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MOHAMED KERFALLA CAMARA : « Nous assistons à une désacralisation de la profession médicale… »

Avec tous les scandales dont la presse se fait quotidiennement l’écho dans le secteur de la santé en Guinée, nul besoin d’insister sur le défi du pays en la matière. Mais qui mieux pour en parler qu’un professionnel ? C’est ainsi que nous reprenons à notre compte cette interview que Dr. Mohamed Kerfalla Camara, médecin doublé de chercheur, a accordé à nos confrères de Factu Guinée. Poussé par le désir de changer une réalité peu flatteuse, Dr. Camara, tout en demeurant dans les structures sanitaires et les labos de recherche, investit le terrain de la société civile et décide de rompre le silence. Ici, autour de son ONG, il dépeint un secteur de la santé qui, contrairement à une certaine idée très en vogue, ne semble pas avoir tiré toutes les leçons de l’épidémie à virus Ebola.

Qui est Mohamed Kerfalla CAMARA ?

Je réponds au nom de Dr. Mohamed Kerfalla CAMARA à l’état civil. Je suis Pharmacien de profession et titulaire d’un diplôme d’études approfondies (DEA). Je suis également Enseignant chercheur à la Faculté de Médecine, pharmacie et Odontostomatologie de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, et celle de la Source. Bref, je suis activiste de la Société civile guinéenne depuis 2000. Et en décembre 2017, j’ai été élu président de la COCIMOP-Santé, entendez, Coalition des Citoyens mobilisés pour la santé.

Justement, parlez-nous-en ?

La Cocimop-Santé est une plateforme du mouvement social guinéen, qui a été créée le 10 décembre 2017 et autorisée par le Ministère de l’intérieur et de la décentralisation sous le N° 0175/MATD/CAB/SERPROMA/2018 du 24 mai 2018, sur  l’initiative d’un consortium d’ONG de santé et communautaires ayant choisi de se mettre ensemble dans une dynamique citoyenne afin d’apporter des réponses et des solutions idoines aux nombreux défis sanitaires auxquels les populations guinéennes sont confrontées.

La Cocimop-Santé regroupe en son sein une cinquantaine d’ONG et des cellules universitaires qui ont été  implantées dans les universités publiques et privées et autres grandes institutions d’enseignement supérieur et professionnel à Conakry et dans l’arrière-pays.

La Cocimop-santé a pour but de contribuer à l’amélioration de l’état de santé des populations guinéennes et des étrangers vivant sur le territoire national.

Pour cela, nous envisageons de mener des actions fortes d’information, de sensibilisation et d’éducation à l’intention des citoyens d’une part, et de faire des plaidoyers à l’adresse des pouvoirs publics d’une part et des partenaires techniques et financiers d’autre part.

La Cocimop-santé, forte de ses nombreuses ONG membres, s’engage au côté des autorités publiques dans la mise en œuvre des politiques publiques de santé,  de façon efficace et efficiente dans l’intérêt des populations.

Du point de vue de sa structure et de son fonctionnement, la Cocimop-Santé comprend une Assemblée générale, un Bureau exécutif de 15 membres, 7 antennes régionales,  et 4 cellules universitaires. Elle dispose aussi de structures d’appui que sont le comité scientifique  et le  comité d’éthique et de déontologie ainsi que des groupes thématiques.

La Cocimop-santé est ouverte à toutes les ONG nationales et internationales à condition de partager sa philosophie et d’adhérer à ses statuts et règlement intérieur en vigueur.

Quels sont vos objectifs ?

