En ce début d’année, la Libye s’impose au-devant de l’actualité du continent africain. En raison bien sûr du déploiement sur place de troupes turques. Intervenant dans un contexte d’une relative remise en cause des rapports entre l’Afrique et ses partenaires notamment occidentaux, l’annonce unilatérale du président turc n’est pas sans rappeler l’intervention, en 2011, dans le même pays, d’une coalition internationale qui s’était soldée par l’élimination physique de Mouammar Kadhafi. Une intervention que désapprouvaient bon nombre de dirigeants africains, mais que très peu avaient eu le courage de dénoncer ouvertement. Et c’est un peu ce à quoi on assiste également depuis que Recep Tayyip Erdogan a annoncé son intention d’envoyer des troupes pour épauler le GNA, face à l’avancée des troupes de Khalifa Haftar.
Le silence coupable
Récemment encore, chez nos confrères de RFI, Mahamadou Issoufou et Idriss Déby Itno répétaient à l’envi que le péril terroriste auquel le Sahel fait face depuis plus de 7 ans a pour origine l’intervention de la communauté internationale en Libye. Une thèse qui reste largement partagée par l’opinion publique africaine. En effet, pour beaucoup, avec l’assassinat de Mouammar Kadhafi, c’est un verrou sécuritaire stratégique que Sarkozy et ses copains de la coalition internationale avaient fait sauter ; et que par la même occasion, ils créaient le chaos dont les criminels ont profité pour se ruer ensuite sur la région sahélienne. Mais ce qu’on ne dit pas souvent, c’est le fait que l’Afrique, en tant qu’entité politique unie, avait laissé faire. Çà et là, quelques voix s’étaient certes élevées pour dénoncer l’invasion de la Libye. Mais aucune institution d’envergure n’avait osé lever le petit doigt. Pis, le président Abdoulaye Wade s’était rangé du côté de la coalition pour intimer à Kadhafi de quitter le pouvoir. Tout cela pour dire qu’il n’y a pas que Sarkozy et consorts qui sont responsables de ce dont on déplore tant les conséquences tragiques aujourd’hui. Le silence coupable des Africains a également pesé dans la balance.
Malheureusement, il n’est pas certain que le continent africain ait retenu la leçon. Autrement, on nous servirait des réactions plus viriles vis-à-vis la décision unilatérale d’Erdogan. Du jour au lendemain, le président turc, parce que ça le chante, décide qu’il devait intervenir en Libye. Dans la foulée, avec l’aval de son parlement, il annonce même que le déploiement de ses troupes a commencé. Mais en Afrique, aucune réaction. Si ce ne sont les quelques mesures isolées que l’Algérie et l’Egypte annoncent séparément. Des mesures dictées par le fait que ces deux pays, partagent la frontière avec la Libye. Autrement, ils sont directement concernés par la décision du président turc. Pour le reste, rien ou presque. Le président de la Commission de l’UA, quant à lui, s’est fendu d’un communiqué dont le contenu ne peut absolument dissuader l’intervention turque.
Pourtant, les risques qui se rattachent à cette intervention sont aussi grands que ceux d’il y a neuf ans. Contrairement à ce que tente de vendre Recep Tayyip Erdogan, l’arrivée de ses troupes à Tripoli ne permettra nullement de calmer la situation. Tout au contraire, elle attisera les braises et conférera à un conflit qui demeurait jusqu’ici essentiellement interne à la Libye, des dimensions internationales. Outre Ankara qui vient donc de rendre publique son implication dans la crise, il y a que la Russie, la France, l’Egypte, le Qatar et les Emirats Arabes y étaient déjà. A la différence qu’eux agissaient, masqués. En d’autres termes, au figuré comme au propre, la Libye va devenir la nouvelle Syrie. Avec plus d’exactions et de destructions. Et bien entendu, les terroristes de tous poils vont en profiter pour encore frapper et étendre leur zone d’influence plus au sud du continent africain.
Le bouc-émissaire
Avec de si sombres perspectives, on ne saurait comprendre que l’Union africaine ne se soit pas réunie pour statuer sur cette décision. Plus encore, comment expliquer qu’avec de tels risques, les dirigeants des pays du Sahel en soient à émettre des alertes par médias interposés ? Une nouvelle fois, ils attendront que le mal soit fait, pour venir pleurnicher et indexer un hypothétique responsable. Parce que malheureusement, c’est cela aussi l’Afrique. Après 60 années de souveraineté, les gars n’assument rien. Le mal, c’est toujours l’autre, le bouc-émissaire ! Hélas
Boubacar Sanso BARRY