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HAWA DRAME : « Il y a très peu de médecins qui peuvent faire un diagnostic sur les myopathies ou les IMOC »

Les myopathies et les Infirmités motrices d’origine cérébrale (IMOC) sont des pathologies très peu connues en Guinée. Pourtant, elles sont à la base de bien de handicaps que l’on constate chez nos enfants. Et c’est pour mieux les cerner et se faire une idée de l’ampleur avec laquelle ces pathologies sévissent dans notre pays qu’une étude vient d’être conduite à leur sujet dans le cadre d’un partenariat entre la Fondation Internationale TIerno et Mariam (FITIMA), le service de Neurologie du CHU Ignace Deen et l’Institut de Neurologie Tropicale (INT) du Pr. Amara Cissé. Au titre des enseignements qui en résultent, il y a la méconnaissance de ces pathologies par bon nombre de thérapeutes. Une réalité qui n’est pas sans conséquences sur la prise en charge des patients et la conception que la société dans son ensemble se fait aussi bien de ces maladies que de ceux qui en souffrent. Et c’est de tout cela dont il est question dans cet entretien que notre rédaction a eu avec Mme Hawa Dramé, présidente-fondatrice de la Fondation FITIMA. Lisez plutôt

Tout d’abord, en langage facile, qu’appelle-t-on myopathie d’une part et IMOC de l’autre et quelles sont leurs différences ?

Nous avons mené pendant presque 3 ans une étude qui est une première en Guinée, et je crois en Afrique de l’Ouest. Une étude portant sur les IMOC (Infirmités motrices d’origine cérébrale) et les myopathies ou maladies neuromusculaires ou encore maladies musculaires. Cette étude, nous l’avons voulue un peu épidémiologique aussi. C’est-à-dire, nous avons amené les praticiens à se pencher sur ces pathologies, à sortir de statistiques sans lesquelles on ne peut pas mesurer l’impact des actions qu’on pose. On ne sait jamais d’où on va, et c’est difficile de mesurer la pertinence des activités que nous menons ; donc nous avons souhaité mettre en place cette étude avec le concours de l’équipe du service de neurologie de l’hôpital Ignace Deen.

Maintenant, pour répondre à votre question, l’une des différences entre ces deux pathologies est que les myopathies renvoient à un groupe de pathologies souvent liées à des causes génétiques. Au début, on parlait de la myopathie, car on pensait que c’est une seule maladie. Mais aujourd’hui, on en dénombre des centaines grâce aux recherches notamment en génétique moléculaire. Donc, ces maladies sont plutôt d’origine génétique. C’est-à-dire qu’on naît avec ça dans les gênes. Les gênes qui représentent le matériel dont on hérite de nos parents.

Pour ce qui est des IMOC, les causes sont multiples, mais ce sont très souvent des choses « acquises ». Parmi les patients que nous avons à FITIMA (Fondation Internationale TIerno et MAriam), les IMOC représentent plus de ¾. Les causes peuvent être d’ordre médical, c’est-à-dire qu’elles peuvent être des conséquences des maladies comme le neuropalu, autrement le paludisme aggravé que peuvent contracter les enfants. Cela peut résulter aussi des conséquences de la méningite non diagnostiquée, mal diagnostiquée ou mal traitée. Mais aussi dans notre pays, il y a les mauvaises conditions d’accouchement. Quand le travail est long, l’enfant peut souffrir de manque d’oxygène à cause du manque de professionnalisme du personnel soignant et des structures adéquates. Enfin, on a aussi des IMOC dues à des infections virales.

Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de cette étude ?

Une première chose qu’on en tire au titre des enseignements, c’est qu’on manque cruellement de données. C’est-à-dire qu’il y a des services hospitaliers ou centres communautaires où il n’y a même pas de registre, ou alors s’il y a, il n’est pas à jour. Pourtant, ça devrait être le béaba pour connaitre qui vient ? Pourquoi ? Comment va-t-on les traiter ? Qu’est ce que le traitement a donné ?