La COCIMOP-Santé  a pour objectifs, entre autres:

  • D’accroître la participation des ONG en santé au développement humain, équitable et durable en Guinée. Pour cela, la COCIMOP-Santé vise notamment à promouvoir de nouveaux partenariats entre ses membres d’abord, puis, avec l’Etat et les autres acteurs du développement,  en Guinée et à l’international;
  • De renforcer le rôle  du mouvement social dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques de développement humain, social et économique, avec une attention particulière accordée aux initiatives et aux besoins des couches les plus vulnérables de la population notamment les enfants, les femmes, les adolescents, les personnes handicapées et les associations des malades souffrant des maladies chroniques, endémiques et à potentiel épidémique  tels que l’hypertension, le diabète, le cancer, le sida;
  • D’améliorer  l’état de santé de la population guinéenne à travers son implication effective dans la mise en œuvre des politiques publiques de Santé, telle que définies par le gouvernement et qui prennent compte les besoins réels des populations  à la base;
  • De contribuer à un meilleur accès des citoyens aux services de santé de qualité, et à coût abordable.
  • De mener des actions et des stratégies pour améliorer la gouvernance du secteur de la santé, 

Quelles sont les raisons qui ont motivé la création de la Cocimop-Santé étant donné qu’il y a d’autres ONG sur le terrain?

Tout est parti d’un constat selon lequel nos populations, en dépit des efforts considérables déployés par l’Etat à travers des engagements financiers importants issus du budget national de développements (BND) que le gouvernement alloue au secteur de la santé et les financements massifs et prioritaires des partenaires techniques et financiers font face à une détérioration continue de leur état de santé.  L’accès aux soins de santé de qualité n’est pas au rendez-vous, la disponibilité des médicaments dans les structures est quasi nulle, la prévention des maladies endémiques et à potentiel épidémique balbutie et les prestations des services de santé sont inadéquats. Pire, la gouvernance globale du secteur laisse à désirer et ne correspond à aucune orthodoxie encore moins à un référentiel connu. Nous sommes dans un pilotage à vue, un éternel tâtonnement. Pendant ce temps, des milliers de Guinéens meurent de maladies jugées peu graves et dont la prise en charge sous d’autres cieux  est plutôt simple et à un coût quasi-nul.

C’est donc dans un tableau on ne peut plus sombre, que les ONG de santé que nous sommes, et dont la plupart exercent depuis plus d’une décennie, avons décidé  de mettre nos expériences et nos compétences ensemble dans une synergie d’actions fortes, afin d’améliorer cette triste réalité et impacter ainsi positivement notre système de santé considéré comme l’un des moins performants de la sous-région ouest africaine.  Notre stratégie va s’inscrire dans une démarche de redevabilité vis-à-vis des citoyens et visera des objectifs précis et mesurables  dans ce domaine à court, moyen et à long terme. D’où l’idée de création d’une plateforme qui va porter des actions phares tout en gardant son rôle  traditionnel à savoir,  encadrer les ONG membres à la base, et faire le plaidoyer auprès des autorités publiques et des partenaires techniques et financiers.

Nous descendons dans l’arène citoyenne, pour non seulement  capitaliser les acquis  mais aussi et surtout opérer des actions citoyennes qui vont aller dans le sens du renouveau et de la créativité au sein des ONG afin qu’elles puissent effectivement défendre l’intérêt général de la population dans le domaine de la santé.

Vous ne trouvez pas que les agents de santé en général et les médecins et pharmaciens en particulier sont les vrais problèmes dans le tableau noir que vous venez de décrire ?

A priori, je vous le concède. Mais, voyez-vous, pour une meilleure appréciation de ce  genre de jugement de certains de nos compatriotes, il y a lieu de s’introduire et de s’investir dans le milieu medico-pharmaceutique à l’effet de mener des enquêtes indépendantes d’ordre social et professionnel afin de situer les responsabilités des uns et des autres. Cela dit, je comprends parfaitement le fond de votre idée et partage son sens. En effet, je sais qu’il y a des professionnels indélicats, qui hélas,  foulent au sol les règles d’éthique et de déontologie  qui régissent et encadrent l’exercice des métiers de  la santé publique. De ce fait, ils sacrifient le caractère noble et sacerdotal de cette belle et magnifique profession de la santé pour laquelle nos ainés et Maitres ont sacrifié leur vie avant de nous passer le témoin. Mais, tous ces manquements doivent être recensés, dénoncés et portés à la place publique  s’il le faut. Mais, ils doivent  surtout faire l’objet de plaintes portées contre les coupables aussi bien au niveau des Ordres professionnels de la santé notamment l’ordre des Médecins, celui des Pharmaciens et celui des Chirurgiens-dentistes, pour des mesures disciplinaires en ce qui concerne la commission des fautes professionnelles. Mais les contentieux qui relèvent du droit pénal doivent être portés  et cités devant les parquets  afin que des sanctions appropriées soient prises contre les fauteurs et que les mesures de réparations soit prises en faveur des ayants droit.

