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PR. ALPHA AMADOU BANO BARRY : « l’Afrique doit s’enrichir sans s’appauvrir, se développer sans s’enlaidir »

Nous vous en parlions il y a quelques jours. Plus de 80 intellectuels africains ont récemment co-signé une tribune en vertu de laquelle ils font l’autopsie de la gestion de la crise du nouveau coronavirus par le continent africain. De leur analyse, il ressortait entre autres que la riposte que l’Afrique réserve à la Covid-19 renvoie à un mimétisme mécanique des mesures que l’occident a lui-même adoptées face à la maladie. Ce qui fait que, selon eux, dans nombre de pays africains, les plan de riposte sont inopérants, parce que n’ayant pas été inspirés par le contexte socioculturel et économique local. Aussi, partant de cet exemple malheureux, ils invitent l’Afrique à se libérer enfin de sa tutelle occidentale. Qu’elle réfléchisse par elle-même et pense son développement en partant de ses propres réalités. Dans un entretien qu’il nous a accordé, le sociologue Alpha Amadou Bano Barry, un des co-signataires de la tribune, a bien voulu dresser les principaux qui sont abordés et les recommandations phares qui en émanent.

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Dans votre appel, vous dites que la pandémie du coronavirus jette une lumière crue sur les défis de l’Afrique au-delà de la représentation angélique qu’on s’en faisait ces dernières années. Comment ?

Durant ces dix dernières années, on voyait un peu partout des déclarations des institutions financières internationales vanter les taux de croissance de l’Afrique à deux chiffres, comme pour dire que le modèle politico-économique imposé par la finance internationale était performant.

La pandémie du coronavirus, qui impose l’arrêt des échanges internationaux, montre que la croissance dans certains pays africains résultait simplement de facteurs exogènes à l’Afrique et donc de sa très forte dépendance de variables incontrôlées par les politiques publiques des pays africains.

De la même façon que l’Occident se retrouve vulnérable pour accéder à des produits pharmaceutiques essentiels à la prise en charge de ses malades, à des masques pour la protection de sa population et de son personnel de santé et dont la production est élémentaire, l’Afrique se rend compte que son économie repose sur les « Autres » et non sur la production et la consommation de ses populations.

Lorsque l’Europe et l’Amérique souhaitent retrouver leur souveraineté économique, l’Afrique doit profiter de cette pandémie pour récupérer simplement l’intégralité de sa souveraineté qui commence par le fait de penser elle-même et par ses fils son développement.

Pendant longtemps, c’est en Occident et dans les officines d’aide au développement que l’avenir politique et les politiques publiques ont été pensés. Les politiques de dégraissage de l’Etat, pour éviter de dire son dépérissement, la destruction de son embryon industriel, la mise à disposition « gratuite » des mines et l’ouverture des marchés nationaux ont été le crédo du néolibéralisme mondial. Cette crise montre que la façon dont le Monde est pensé par le grand capital mondial fait que l’épidémie devient une pandémie, une crise sanitaire locale devient une crise économique majeure.

Comment peut-on expliquer le décalage que vous dénoncez entre les réflexions des intellectuels africains sur les défis du continent et l’attitude des gouvernants ?

Ce décalage provient, en grande partie, du fait que les gouvernants ont « le nez dans le guidon » et nous, intellectuels, avons de la distance. C’est cette distance qui permet d’avoir un jugement autre et une réflexion non soumise à la contingence du quotidien et de la fin du mois.

Dans ce contexte, qu’est-ce qui garantit que votre appel sera lui-même entendu ?

Notre appel est déjà entendu. Vous, vous en parlez. D’autres aussi le font, même si ce n’est pas en public. Pour nous, la réflexion précède la parole qui, elle-même, incite, oriente et légitime l’action. Comme Karl Marx, nous pensons que « la théorie se change en force matérielle dès qu’elle saisit les masses. La théorie est capable de saisir les masses, dès qu’elle argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est saisir les choses à la racine, mais la racine, pour l’homme, c’est l’homme lui-même. »

Notre appel est entendu par les dirigeants actuels, par ceux qui espèrent le faire demain et dans les années à venir. Les uns et les autres vont porter cette vision d’une Afrique qui se pense et qui propose au reste du Monde une autre façon d’organiser le temps de la production et de la répartition de la richesse.

Notre appel aide les dirigeants africains à changer de paradigme en s’appuyant sur de la légitimité scientifique et morale, car nous sommes la science et la morale.

On entend très souvent l’exhortation selon laquelle l’Afrique doit pouvoir se développer en partant de ses réalités culturelles et socio-historiques. Mais en réalité, n’est-ce pas trop tard pour repenser tout ça ?

