Enfin ! C’est ce ouf de soulagement que beaucoup de Guinéens ont intérieurement poussé, en apprenant ce matin la démission de l’équipe de Mamady Youla. Pas nécessairement parce qu’on en avait après le gouvernement sortant. Mais ‘’Enfin !’’, parce que l’attente avait trop duré. Il faut dire qu’en ce jeudi 17 mai, premier jour du mois de ramadan, cela fait exactement 70 jours depuis qu’un certain 8 mars 2018, Alpha Condé a annoncé ce fameux remaniement ministériel. Les Guinéens avaient patienté à tel point que d’aucuns n’y croyaient même plus. Du coup, même si l’exercice est périlleux, il serait intéressant de savoir ce qui a finalement poussé le président de la République à passer à l’acte. Ou tout au moins d’identifier les événements de ces derniers jours qui pourraient avoir influencé la décision d’Alpha Condé. Et c’est ce à quoi nous nous attelons dans cette analyse.
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Quid de l’effet de surprise ?
Toutefois, bien avant d’aborder la question au centre de cette réflexion, nous nous devons de relever qu’Alpha Condé prend à contrepieds tous ceux qui, nous compris, s’étaient précipités d’affirmer qu’il a perdu l’effet de surprise. Il est vrai que quand on a aussi longtemps attendu, on n’est à priori plus surpris par la survenue d’un évènement. Pourtant, de la surprise, il y en a eue avec l’annonce subite, ce matin, de la démission de l’équipe de Mamady Youla. Aussi bien au sein de l’opinion publique, mais sans doute davantage au niveau des membres du gouvernement, eux-mêmes. Tout d’abord, parce que comme on l’a dit précédemment, beaucoup n’y croyaient plus. Ensuite, parce qu’Alpha Condé a usé d’une stratégie à laquelle les Guinéens n’étaient pas nécessairement habitués avec lui : la démission collective du gouvernement. Jusqu’ici, l’unique fois où il en avait usé, c’était au lendemain de sa réélection en 2015. Autant dire que cela tombait sous le sens. Pour le reste, il procédait plus par petites touches, en remplaçant un ou quelques ministres dans un gouvernement. Mais jamais le gouvernement en entier, le premier ministre en tête. C’est cette nouveauté dans le contexte guinéen qui fait l’effet de surprise. D’autant qu’elle confère au départ du gouvernement une certaine envergure, l’illusion d’un grand changement et la perspective d’une rupture radicale. En laissant croire qu’Alpha Condé, comme se réveillant d’un cauchemar, est un homme neuf. Peut-être que c’est l’effet recherché.
Un gouvernement anti-grève ?
Pour revenir à notre question de départ, au risque de nous répéter, nous devons admettre que l’exercice est délicat et la démarche risquée. En effet, hormis éventuellement quelques privilégiés de son entourage, personne ne sait avec certitude ce qui pourrait avoir conduit le président Alpha Condé à renvoyer son gouvernement ce jeudi matin. D’autant que les raisons peuvent être d’ordre strictement personnel ou contextuel. Naturellement, nous n’essayons même pas de nous intéresser à la première catégorie. En ce qui concerne la seconde, on peut évoquer deux indices qui pourraient être reliés à la démission de Mamady Youla et Cie, ce jeudi. Le premier, c’est la menace de grève brandie par Aboubacar Soumah, le meneur de la dernière grève dans le secteur de l’éducation. A propos, un diplomate nous glissait pas plus tard qu’hier : « Alpha Condé ne peut pas espérer venir à bout d’Aboubacar Soumah avec le gouvernement actuel. Pour relever un tel défi, il lui faut mettre en place une équipe qui focalise moins le malaise et les frustrations ». C’est à croire que notre diplomate a soufflé le même conseil au président de la République. En tout cas, le timing concorde. En principe, la grève annoncée par Soumah est prévue pour le lundi 21 mai. Et aujourd’hui, le gouvernement est renvoyé. Cela lui laisse le temps au chef de l’Etat de mettre en place un nouveau gouvernement pour faire face à une crise qui commence à prendre de l’ampleur avec la défiance que le duo Sy Savané-Louis M’Bemba a affichée hier.
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Cellou Dalein, subitement conciliant
L’autre facteur susceptible d’expliquer (ou plus exactement d’éclairer) les événements de ce matin, c’est le report, hier, par Cellou Dalein Diallo, des manifestations qui étaient envisagées par l’opposition républicaine. En effet, on peut raisonnablement se demander si au nombre des motifs que les diplomates ont présentés au leader de l’UFDG pour le convaincre de sursoir aux manifs, s’il n’y avait pas la perspective de ce renvoi imminent ? Ne lui aurait-on pas assuré que des membres de gouvernement plus réceptifs à ces exigences sont sur le point d’arriver ? Ou bien lui aurait-on garanti la participation de certains de ses lieutenants dans le nouvel attelage ? Il est vrai qu’en l’absence d’un cadre juridique permettant de prendre en charge les griefs du chef de file de l’opposition, le partage du gâteau gouvernemental pourrait bien faire l’affaire. En cela, la démarche de Mouctar Diallo ne serait pas aussi isolée qu’on pourrait bien le croire. Sauf que ce serait, cette fois, bel et bien la fin de l’opposition qu’Alpha Condé s’était fixé comme défi.
Boubacar Sanso Barry