Cette fois, c’est Bah Oury, l’ancien ministre de la Réconciliation et actuel leader de l’UDD qui prend la plume. Et il s’adresse à l’occasion aussi bien au président Alpha Condé, qu’à la Guinée et même à la communauté internationale. Le sujet de sa réflexion ? Le projet de nouvelle constitution. Celui-ci, à en croire Bah Oury, est porteur de dangers et de risques insoupçonnés pour le pays et pour l’ensemble de la sous-région ouest-africaine. Et pour ceux qui en douteraient, il nous rappelle à tous ce qui avait résulté du référendum de 2001. Comme c’est aujourd’hui le cas, Lansana Conté lui aussi, s’était entêté. Il avait, contre vents et marées, organisé son référendum et fait sauter à l’occasion le verrou limitant le nombre de mandats. Et les conséquences qui en avaient résulté ont été telles qu’elles avaient culminé avec les protestations massives de janvier-février 2007. La transition militaire et le tragique 28 septembre 2009 en sont également, selon Bah Oury, une des conséquences. En gros, le leader de l’UDD invite à ne pas croiser les bras face à ce qui se joue aujourd’hui en Guinée. Autrement, le pays et la sous-région risquent de s’en mordre les doigts. L’attitude de déni ou la passivité avec lesquelles la crise actuelle en Guinée est appréhendée, Bah Oury les compare à la négligence dont l’Etat guinéen avait fait montre vis-à-vis des premières alertes évoquant l’épidémie d’Ebola en Guinée. En banalisant ces premières alertes, Bah Oury en arrive à la conclusion que l’Etat guinéen avait exposé l’ensemble du pays et de ses habitants, mais aussi d’autres pays de la région dont le Libéria et la Sierra Léone. Eh bien, c’est la même chose qui risque de découler de l’indifférence et de la banalisation qu’on semble adopter aujourd’hui vis-à-vis de la crise née de la volonté du président Alpha Condé de doter le pays d’une nouvelle constitution. C’est en tout cas la prévision de Bah Oury, comme on peut le constater à travers la tribune ci-dessous. Ceci étant, le leader politique avertit : rien n’est encore tard !
L’avenir de la Guinée oscille une nouvelle fois entre les chemins escarpés de l’instabilité et le maintien d’un immobilisme chronique. Depuis le début de ce siècle, il y a vingt ans maintenant, la dévolution du pouvoir est apparue comme le principal facteur des crises récurrentes qui affectent l’évolution de ce pays d’Afrique de l’Ouest. Le régime PUP (Parti de l’Unité et de la Progrès), à l’approche de la fin du second mandat du Général Lansana Conté, imposa en novembre 2001 un référendum pour un changement constitutionnel afin de pouvoir briguer un troisième mandat à partir de 2003. L’écrasante majorité de la population boycotta cette consultation, mais cela n’empêcha nullement les thuriféraires du koudeïsme « une présidence à vie » de décréter la victoire du oui avec des scores de type soviétique. L’engagement formel du CMRN (comité militaire de redressement national) du Général Lansana Conté de limiter le nombre de mandats à deux non renouvelables était ainsi jeté aux orties, en dépit de son inscription dans la constitution adoptée par référendum en 1990.
Les conséquences de cette volte-face furent désastreuses pour la Guinée. Les législatives de 2002 furent boycottées par les partis de l’opposition à l’exception de l’UPR de M. Siradiou Diallo et de l’UPG de M. Jean Marie Doré. Cet épisode politique engendra une recomposition politique avec l’exclusion de M. BA Mamadou, Président d’honneur de l’UPR de ce parti et par la suite de sa cooptation comme président de l’UFDG. Le RPG de M. Alpha Condé incarnait à ce moment la ligne dure de l’opposition. D’autant plus que son leader était en prison et condamné pour atteinte à la sécurité nationale et pour rébellion.