Deuxièmement, on ne fait pas de recherche. Or, c’est la recherche qui permet de faire avancer la médecine, les techniques de thérapie. Donc, on a touché du doigt l’intérêt de ce manque de recherche et l’intérêt qu’on a à développer la recherche clinique. Dans les pays occidentaux, on ne peut même pas imaginer un médecin sans la recherche, car c’est ce qui nous permet de comprendre et de penser à des solutions. Sinon, on stagne, on n’avance pas, alors que les choses évoluent et les pratiques changent énormément.

Le troisième enseignement, c’est que ces maladies sont très peu connues des thérapeutes, surtout les myopathies. Il y a très peu de médecins qui peuvent faire un diagnostic dessus. Très souvent, ils ne vont pas chercher très loin, ils voient les symptômes et les assimilent trop facilement à des pathologies communes : palu, maladies cardiovasculaires, etc. Dès que vous entrez dans un domaine spécifique, il y a d’abord très peu de médecins qui s’y intéressent, et pour les patients ça devient comme un parcours de combattant, les gens tâtonnent et finissent par dire ‘’on n’y peut rien’’.

Justement, est-ce ce qui amène les patients à se tourner vers la médecine traditionnelle ?

Si les familles vont voir un médecin, qui leur dit : ‘’je ne peux rien, il n’y a rien à faire’’, ces familles ne peuvent se satisfaire de ces réponses-là. Il faut bien trouver une solution, donc les gens se tournent vers la médecine traditionnelle, et là c’est très souvent des catastrophes.

Quelle est l’ampleur de ces pathologies sur les enfants en Guinée ?

Justement, on a fait cette étude pour avoir quelques chiffres. D’ores et déjà, je peux vous dire qu’il y en a énormément, mais il y a très peu qui sont vus dans le système de santé. Il y a très peu de parents qui se battent jusqu’au bout pour trouver une solution. En réalité, ce que nous avons souhaité, c’est qu’à partir de cette étude, on puisse faire une étude plus exhaustive au niveau national pour voir quelle est l’ampleur. Nous, au niveau de la fondation, qui disposons d’un seul centre situé à Conakry, on suit entre 50 et 70 patients. Ce n’est rien du tout par rapport aux besoins. Pourtant, pour faire des plaidoyers il faut des chiffres, des statistiques, des données fiables. Donc, ce que nous aimerions c’est avoir justement ces données épidémiologiques, cliniques et scientifiques qui vont nous permettre de dire qu’il faut absolument mettre des moyens pour pouvoir soigner quand c’est possible, s’occuper de cette tranche de la population qui pour l’instant est laissée pour compte.

Qu’en est-il de la gestion de ces pathologies par les parents ? Quelles relations émotionnelles entretiennent-ils avec les enfants atteints de ces pathologies ?

 Là, c’est tout un pan d’étude possible. Et depuis que Fitima existe – il y a 17 ans de cela – je dis souvent que c’est dommage qu’il n’y ait pas de chercheurs qui s’intéressent à ces aspects sociologiques par exemple. Car nous nous avons de la matière pour faire l’étude sur l’impact de la problématique de ces pathologies aux niveaux familial, communautaire et de l’ensemble de la Nation. Vous savez, dans une famille, c’est avec beaucoup de bonheur qu’on attend l’arrivée d’un enfant. Mais si cet enfant arrive avec des soucis de santé, des retards d’acquisition par exemple, dans certains cas, on va voir des marabouts, des féticheurs qui peuvent imputer le problème tantôt à la sorcellerie, tantôt à la jalousie de la belle-mère, de la voisine ou de la coépouse. Bref, l’arrivée de cet enfant peut créer des relations graves qui vont parfois plus loin. Dans d’autres cas, on chasse la mère de l’enfant. Cela relève de l’ignorance, d’où l’importance des campagnes d’information et de sensibilisation. Vous avez aussi le fait d’avoir un enfant invalide à la suite d’autres enfants valides, soit les parents surprotègent celui qui est invalide et négligent les autres, ce qui crée des frustrations énormes ; soit c’est l’inverse quand les parents privilégient les enfants valides sur lesquels ils croient reposer leur retraite, et quelques fois les enfants invalides sont maltraités.

Dans notre centre, au-delà des soins, ce sont tous ces aspects que nous essayons de gérer à travers notamment les Visites à domicile (VAD), les Visites dans les écoles (VAE) et l’arbre de Noël que nous venons d’organiser. Par le biais de l’écoute et des conseils, nous aidons les parents à optimiser la prise en charge des enfants ayant ces pathologies. Car ce n’est pas toujours facile.