De cette même façon, nous devons œuvrer pour que nos concitoyens puissent s’acquitter honorablement de leur devoir citoyen, chacun en ce qui le concerne et là où il se trouve. Car, il faut le dire, nous sommes en train d’assister ces derniers temps à une désacralisation de la profession médicale dans notre pays. Cela  n’est pas acceptable. Car le médecin, est quand même ce professionnel de la santé qui a choisi de se sacrifier pour sauver des vies humaines. De ce point de vue, il mérite notre respect, notre considération et même notre admiration. Quand je parle de médecin avec M, je parle de tous les professionnels de la santé. Qu’il soit pharmacien qui dispense le médicament dans son Officine, ou le chirurgien-dentiste qui soigne les malades dans son cabinet ou encore  le biologiste médical qui fait des analyses biomédicales, etc… Tous ces gens-là sont au service des populations et n’ont pour préoccupation que de soulager et traiter les malades.

Parlez-nous de quelques projets réalisés par votre plateforme ?

Quoique de naissance très récente, la Cocimop-Santé a réussi à mettre en place des cellules universitaires dans les universités publiques et privées, et a rencontré plusieurs autorités sanitaires et des partenaires techniques et financiers  tout en sollicitant des partenariats avec eux.

Dans le cadre de l’exécution de son plan d’action opérationnel notamment en son volet renforcement des capacités de ses membres, la Cocimop-Santé a organisé les 8 et 9 juin 2018, un atelier de formation portant sur les techniques de rédaction administrative et professionnelle. Cette formation est le début d’une série de formations destinées  aux ONG membres et cellules universitaires afin de leur permettre d’être mieux outillées en techniques de rédaction notamment comment rédiger un CV ? Comment faire une demande d’emploi ? Comment rédiger une lettre de motivation ? Comment préparer un entretien d’embauche, comment rédiger un rapport d’activités, comment s’approprier des techniques de montage de projet ?  Comment définir les termes de référence d’un projet ? Etc….

Ce sont autant de sujets qui seront abordés au cours des sessions de formations bien soutenues et qui sont animées par un pool de formateurs expérimentés, disponibles et déterminés à impulser une dynamique à nos ONG à la base et à leur permettre ainsi d’avoir chacune un parcourt impactant. Notre objectif est aussi d’amener chaque membre de la Cocimop-Santé à être créatif et innovent pour son propre rayonnement d’abord et celui de la plateforme ensuite.

A ce jour le Bureau exécutif et sur fonds propres a présenté deux projets à l’Assemblée générale pour leur mise en œuvre dans les prochains mois. Ces projets portent sur la sensibilisation de la population sur l’importance du lavage des mains et l’importance de protéger les aliments à consommation directe tels que les brochettes de viande, le pain, des galettes, etc…. Et,  on attend bien sûr l’accompagnement des partenaires techniques et financiers pour sortir nos gros projets des tiroirs de la Cocimop-Santé pour le plus grand bien de la santé publique dans notre pays.

Qu’est-ce qui pourrait être la particularité de la Cocimop-santé ?