Le Général Lansana Conté, malade et fatigué, devenait ainsi le jouet entre les mains de différents clans qui se disputaient les privilèges autour de lui. La mauvaise gouvernance consécutive à ce cap politique plongea la Guinée dans des errements politiques et économiques qui lui firent perdre ses relations avec ses principaux partenaires techniques et financiers comme l’Union européenne et le Fonds monétaire International (FMI). L’atteinte du point d’achèvement de l’initiative de la réduction de la dette en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE) connut alors des retards considérables. L’inflation s’installa durablement et déstructura une économie nationale embryonnaire. La crise politique fut ainsi amplifiée par la crise sociale. Cette atmosphère délétère permit l’émergence des forces politiques et celles de la société civile comme acteurs majeurs des bouleversements sociaux dès juin 2006. Des grèves générales de plusieurs semaines mobilisèrent la grande majorité de la population guinéenne portée par un vaste élan d’unité et de volonté de changement. Pour endiguer ce flot irrésistible en faveur d’un autre type de gouvernance pour le pays, le massacre du 22 janvier 2007 fut ordonné pour sauver le régime. Il a fallu l’implication de la CEDEAO pour parvenir à rétablir le calme par la mise en place d’un gouvernement consensuel avec d’abord M. Lansana Kouyaté (février 2007- mai 2008) et ensuite M. Ahmed Tidiane Souaré comme chefs du gouvernement.
Ce consensus relatif permit une accalmie jusqu’à la mort du Général Lansana Conté le 22 décembre 2008. Le CNDD du capitaine Dadis Camara incarna dans un premier temps la rupture avec l’ordre établi. La fougue réformiste du capitaine ne résista pas durablement aux insatiables appétits pour le pouvoir et les privilèges auxquels il confère. Les bonnes intentions se muèrent rapidement en un ardent désir de rester, en dépit du nécessaire retour à l’ordre constitutionnel exigé par les forces vives du pays. Cette obstination du capitaine fit naitre une crise de confiance entre le CNDD et les Forces vives.
La violente répression de la manifestation du 28 septembre 2009 fut qualifiée par les Nations Unies de « crimes contre l’humanité ». Blessé lors d’une mutinerie d’une partie de sa garde rapprochée, le capitaine est éloigné du pouvoir. Le CNDD version-Général Konaté accepta de cohabiter avec le PM Jean Marie Doré issu des Forces vives. Ils mirent en place un gouvernement d’union nationale et un organe législatif (Conseil national de la transition) pour organiser le retour à l’ordre constitutionnel. Une constitution fut rédigée et adoptée dans la foulée par le CNT qui s’est de facto érigé en Assemblée constituante. Instruits par les errements et les reniements du passé, les législateurs travaillèrent à consolider les bases juridiques de la dévolution du pouvoir pour permettre des alternances démocratiques régulières et apaisées. Une disposition constitutionnelle conféra au socle républicain de l’Etat et à la durée du mandat de 5 ans une seule fois renouvelable (une même personne ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ou pas) un caractère d’intangibilité pour asseoir durablement la stabilité politique et institutionnelle de la Guinée. C’est le nœud du conflit politique qui oppose actuellement le Président Alpha Condé aux tenants du maintien de la constitution regroupés au sein du FNDC. En effet, de simples amendements constitutionnels ne pouvaient pas autoriser M. Alpha Condé à briguer un nouveau mandat aux présidentielles.
Dès lors, il faut procéder par un « coup d’Etat » en mettant en place une nouvelle constitution pour ramener les pendules à zéro, en ce qui concerne les mandats et empêcher ainsi l’alternance démocratique apaisée et régulière que la Guinée attend depuis l’indépendance. L’Union africaine est alors en droit de sanctionner cette initiative des autorités guinéennes au regard de la charte de l’organisation panafricaine relative à la gouvernance, aux élections et à la démocratie.
Les conséquences probables d’une nouvelle constitution
Les mêmes causes produisent le même effet, dit-on le plus souvent. La Guinée a connu la douloureuse expérience du « koudeïsme » et cela l’amena à vivre une décennie de tourmentes, de reculs dans maints domaines économiques et sociaux et de tragédies dont les blessures ne sont pas encore cicatrisées.
