Sous la pression de l’incertitude née de la mort surprise, le 8 juin 2020, de Pierre Nkurunziza, le nouveau président burundais qui devait reprendre le sceptre seulement le 20 août prochain, a finalement prêté serment ce 18 juin dans l’enceinte du stade Ingoma, dans la capitale administrative Gitega. En l’absence d’Agathon Rwasa qu’il a battu lors du scrutin de mai dernier et des délégations étrangères, le nouveau président, à l’issue d’une cérémonie de prestation de serment avec de forts relents religieux, a livré son tout premier discours. A l’occasion, il a rendu un vibrant hommage à son prédécesseur duquel il tient certainement son statut actuel. S’il a lancé un appel au dialogue et invité les Burundais ayant fui le pays à rentrer, le général Evariste Ndayishimiye reste cependant sur le même registre que Nkurunziza. Ainsi, il ne mâche ses mots ni pour les Occidentaux qu’il qualifie de colons, ni pour ceux des compatriotes qu’il assimile à des complices des impérialistes. La rupture, ce sera probablement après.
Cette propension du nouveau président à marcher exactement sur les pas de Pierre Nkurunziza peut néanmoins se comprendre à certains égards. Ndayishimiye et Nkurunziza sont tous les deux en effet du cercle restreint des généraux du CNDD-FDD qui, dans les faits, décident de la marche du pays. Et ce n’est pas du jour au lendemain qu’un président peut se risquer à aller à l’encontre des grandes orientations de cet influent groupe de généraux. Il est donc possible que dans son discours prononcé ce jeudi à l’occasion de la cérémonie de prestation de serment, le nouveau président ait davantage repris la position et le point de ses parrains. D’autant que depuis le décès du « guide suprême du patriotisme », le mot d’ordre qui circule est d’honorer sa mémoire. De la part de son successeur, cela a pu conduire à dresser de la gestion de Nkurunziza, un bilan absolument élogieux. Ayant hérité d’un Burundi « totalement divisé », à son arrivée au pouvoir en 2005, martèle ainsi Ndayishimiye, l’ancien président aurait « ramené l’unité entre les Burundais ». De même qu’il aurait « renforcé l’indépendance et la souveraineté du Burundi et redonné au pays sa place dans le concert des Nations ».
Dans la même veine, le nouveau président s’est lui aussi présenté en nationaliste. Car là aussi, il ne faut pas revendiquer une position qui serait tout de suite interprétée comme une remise en cause de la politique que défendait Nkurunziza. Ainsi, Ndayishimiye s’en est violemment pris aux « colons » qu’il défend prestement de se mêler des affaires intérieures du Burundi. Certes, il consent à ce que les Burundais contraints à quitter le pays reviennent s’ils le désirent. Le dialogue qu’ils souhaitent, il le leur garantit. D’autant que le dialogue, dit-il, relève de la culture du Burundais. Mais il les prévient qu’il n’est pas question que le colon passe par eux. Car à l’indépendance et à la souveraineté du Burundi, le nouveau président tient tout particulièrement.
Bref, il faudra attendre pour davantage juger de la capacité du nouveau dirigeant burundais à imprimer oui ou non une nouvelle dynamique à la marche du pays. Sa position pouvant relever d’une posture nécessaire. C’est quand il se sera relativement bien installé et qu’il sera pleinement approprié le pouvoir qu’on devrait savoir s’il est dans la continuité ou s’il peut s’autoriser une approche et une voie qui lui soient propres. En tout cas, si l’idée lui venait d’instaurer une certaine détente après la longue période de chape de plomb que le pays a traversée, il pourra se rappeler cette prière que lui a réservée Mgr Simon Ntarwana, l’archevêque de Gitega: « Soyez toujours prêt à recevoir la sagesse du Seigneur à l’instar de Salomon (…) Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu! (…) Soyez en sûr, vous êtes le fils de Dieu, capable de procurer la paix aux Burundais, vous savez à quel point nous en avons besoin, donnez-nous la paix, cherchez-là avec tout votre être … Vous qui aimez le Seigneur, haïssez le mal, nous savons que vous aimez le Seigneur (…) Que le Seigneur vous éclaire pour que vous fassiez du bien au Burundi, que vous affermissiez l’amour parmi les Burundais. Rapatriez les réfugiés, pour que ces intelligences à l’étranger rentrent nous aider à combattre la misère dans laquelle le Burundi est tombé, pour qu’elles mettent leur génie au service du développement. Rétablissez les bonnes relations avec l’extérieur, pour qu’elles soient bénéfiques pour nous ».
Boubacar Sanso BARRY