Non, rien n’est tard dans la temporalité des peuples. L’Afrique est le berceau de l’humanité, mais c’est aussi le continent le plus jeune. Nous sommes, l’Afrique, le passé de l’humanité et son avenir. Non, rien n’est tard car les modèles de l’Occident triomphant ont de la peine à prendre prise sur les valeurs culturelles et socio-historiques de la très vieille Afrique et de sa jeunesse qui s’invente.

Non, rien n’est tard, car la pandémie actuelle avec le silence assourdissant des usines qui ont arrêté de cracher leurs fumées ; des avions qui n’embouteillent plus le ciel et offre une vue sur l’Himalaya ; des trains bondés et des nuits sans sommeil dans les grandes villes de ce Monde ont montré la défaillance du productivisme à outrance, de la déréglementation de tout, y compris des valeurs humaines ; de la division du travail mondial entre les « usines du Monde » que sont l’Asie, les services domiciliés dans la vieille Europe, les finances non productives dans les « rivières » des paradis fiscaux qui alimentent l’univers de l’Occident, l’extraction minière et la consommation de la pacotille en Afrique.

Nous, intellectuels africains saisissons ce moment historique, après les coups de boutoir de la « dé mondialisation Trumpiste et du Brexit », pour dire aux africains pensons pour nous, pensons à partir de nos valeurs culturelles, de nos réalités socio-historiques, pensons pour le Monde à partir de l’Homme social que nous sommes.

Oui, nous disons un autre Monde est possible qui réconcilie le producteur et la nature, le producteur et le consommateur ; plus juste entre le prêteur et l’emprunteur ; plus équitable entre les composants de la chaîne de production ; moins destructeur de la terre et de notre humanité.

Par ailleurs, a-t-elle les moyens et l’autonomie qui lui permettent de repenser ce développement qui lui soit propre ?

Oui, la pensée des intellectuels africains est libre et n’est pas contingentée par le niveau de nos comptes bancaires. D’ailleurs, les plus grandes découvertes scientifiques l’ont été par « hasard » et par des personnes libres dans leur cerveau ; des personnes curieuses, enthousiastes et humanistes.

Les porteurs de cette tribune ne sont pas engagés dans un positionnement de carrière. Ils ont déjà eu l’honneur de partager du savoir, de mesurer l’étendue de leur ignorance et l’humilité de se remettre en question au quotidien.

Ils pensent par vocation, par amour de l’Afrique et de l’humanité. En voulant sauver l’Afrique des dérives d’un Monde devenu fou à cause des critères productivistes, de surconsommation et de gaspillage massif, les intellectuels africains veulent sauver le Monde pour permettre aux générations à venir de vivre sur cette bonne vieille Terre et non sur Mars, Jupiter et Saturne.

Vous appelez au second « souffle du panafricanisme » au-delà de ces « errements de ces dernières années ». Qu’entendez-vous par là ?

Après les périodes d’enthousiasmes du début de l’indépendance et la volonté des premiers dirigeants de construire l’Afrique par la libération du continent, de la seconde phase qui a consisté à construire le panafricanisme par les Etats-nations, il est temps de donner un souffle nouveau au panafricanisme. Ce second souffle viendra d’une réponse simple à une question essentielle : quelle Afrique voulons-nous pour nous et nos enfants ?

Voulons-nous perpétuer ce que le capital mondial a fait de l’Afrique ? Un continent d’extraction minière et de produits agricoles sans valeurs ajoutées et un marché de consommateurs de seconde catégorie : les produits les moins bien faits et le dépotoir de la surconsommation occidentale (l’usager de second et de énième main avec les « occasions » et la friperie).

Ou alors, voulons-nous un continent avec une souveraineté totale et complète sur l’organisation du territoire, des hommes, de la production compatible avec la nature et une consommation responsable ?

Le second souffle du panafricanisme auquel les intellectuels appellent s’inscrit dans une perspective de penser autrement le développement entre les pays africains eux-mêmes et entre l’Afrique et le reste du Monde.

Pour nous, les Etats africains doivent refuser de s’inscrire dans une compétition déloyale entre eux pour accueillir des capitaux vautours et/à cycle court pour sortir de terre les mines par une extraction effrénée qui tue l’homme, la nature et la vie.

Pour nous, l’Afrique doit s’enrichir sans s’appauvrir, se développer sans s’enlaidir par des plaies béantes dans sa nature en transformant sur place sa production minière et agricole.

Les Etats actuels sont un héritage, mais ils ne sont pas les uniques héritages. Nous appelons les Etats africains à revisiter leur passé pour construire leur futur en dépit des contingences coloniales.

Propos recueillis par Boubacar Sanso BARRY

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