C’est la première conséquence concrète du sommet de Pau du 13 janvier dernier. Sommet qui lui-même résultait de la mort, quelques semaines plus tôt, de 13 soldats français suite à un télescopage de deux hélicoptères de l’opération Barkhane. Ce drame et les nombreux attentats, de plus en plus rapprochés et de plus en plus meurtriers qui sont perpétrés dans la zone depuis quelques mois ont poussé le président Emmanuel Macron et les dirigeants des pays qui forment le G5 Sahel à s’interroger sur l’efficacité de la réponse antiterroriste. Séance mise au point qui aura donc débouché sur un renforcement plutôt conséquent du contingent français de l’opération Barkhane. Six cents nouveaux soldats, c’est l’effectif qui viendra s’ajouter aux 4500 qui y sont déjà depuis maintenant six ans. Le président français et ses alliés du Sahel en espèrent des effets tangibles En tout cas, une revue à mi-parcours est prévue dans six mois. Mais l’on devrait d’ores et déjà se demander si les résultats escomptés ne risquent pas d’être affectés par un diagnostic manifestement biaisé du bilan de Barkhane dans la région ? Là est toute la question.
Une décision logique
L’augmentation de l’effectif de Barkhane obéit néanmoins à une certaine logique. La décision finalement entérinée par Emmanuel Macron résulte d’une brusque dégradation du climat sécuritaire dans la région ces derniers mois. Outre les 13 soldats français dont on déplore la perte à la suite de l’accident des deux hélicoptères, le secrétaire général des Nations unies vient de produire un rapport dans lequel le nombre de soldats ayant perdu la vie dans cette lancinante lutte contre antiterroriste dans le Sahel au titre seulement de 2019, est de 1500. 1500 soldats en une seule année ! Quant aux civils, ils ont payé le plus lourd tribut avec pas moins de 4000 personnes tuées. Et des centaines de milliers de déplacés dont des enfants et des femmes. Et si l’on y ajoute la fréquence de plus en plus rapprochée des attentats et la sophistication de ces derniers, on comprend la logique qui a guidé Paris. Si les troupes loyales veulent se donner des chances d’inverser la tendance en leur faveur, elles doivent reprendre l’ascendant sur l’ennemi le plus tôt possible. Ce déclic salvateur, les troupes en ont grandement besoin, tout particulièrement dans la zone dite des trois frontières. C’est ce qui aura poussé la France à revoir son effort à la hausse, en envoyant 600 nouveaux soldats supplémentaires, mais aussi des blindés lourds et légers et de la logistique.
Géométrie variable
La pertinence de la décision française ne fait donc l’objet d’aucun doute. Mais sera-ce suffisant pour relever les défis ? Suffira-t-il d’agir sur l’effectif des troupes pour espérer relever les défis ? Les résultats attendus ne dépendent-ils pas en réalité d’un ensemble divers de facteurs dont il convient de tenir compte ? En particulier, il est reproché à la France d’avoir eu une approche à géométrie variable dans son intervention au Sahel. Foncièrement ferme contre les islamistes, elle l’a été relativement moins contre les indépendantistes touaregs dans le cas spécifique du Mali. Et s’inspirant de cette logique dont les règles ne sont ni suffisamment claires, ni fondamentalement objectives, certains des alliés de la France dans la région, à leur tour, ont laissé se créer des groupes d’autodéfense et même des groupes armés alliés. De cette confusion généralisée, ont germé des groupes terroristes locaux, pouvant facilement se confondre aux communautés. D’autant que ces dernières, du fait des frustrations consécutives aux préférences que la puissante France ou les Etats locaux manifestent à l’égard d’entités rivales, se reconnaissent quelque peu dans le combat desdits groupes armés.
Le grand dilemme
Il s’en suit qu’au-delà du renforcement des effectifs de Barkhane, la France doit interroger son approche. Elle n’a aucun intérêt à faire du deux poids deux mesures. Et elle doit s’efforcer de faire en sorte que les Etats qu’elle tente d’appuyer ne le fassent pas, eux non plus. Mais à priori, le mal est même plus profond. Car il est à se demander si la France peut-elle vraiment espérer un quelconque résultat dans sa lutte contre le terrorisme au Sahel, alors qu’au même moment, elle protège ouverte Idriss Deby Itno contre les opposants de ce dernier. Le terrorisme ne naît-il en effet aussi de l’injustice et de la négation des libertés et de la pluralité des opinions? C’est le dilemme avec lequel les troupes françaises vont devoir faire dans leur lutte contre l’ennemi terroriste dans la région. La France, ami et parrain de dirigeants souvent en déliquescence avec leurs peuples, a pourtant besoin du soutien et de l’adhésion de ces mêmes peuples son intervention.
Boubacar Sanso BARRY