Qu’en est-il de l’éducation de ces enfants ?

En dehors de Fitima, il n’y a que trois écoles spécialisées : l’école des Sourds-muets de Boulbinet, le centre Sogué (non-voyants) et le centre de Guinée Solidarité à Mamou (formation professionnelle).

A Fitima, on essaie de faire une prise en charge globale. D’abord c’est le plan médical, parce que si vous ne savez pas de quoi vous êtes atteint et éventuellement quelles sont les causes, c’est difficile d’avoir un schéma thérapeutique efficace. On a mis en place toute la partie paramédicale sans laquelle on ne peut pas faire de prise en charge, c’est-à-dire tout ce qui est rééducation, kinésithérapie, orthophonie, ergothérapie, etc. Une fois que le diagnostic est fait, il n’ya pas un comprimé qu’on va prendre pour que ça disparaisse, c’est la rééducation qui va permettre d’améliorer la situation et d’éviter les complications. Ensuite ce qu’on a fait pour compléter ça, c’est l’éducation spécialisée, parce que pour ces enfants là, il n’y a rien de prévu pour eux dans les écoles ordinaires.

Les trois centres que j’ai cités plus haut sont les seuls à avoir des classes d’éducation spécialisée, où les éducateurs que nous-mêmes nous formons arrivent à stimuler les enfants, à leur permettre d’avoir des apprentissages selon leurs besoins. Chaque enfant qu’on reçoit à FITIMA à ce qu’on appelle un programme individualisé qui permet de fixer les objectifs à atteindre d’ici la fin de l’année, puisqu’aucun n’a une évolution identique à l’autre

Vous préconisez des moyens de prévention de ces pathologies. En quoi consistent-ils et de qui doivent-ils venir ?

Ils doivent venir de plusieurs niveaux. Quand je parle des mauvaises conditions d’accouchement, vous voyez bien cela touche au système de santé qui, dans son ensemble, ne fonctionne pas bien, à cause du manque de professionnalisme et probablement du déficit de compétences et de conscience. Parce qu’il semblerait qu’il y avait beaucoup moins d’accidents quand les accouchements se faisaient dans les villages, qu’aujourd’hui dans certains centres de santé. Dans les villages, c’étaient toujours des femmes qui avaient déjà eu des enfants, donc qui avaient de l’expérience qui aidaient les autres à accoucher ; alors qu’aujourd’hui, vous avez des jeunes qui sortent de l’école avec peu de compétences, mais surtout peu de professionnalisme je suppose.

Deuxièmement, il faudrait qu’il y ait beaucoup plus d’informations, en organisant par exemple des émissions destinées à la santé, que ce soit au niveau du privé que du public. Je pense que ça servirait beaucoup plus que ces débats politiciens qui occupent l’espace à n’en plus finir, mais qui n’apportent pas grand-chose aux gens.

Il y a aussi que ces pathologies soient enseignées dans les facultés de médecine, mais également bien expliquées au niveau des familles. Des familles avec lesquelles il faut faire le rapprochement avec la planification familiale, qui ne se résume pas qu’à la contraception. Enfin, dire que dès qu’il y a un souci, c’est d’aller voir les spécialistes, même s’il n’y en a pas beaucoup. En attendant, ce que développe FITIMA sert un peu à combler ce vide qui est pour le moment énorme.

Il convient de noter que le centre que nous avons ouvert ici en Guinée a désormais 10 ans, mais qu’à ce jour, on a aucun soutien des pouvoirs publics, alors que le travail que nous faisons relève du pouvoir public. Tout ça pour dire que quand il n’y a pas de volonté politique, c’est très difficile. Mais grâce aux soutiens de personnes engagées qui ont compris les objectifs de FITIMA, on arrive quand même à aider (…) Cela dépend de la priorité qu’on accorde à cette problématique, parce que toutes ces personnes-là, une fois qu’elles sortent de l’ornière, elles vont participer au développement du pays. A titre d’illustration, on a eu trois anciennes pensionnaires du centre ouvert au Burkina qui travaillent aujourd’hui pour leur pays.

Propos recueillis par Boubacar Sanso BARRY

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