Consécutif au télescopage meurtrier de deux hélicoptères ayant entrainé la mort de 13 soldats français le 25 novembre dernier au nord du Mali et au sentiment anti-français auquel le maigre résultat de l’intervention française dans le Sahel donne lieu, le sommet de Pau de ce 13 janvier est annoncé comme un moment de vérité entre Emmanuel Macron et les cinq dirigeants des pays du G5 Sahel. Bien que n’ayant pas apprécié le ton condescendant et quelque peu rabaissant que le numéro 1 français a utilisé pour les convoquer au conclave express, IBK et ses homologues sont cependant au rendez-vous. Les Nations unies et l’Union africaine via leurs patrons respectifs, seront également de la rencontre. Quoi qu’au-delà des discours, on se demande bien si ce sommet n’est pas une rencontre de plus. Car les problèmes qu’Emmanuel Macron risque de reprocher à ses homologues africains sont de l’ordre du structurel et non du conjoncturel. Comme pour dire que ce n’est pas en sermonnant ses interlocuteurs du jour qu’il peut espérer se tirer du bourbier sahélien.
« Quand vous lave le dos… »
Après avoir échoué à mobiliser le monde entier au chevet du Sahel, Emmanuel Macron dont les troupes semblent pris au piège principalement au Mali, au Niger et au Burkina Faso, se tourne vers les dirigeants du G5 Sahel. Le président français entend particulièrement mettre à profit le sommet de Pau de ce lundi pour inviter Idriss Deby Itno et ses homologues à assumer pleinement leurs responsabilités. A défaut d’autres partenaires pour se joindre à la bataille, Emmanuel Macron souhaite un engagement et une implication plus manifestes de la part des pays concernés. « Pendant que l’on vous lave le dos, faites l’effort de vous laver le ventre », tel est en substance ce que Emmanuel Macron devrait assener à ses homologues du continent africain. Et bien sûr, contrairement à ce qu’on entend ça et là depuis la sortie courroucée d’Emmanuel Macron, ceux auxquels ce rappel sera adressé devraient juste se contenter d’acquiescer sans broncher. Tous ont conscience qu’il n’est pas dans leur intérêt d’irriter davantage le seul dirigeant occidental qui accepte de leur venir au secours.
Ceci étant, sur le terrain, il est très peu probable que les résolutions du sommet servent à améliorer la situation sécuritaire. Parce qu’en réalité, ledit sommet repose sur un diagnostic quelque peu erroné. Certes, le président français n’a pas tort de renvoyer les dirigeants du G5 Sahel à leurs responsabilités. Mais il ne s’agit pas en tant que telle de volonté ou non. Il ne s’agit pas d’implication d’untel, par rapport à untel autre. Les problèmes qui se rattachent aux dirigeants africains par rapport à la sécurité de leurs pays respectifs sont plus profonds. Mais tous découlent d’une conception historique originelle que ces dirigeants ont de leur rôle dans la mise en place de cette sécurité. Bien qu’à la tête de pays dits indépendants depuis 60 ans, ils continuent à se convaincre que c’est à l’ancien colon et plus généralement aux partenaires extérieurs qu’il revient de sécuriser leurs pays. Autant ils se veulent adultes quand ils sont en brouille avec ces mêmes partenaires, autant ils en deviennent des enfants soumis et obéissants quand ils ont besoin de ceux-ci. Il découle de cette conception conférant aux autres la mission de sécurisation du continent, qu’au niveau de l’Union africaine, la question sécuritaire n’est pas une priorité. D’un sommet de l’instance panafricaine à un autre, on débat des crises épisodiques. Mais jamais, on ne se penche sur le défi sécuritaire comme une problématique permanente et suivant une perspective de long terme.
Corruption éhontée
Au niveau des différents pays, les armées et les forces de sécurité ne sont conséquemment pas préparées à faire face au péril terroriste. Généralement caractérisée par une corruption éhontée, la gestion des ressources allouées à ces institutions stratégiques, ne permet ni l’équipement des troupes, ni le renforcement de leurs capacités opérationnelles. Dans la majeure partie des pays, militaires, gendarmes et policiers sont juste bons à réprimer les opposants et à mener la vie dure aux empêcheurs de tourner en rond. Les dirigeants se préoccupant davantage de la défense de leur fauteuil, ils s’en tiennent très souvent aux accords de coopération militaire conclus avec les puissances extérieures. A leur décharge, il convient d’admettre que beaucoup d’entre eux doivent davantage leur longévité à leurs postes à ces accords de coopération militaire qu’à l’adhésion populaire à leurs programmes de société.
Et notre scepticisme quant à l’impact probable du sommet de Pau sur la crise sécuritaire au Sahel vient du fait que les réalités qui caractérisent d’une part la gouvernance de bon nombre de pays africains, et de l’autre, les rapports entre la France et certaines de ses anciennes colonies ne sont pas prêtes de changer. En réalité, de part et d’autre de la méditerranée et au-delà des propos convenus devant micros et caméras, beaucoup ne peuvent pas faire ce qu’il faut pour que la situation évolue. Dès lors, on comprend bien que sous la pression d’un agacement de plus en plus manifeste, Macron veuille hausser le ton et chercher à trouver un bouc-émissaire. Bouc-émissaire que les dirigeants du Sahel sont prêts à incarner volontiers, pour les besoins de la circonstance. Mais les uns et les autres ont conscience que la réalité au Sahel est moins dépendante de ces crises d’humeur.
Boubacar Sanso BARRY