Au plan juridique, rien ne nous différencie des autres plateformes du mouvement citoyen guinéen, Car nous avons bénéficié de la même reconnaissance administrative et juridique et avons les mêmes rôles  à jouer à savoir, le rôle de veille, d’alerte et de proposition. Cependant, la Cocimop-Santé a choisi de se spécialiser dans des questions de santé prioritairement. Elle se veut être la locomotive du mouvement social sur le registre de la santé en Guinée d’ici peu. Elle vise à moyen terme à fédérer toutes les ONG de santé dans une même dynamique, du moins pour ce qui en restera encore dehors. Nous engageons un grand mouvement inclusif et participatif pour la crédibilité du mouvement social mais aussi pour sa légitimité quelque peu écorchée de nos jours.

Quel regard portez-vous sur les autres plateformes de la Société civile guinéenne ?

Je considère que le mouvement social guinéen est en train de faire son chemin dans notre pays. Car, souvenez- vous qu’il y a quelques années, il n’y avait que quelques personnalités religieuses  comme Monseigneur Robert Sarah, certains imams courageux et quelques syndicats qui jouaient le rôle qui était celui de  la société civile, avant l’avènement du Conseil National des Organisations de la société civile guinéenne.  Mais depuis la moitié des années 2000, nous assistons de plus en plus à un engagement accru des citoyens ayant compris la nécessité de l’existence d’une troisième force républicaine dans notre pays. Dans cette optique, depuis l’an 2010, nous assistons à une pluralité des plateformes et réseaux des ONG et autres regroupements citoyens à l’effet  de consolider et d’enrichir les acquis du mouvement citoyen guinéen. Je voudrais saluer et encourager cet état de fait. Je suis témoin  et parfois acteur  d’évènements majeurs, dignes d’intérêt, qui ont marqué qualitativement et de manière indélébile, l’histoire politique et sociale  récente de notre pays. A cet égard, je trouve qu’il y a des acquis à capitaliser et des efforts à consentir afin que la société civile guinéenne puisse assumer les responsabilités qui sont les siennes pour le plus grand bien de notre nation,  à travers la consolidation du processus démocratique amorcé depuis quelques années.

Aussi, voudrais-je saluer la tendance amorcée par des plateformes et réseaux du mouvement social, en ce qui concerne leur  spécialisation dans les domaines divers de la vie de notre société. Car, aujourd’hui, on rencontre des plateformes qui s’intéressent prioritairement aux questions liées aux droits humains, d’autres aux questions électorales et d’autres encore aux questions budgétaires et fiscales, et bien sûr, la Cocimop-Santé, la nôtre, est compétente essentiellement dans les questions sanitaires et communautaires.

Votre dernier mot ?

Mon dernier mot s’adresse en tout premier lieu aux ONG membres de la Cocimop-Santé, je voudrais leur dire que je mesure à sa juste valeur la  grande confiance qu’il ont bien voulu placer en moi et à l’équipe que j’ai l’honneur d’animer dorénavant en vue de bâtir une plateforme digne de nom et dont les projets et programmes doivent impérativement toucher les populations guinéennes à travers leur accès aux soins de santé de qualité  et à une vie descente pour tous. A cet égard, je voudrais compter sur leur soutien, leur implication et leurs critiques et suggestions à l’effet d’impulser une dynamique réelle dans le domaine de la santé dans notre beau pays.

Mon espoir est que les autorités politiques et administratives vont nous accompagner dans cette belle aventure qui, à priori, vient les renforcer dans leur mission régalienne, qui consiste à offrir les  services  publics de qualité en matière de santé à toute la population guinéenne et aux résidents.

Je voudrais aussi m’adresser aux professionnels de la santé avec lesquels je souhaite collaborer étroitement tout au long de mon mandat en vue d’imprimer une efficacité réelle à notre action.

Que les partenaires techniques et financiers soient rassurés de notre détermination à contribuer à l’amélioration de l’état de santé de nos populations. Pour cela, nous sollicitons d’eux des partenariats. Des courriers leur ont déjà été adressés dans ce sens et nous attendons leurs réactions.

Enfin je voudrais inviter la population et tous nos concitoyens à se joindre à nous dans ce combat légitime, qui vise à garantir la santé publique dans notre pays.

Source : Factu Guinée

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