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NON, L’IDOLE, TIERNO MONENEMBO, NE NOUS A PAS TRAHIS (Réplique à la lettre ouverte de Sayon Dambélé)

Elle aura suscité des tonnes de réactions et de commentaires. La lettre ouverte de Sayon Dambélé à l’écrivain Tierno Monenembo que nous publiions ici même le vendredi dernier a un écho tel qu’elle n’a pas laissé indifférent David Kpelly, un écrivain togolais basé à Bamako. Lui aussi adule le Prix Renaudot 2008. Mais à la différence de Sayon, il n’en est point déçu. Tout au contraire, il trouve que les prises de position que l’on dénonce de la part de l’écrivain guinéen  sont justement ce qui fait de lui un intellectuel dont le continent africain tout entier doit être fier. Car aux yeux de David Kpelly, ces prises de position sous-tendent un engagement au côté du continent africain que Tierno a toujours porté en bandoulière. 

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Cher Sayon Dambélé,

Je ne vous connais pas, ou disons je ne vous connaissais pas, même virtuellement, avant la lecture, hier, de votre missive intitulée «  Tierno Monénembo : l’idole nous a trahis » sur le site Ledjely.com, adressée au prix Renaudot 2008 Tierno Monénembo. Mais comme c’est de moi que vient l’initiative de m’adresser à vous, je commence en déclinant deux mots sur moi.

Je suis David Yao KPELLY, Togolais vivant au Mali depuis 12 ans où je travaille dans l’enseignement supérieur. Passionné de littérature, j’écris à mes heures perdues.

Qu’est-ce qu’un Togolais viendrait-il chercher dans des affaires guinéennes ? pourrait-on se demander. Je le fais pour trois raisons.

Primo : je suis de ceux qui continuent de croire que l’Afrique noire reste un seul pays, et que des frontières que défient nos pouls qui battent notre unicité ne sauraient nous séparer.

Secundo : si en 2008 j’ai pu quitter mon Togo natal pour m’installer au Mali, comme un gnou à la recherche d’herbe verte, je pourrais aussi, un jour, m’installer en Guinée ou dans n’importe quel autre pays de notre vaste Afrique.

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Tertio : Tierno Monénembo, dans mon parcours d’aspirant écrivain, représente une institution. Il fait partie, avec Mongo Beti, Chinua Achebe, Ngugi Wa Thiong’o, Emmanuel Dongala et Henri Lopes de ces écrivains africains qui m’ont forgé dès mes années au collège et m’ont positionné par rapport au rôle de l’écrivain dans sa société. Lorsque, en classe de cinquième ou quatrième, j’avais terminé « Les Crapauds-brousse » (livre-culte de mon père), je m’étais encore plus rapproché du rêve du type d’écrivain que je voulais devenir : celui dont le cœur bat avec ceux de ses frères et sœurs. « Les Ecailles du ciel » et « L’Aîné des Orphelins » m’ont définitivement rattaché à cet écrivain dont je n’ai plus jamais manqué une seule publication.

Cher Sayon, c’est en lisant la presse guinéenne, ce pays qui, ces jours-ci, traverse des heures sombres ne présageant pas un avenir radieux et paisible que je suis tombé sur votre lettre. Sur un ton, je l’avoue, révérencieux (ce qui est déjà un exploit dans le débat public aujourd’hui sur les réseaux sociaux), vous avez tancé l’engagement de celui qui est aujourd’hui le plus grand écrivain guinéen, de jouer à la victimisation de son ethnie peule, et de verser de l’huile sur le feu des divisions ethniques qui consument à petit feu la Guinée depuis des décennies. Tierno Monenembo, avez-vous écrit, en « travestissant les réalités de la Guinée »  auprès des lectorats guinéens et étrangers, devient l’un des problèmes de la Guinée.

Cher Sayon, c’est là surtout où j’ai trouvé votre apostrophe à notre idole commune profondément injuste.

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Injuste parce que Tierno Monénembo, plus que Williams Sassine ( cet autre grand écrivain guinéen ) fait partie de ces fils de la Guinée qui ont consacré tout leur art, leur énergie et leur temps à régler la ribambelle de problèmes politiques, économiques, religieux, ethniques, culturels… que traîne la Guinée, tout comme presque tous nos pays africains, depuis leurs indépendances. Voici quatre décennies qu’il s’adonne à ce travail de Sisyphe lui ayant valu, depuis la publication des « Crapauds-brousse », des persécutions, l’exil, des condamnations…

Il peut, de temps à autre, devant une de ces situations ubuesques dans lesquelles se retrouvent si souvent nos pays, et dans l’urgence de la réaction, se tromper, faire une fausse analyse, dire un mot de trop, avaler ou retenir un mot. Quel humain n’est pas faillible ? Mais par quelle alchimie deviendrait-il subitement l’un des problèmes de la Guinée ? Parce qu’il est peul et qu’il dénonce une violence d’Etat s’abattant jour après jour sur les Peuls ? Son appartenance ethnique suffirait-elle donc elle seule pour le disqualifier dans ses prises de position pour nommer le mal que voient ses yeux ? Etre noir et dénoncer le racisme anti-noir, juif et dénoncer l’antisémitisme, musulman et s’insurger contre l’islamophobie… constituent-ils des tentatives de victimisation ?

Le débat politique en Guinée, il est vrai, comme dans la plupart de nos Etats, est fortement ethnicisé, donc délicat et profond. Mais se refuserait-on donc de s’y aventurer par peur d’être traité de sectaire ?

Cher Sayon, vous le savez comme moi : Tierno Monenembo est aujourd’hui l’un des plus illustres écrivains de notre continent, ceux qui comptent vraiment dans le monde francophone. Cette auréole lui donne largement carte blanche de vivre bien, ou au moins décemment, loin de la Guinée, en corps et en esprit, et ne parler de ce pays qu’avec dédain et indifférence, comme le font beaucoup d’intellectuels africains n’ayant pas le dixième de son rayonnement. Pour ces derniers, leurs pays et l’Afrique, dont ils ont honte, ne méritent pas qu’ils leur consacrent leur talent et leurs mots. Qu’ils brûlent, ces pays, ce continent, si pauvres, si sales, si maudits, clament-ils en silence, depuis leurs petits paradis occidentaux.

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Tierno eût pu faire la même chose en tournant et le dos et le cœur à la Guinée. Et cela n’eût enlevé un centime de son rayonnement. Il eût pu fait pire : s’associer à ceux qui pillent, saignent, détruisent et humilient la Guinée depuis des décennies, comme l’on voit beaucoup d’intellectuels africains le faire. Ceci lui eût donné richesse et pouvoir.

Mais il a accepté de descendre dans le cambouis, la boue, la morve, le crachat, la glaire, il a accepté de descendre dans cette mare de miasmes que constituent les scènes politiques et sociales de la Guinée et de nos pays, et combattre, à sa manière, avec ses moyens, ses crocodiles, ses boas, ses vipères, ses scorpions… Il a accepté d’avoir les mains sales, pour que la Guinée ait les siennes propres.

On n’irait pas jusqu’à demander de dresser un autel devant lui et lui allumer des cierges chaque matin. Mais qu’on reconnaisse qu’il fait sa part pour la Guinée, malgré des faux pas et des tâtonnements, ce qui ne le rend que plus humain. Et c’est justement ce qui le fait grand. Très grand aux yeux de nous qui l’aimons et rêvons de côtoyer un jour sa grandeur.

Fraternellement

David Yao KPELLY

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