre en cause, se départir de certains comportements : la corruption, le détournement du denier public, la mal gouvernance. Ce sont des choses que nous devons combattre. Il y a aussi l’investissement dans le capital humain à accroitre c’est-à-dire il faut que nous ayons des investissements continus dans la formation. Si nous voulons que notre économie change, il faut que l’administration publique améliore sa productivité et sa prestation. Quand l’administration est lourde tout est lourd en fait parce que tout tourne autour d’elle.
Je pense que nous pourrions gagner le pari d’obtenir ses ressources si et seulement si l’administration publique accepte de se reformer, se remettre en cause et se mettre aussi au service du secteur privé. C’est absolument important.