Ainsi, le projet constitutionnel du Président Alpha Condé aura sans doute les mêmes conséquences sur la gouvernance globale de la Guinée, à savoir accroissement de la misère, renforcement des inégalités sociales, isolement du pays sur la scène internationale, rupture de la coopération financière avec les partenaires stratégiques de développement dont l’Union européenne, et instabilité institutionnelle avec des violences dévastatrices.
En sus de cela, le contexte qui prévaut dans la région actuellement est différent de celui des années 2000. Il est évident que l’effritement de la cohésion nationale sera un prétexte pour des forces qui essaiment déjà dans le Sahel de tenter d’asseoir une présence dans notre pays richement doté de ressources minières dont l’or, le diamant et autres métaux précieux. Le risque de voir la propagation en Guinée de conflits générés par ces groupes « djihadistes » sera ainsi facilité. Dès lors, l’instabilité affectera tous les autres pays de la sous-région du Sénégal à la Côte d’Ivoire en passant par la Guinée-Bissau, la Sierra Léone et le Libéria. L’éclatement du verrou de stabilité que constitue la Guinée plongera l’Afrique de l’ouest dans la destruction avec des conflits endémiques de grande envergure.
Le corollaire de la généralisation de la déstabilisation de la région, jettera plusieurs centaines de milliers de personnes sur les chemins de l’exil et de la migration notamment vers l’Europe. Déjà malgré la relative stabilité de la Guinée ces dernières années, ses ressortissants figurent en tête du palmarès des demandeurs d’asile en France et en Belgique. Des mineurs et aussi des femmes y figurent en bonne place. Cette crise migratoire prévisible engendra fatalement une retentissante catastrophe humanitaire.
D’ores et déjà, le changement anticonstitutionnel en cours a accru la perte de crédibilité de l’Etat guinéen. Dans ce contexte ubuesque, aucun investisseur d’envergure ne pourra tenter de s’installer dans notre pays. En effet, l’expérience aura montré que « les conventions mêmes ratifiées, n’ont qu’une valeur relative selon l’humeur des dirigeants en situation de responsabilité ». Bien entendu les « vautours » en bonne intelligence avec des oligarchies mafieuses qui se créent autour des allées du pouvoir y verront une opportunité pour s’accaparer des ressources nationales afin de les exploiter pour leurs propres intérêts. Dans un tel environnement empreint de pauvreté, d’injustice et d’inégalité, la tentation de constituer des milices armées pour se prémunir sera la plus forte.
C’est ainsi que la RDC depuis plusieurs décennies est plongée dans l’instabilité. Il en est de même pour la RCA, comme ce fut le cas au Libéria et en Sierra Léone dans les années 90.
Le Président Alpha Condé a pris par devers lui, un très grand risque d’engager son pays dans « cette aventure constitutionnelle » qui pourrait transformer la Guinée en Etat failli. Nous ne souhaitons nullement que cela arrive. C’est la raison pour laquelle, il est important d’attirer l’attention de tout le monde sur les dangers immédiats qui guettent la Guinée et la sous-région. Il y avait dans un passé récent, une fièvre hémorragique Ebola qui était signalée en Guinée Forestière dès novembre –décembre 2013. Les autorités politiques n’y ont pas cru et n’ont pas pris les dispositions les plus urgentes pour cantonner l’épidémie à sa source. Entre-temps, l’épidémie s’était propagée largement aussi bien dans les autres régions de la Guinée qu’au Libéria et en Sierra-Léone. La suite, nous la connaissons.
Tout le monde doit être conscient que la décision du Président Alpha Condé est lourde de conséquences désastreuses pour la Guinée et la région ouest-africaine. C’est le moment d’agir afin d’amener le chef de l’Etat guinéen à reconsidérer sa position en renonçant en ce projet suicidaire et à privilégier la recherche des voies honorables de sorties de crise pour sauver la Guinée. Il n’est pas encore tard pour reprendre le bon chemin !
Conakry, le 14 janvier 2020
BAH Oury
Ancien ministre
Président UDD