A priori, il n’y a plus lieu de se poser la question quant au statut qui sied le mieux à l’ancien enfant soldat de la rébellion ougandaise de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), Dominic Ongwen. En effet, à travers le verdict qu’ils ont rendu hier, les juges de la CPI ont tranché la question, en estimant qu’il était plus bourreau que victime. C’est ainsi qu’ils l’ont reconnu coupable pour 61 des 70 chefs d’accusation pour lesquels il était poursuivi. Bien sûr, à certains égards, le verdict est tout à fait compréhensible. Surtout si l’on se réfère aux douleurs tant physiques que morales qu’il a fait endurer à ces victimes et à leurs proches. Ceci étant, la question de départ demeure tout à fait justifiée. En effet, quand on a été soi-même enlevé à 9 ans et intégré de force dans la rébellion, est-on véritablement responsable des crimes que l’on commet même quand on aura franchi l’âge de la majorité ? L’autre question étant celle de savoir si Dominic Ongwen avait-il une alternative à la vie criminelle qui lui a été imposée ?
Le bourreau?
Aux yeux des juges de la Cour pénale internationale (CPI), ce n’est pas le Dominic Ongwen enfant qui a été retenu coupable de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. C’est plutôt le Dominic Ongwen chef rebelle. Il est vrai que même en devenant adulte et conséquemment en pleine possession de ses facultés, il s’est livré à des crimes d’une rare cruauté. Et ses victimes se retrouvent dans trois pays à la fois, à savoir l’Ouganda, mais aussi le Soudan et la République centrafricaine. Il est imputé à la rébellion de la LRA la mort de plus de 100 000 personnes et l’enlèvement de 60 000 enfants. Mais c’est surtout dans les camps de réfugiés de Lukodi, Pajule, Odek et Abok, en Ouganda, que le souvenir de Dominic Ongwen reste associé à un traumatisme que personne ne voudrait revivre. En effet, dans ces lieux abritant des êtres brisés et rendus vulnérables par les violences et la famine, entre autres, il a fait vivre à certains l’enfer sur terre. Au nombre des crimes innommables pour lesquels il a été reconnu coupable et devrait écoper de la perpétuité, on a des bébés que lui et ses camarades rebelles ont fait jeter dans des maisons en flamme. Devant la CPI, un des 480 témoins l’a même personnellement accusé d’avoir tué un bébé d’une balle dans la tête. Un bébé dont le seul crime était de pleurer après sa maman. Agacé par les cris du nourrisson, l’ex-chef rebelle s’étai brusquement emparé de son arme avant de l’introduire dans la bouche du bébé et d’appuyer sur la détente, sans sourciller. Surfant sur la crainte qu’il inspirait à ses victimes, il s’était marié de force à plusieurs femmes qu’il a réduites par la suite en esclaves sexuelles. Sans jamais le vouloir, certaines d’entre elles ont porté en elles le fruit des viols répétitifs qu’il leur faisait endurer. Bien sûr, un homme comme lui ne méritait aucune indulgence de la part des juges de la CPI. Mais surtout, par respect pour tous ceux et toutes celles qui ont subi cette cruauté, il n’était pas envisageable qu’il soit innocenté.
..ou bien la victime?
Néanmoins, Dominic Ongwen, au-delà de tout doute raisonnable, comme l’ont dit les juges de la CPI, est-il coupable des faits à lui reprochés ? Il n’est pas ici question d’aborder le sujet sous le prisme des avocats de l’ancien enfant soldat qui ont plaidé l’irresponsabilité mentale. Non, il n’était pas nécessairement fou dans le sens qu’il ne savait pas ce qu’il faisait. Sur ce point non plus, les juges n’ont pas nécessairement tort. Cependant, rappelons que Dominic Ongwen avait l’âge de 9 ans quand il a été enlevé, alors qu’il était sur le chemin de l’école. Aujourd’hui, il en a 45 ans. Mais on retiendra surtout qu’avant d’avoir 18 ans, autrement l’âge de la majorité, il aura vécu 9 autres années entre les mains des rebelles. 9 ans durant lesquels il aura été témoin de toutes les atrocités. Durant cette période charnière de son adolescence, on a dû lui apprendre à violer les femmes, à tuer sans pitié et sans raison et à ne s’imposer que la force et la cruauté. On imagine même qu’on a dû le booster avec toutes sortes de drogues. Aussi, comment voudrait-on qu’un tel adolescent, une fois devenu adulte, puisse avoir un autre comportement que celui qu’on lui inculqué ? A Dominic Ongwen, a-t-on appris le choix entre le bien et le mal ? Certainement pas. Bien sûr, il a fait du mal autour de lui. Mais avait-il seulement le choix ? C’est à ce niveau que la question de sa responsabilité, voire de sa responsabilité à lui seul, se pose. Car, nous sommes tous le produit du processus de notre socialisation. « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es », dit-on souvent. Dominic Ongwen est certes un méprisable personnage. Mais cela est fondamentalement lié au fait qu’il ait croisé la route des rebelles de la LRA qui en ont fait ce qu’il est devenu. De ce point de vue, il est compréhensible qu’il soit également envisagé comme une autre victime de cette même rébellion. Et in fine, c’est à cette dernière qu’il faille imputer la responsabilité ultime des faits pour lesquels Dominic sera sans doute condamné.
Boubacar Sanso BARRY