Le dialogue avec ceux qui sèment la terreur dans le Sahel en général et au Mali en particulier, ce n’est plus une vue de l’esprit. C’est le président malien Ibrahim Boubacar Keïta qui l’a dit ce lundi en marge du 33ème sommet de l’Union africaine, à Addis-Abeba, dans un entretien avec nos confrères de France 24 et Rfi. Face au chaos qui a élu domicile dans cette région, et surtout eu égard aux nombreuses victimes que génère le terrorisme au gré des attentats et autres attaques qui sont perpétrés, le président malien envisage la discussion avec certains leaders djihadistes comme relevant du réalisme. Cette autre piste-là, il voudrait qu’on l’explore, parce que manifestement l’approche militaire s’est plutôt révélée inefficace. Elle est carrément insuffisante selon les termes du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres. D’un certain point de vue, la logique d’Ibrahim Boubacar Keïta est alors compréhensible. Sauf que l’expérience a montré que ce type de solution n’est jamais global. Si on peut l’adopter au niveau d’un pays, il n’est pas évident que cela serve l’ensemble de la région du Sahel. Au point qu’il n’est pas exclu que cette nouvelle approche puisse sonner le glas de l’unité dont les dirigeants du G5 Sahel avaient jusqu’ici fait montre contre le fléau terroriste.
L’option du bon sens
Qu’il l’avoue ou non, le discours d’Ibrahim Boubacar Keïta n’est pas que réaliste. Il est aussi le reflet du désespoir et du scepticisme qui commencent à animer le dirigeant malien. En effet, il y a de cela sept ans que son pays est de fait coupé en deux et qu’il n’est le président que d’une seule partie des deux blocs. En dépit de la mobilisation des troupes françaises et tchadiennes au côté de ce qui reste de l’armée malienne, les attentats terroristes continuent d’endeuiller des familles et de faire fuir touristes et investisseurs. Pis, le cancer qui fait qu’une bonne partie du centre et du septentrion maliens échappent au contrôle central, s’est même étendu à d’autres pays de la région dont le Burkina Faso et le Niger. La situation est telle que la France, réalisant qu’elle s’est engluée dans une guerre sans fin, recourt un peu au chantage en menaçant tous les jours de plier bagages. Donald Trump, lui, en a marre de perdre des hommes et de l’argent dans ce vaste désert où il n’a pas d’intérêts particuliers. Dans un tel contexte, la perspective du dialogue avec les terroristes relève presque du bon sens de la part du président IBK.
Attention à l’approche du cavalier solitaire
Mais il importe néanmoins de se demander si cette éventualité ne sonne pas comme une aventure en solo de la part du président malien. Il n’est même pas exclu qu’une éventuelle entente d’une part entre Bamako, et de l’autre Iyad Ag Gali et Amadou Kouffa, entre autres, soit sur le dos des autres pays du Sahel. N’est-ce pas en effet ce qu’on reproche de manière voilée aux dirigeants de la Mauritanie ? Il se dit que depuis des années Nouakchott a négocié sa tranquillité au détriment du Mali et des autres pays de la région. Les autorités mauritaniennes se seraient, dit-on, engagées à ne pas se mettre en travers des actions terroristes dans la région. En contrepartie, leur pays est épargné des attentats et autres actions du genre. Ce qui fait qu’il est reproché à la Mauritanie de ne pas suffisamment se mouiller dans la lutte contre le terrorisme dans la région. Elle fait, dit-on, dans le service minium et dans la figuration. Le même gentleman agreement aurait existé entre Blaise Compaoré et les mêmes groupes subversifs. Et il se dit que les attaques en règle que subit le Burkina Faso depuis le départ de ce dernier seraient la conséquence du refus de son successeur, Roch Marc-Christian Kaboré, de reconduire la même entente. Il reste par conséquent à savoir si la nouvelle approche que prône IBK est ou sera partagée par ses homologues de la sous-région.
Soigner le mal dans un pays au détriment des autres
D’autant qu’il restera une question de fond. En effet, dans la perspective d’un accord avec les leaders terroristes, quel sort sera réservé à la horde de jeunes que ces derniers ont manipulés et endoctrinés et dont ils servent pour le besoin de répandre du sang ? Que deviendra cette milice qui ne dit pas son nom et dont l’entretien provient des nombreux trafics qui se greffent au terrorisme ? Dans un contexte de pauvreté généralisée, ces jeunes que l’Etat malien, lui-même sous assistance des bailleurs extérieurs, ne pourra pas prendre en charge, ne seront-ils pas dans l’obligation de se déverser dans les pays voisins pour s’y livrer à des activités terroristes encore plus meurtrières ? Ainsi qu’on le voit, la réorientation que le Mali envisage de donner à sa stratégie de lutte contre le terrorisme ne sera pas sans conséquence sur ses voisins. Aussi, il importe que la discussion se fasse en intelligence avec les autres pays concernés, sans oublier les soutiens occidentaux, afin que tous ensemble ils examinent et cernent la pertinence, les exigences et la pérennité de cette nouvelle perspective pour l’ensemble de la région. En tout état de cause, aucune solution qui se veut viable ne peut prétendre soigner le mal dans un pays, au détriment des autres.
Boubacar Sanso BARRY