Quel drôle d’accueil que celui que Khalifa Haftar, le général trublion de l’est-libyen, réserve aux troupes d’Erdogan ? En tout cas, s’il comptait sur son annonce de parachuter sa soldatesque en Libye pour intimider l’opposant à son ami Fayez Al-Sarraj, c’est plutôt raté pour le président turc. Pour lui donner une idée précise de ce qui l’attend, voilà en effet que les troupes du général ne trouvent pas mieux que de s’emparer de la ville stratégique de Syrte. Pour le camp soutenu par la communauté internationale et son tout nouvel allié, le camouflet est tel que la ville de Syrte, située à moins de 500 km à l’est de Tripoli, est tombée sans une véritable résistance. Pour réaliser un tel coup, Haftar a dû pour sa part, compter sur le soutien d’alliés qui, eux, sont plus discrets, mais décidément tout aussi efficaces.
Le destin de la Libye menacé
Pour Erdogan et son ami Fayez Al-Sarraj, ce n’est pas encore la défaite. Mais Syrte n’est pas une moindre prise pour les troupes de Haftar. Pour ceux qui en doutaient, elle en dit long sur la détermination du général dissident, mais aussi sur sa capacité de nuisance. En tout cas, elle est le symbole d’une bataille qui ne s’annonce guère facile pour Tripoli. Au contraire, la facilité avec laquelle les forces loyales ont rendu les armes à Syrte doit être une source d’inquiétude pour le GNA et ses appuis. Mais en réalité, ce n’est pas tant le sort des troupes de Recep Tayyip Erdogan qui préoccupe. Avec les perspectives qui se dessinent, c’est le destin de la Libye qui est menacé. Il y a moins de dix ans, le pays, quoi qu’administré de main de fer par Mouammar Kadhafi, incarnait une certaine Afrique. Celle d’un continent en quête de sa souveraineté et de son unité et pleinement conscient des enjeux du futur. La Libye d’il y a dix ans, c’était également un espoir, celui d’une Afrique débarrassée de bien de ses tares liées au sous-développement qui lui colle à la peau.
Mais en ce début 2020, ce même pays est à la croisée des chemins. A l’instar d’un bateau ivre en pleine tempête, la Libye est aujourd’hui menacée jusqu’à son existence même. Jadis fier de son sens de souveraineté, il symbolise aujourd’hui la réoccupation de l’Afrique. Suscitant toutes sortes de convoitises, il attire les nouveaux colons tout à la fois friands de chaos et de pétrodollars. S’y affrontent non pas seulement, les troupes d’Erdogan et celles du général Khalifa Haftar, mais aussi, le Qatar d’une part, et de l’autre, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et même la lointaine Russie. La France aussi, dit-on. D’ailleurs, c’est de ces acteurs majeurs que le général Haftar tient son audace et son outrecuidance. Sauf que les alliances nouées par les uns et les autres ne sont nullement à l’avantage de la Libye et des Libyens.
Des périls sécuritaires aggravés
En effet, par le biais du jeu des interférences, on est parti pour un conflit s’inscrivant sur la durée, avec des risques d’enlisement. La force étant de tous les camps, les protagonistes vont longtemps se neutraliser. Période durant laquelle chaque camp s’évertuera à exploiter les ressources de sa zone d’influence. Bien sûr, au passage, les alliés en profiteront pour se rétribuer eux-mêmes, en puisant directement à la source. Pendant ce temps, les Libyens continueront à s’enfoncer dans la misère, et la Libye dans le chaos et l’anarchie. Petit à petit, le pays se balkanisera, avec des sphères d’influence aussi nombreuses que seront les occupants. A côté, prospéreront la petite et la grande criminalités. Fléaux qui viendront ensuite renforcer et aggraver les périls sécuritaires auxquels le Sahel et le reste du continent restent confrontés depuis quelques années.
Boubacar Sanso BARRY