Le Professeur émérite guinéen Djibril Tamsir Niane a disparu le lundi 8 mars 2021. Intellectuel africain de renom, auteur de Soundjata ou l’épopée mandingue, il fut l’un des rédacteurs de l’Histoire générale de l’Afrique sous l’égide de l’UNESCO.
Il est de ces hommes dont le passage sur terre n’est nullement bref. Leur vie comme une traînée de poudre forme la boucle de l’infini. Ils deviennent à l’image de l’histoire des grands hommes qu’ils ont relatée des légendes eux-mêmes. On peut se demander si Djibril TAMSIR NIANE, lorsqu’il couchait sur le papier l’Epopée du Mandingue et celle de Soundiata, se rendit compte qu’il allait changer de façon irrémédiable la vie de milliers de personnes et l’identité collective de nombreuses Nations.
Ce fut le cas, par exemple pour moi qui aimais déjà, toute petite, histoires, contes et mythes. Je n’avais accès qu’à l’Iliade et L’Odyssée. J’aimais contempler Hercules et ses douze travaux, Héra et ses intrigues, Zeus et ses indiscrétions. Je voulais même comme Hermès voler avec mes souliers ailés pour parcourir le monde.
Quelle ne fut pas ma joie lorsque je tombai un jour sur une copie de Soundiata ou l’Épopée du Mandingue ! Il est vrai que j’avais déjà entendu des cousines entonner les chansons du Roi Lion mais sans qu’elles ne puissent vraiment m’expliquer son parcours. C’est donc à travers ce livre qui relatait toute la vie de Soundiata que ma vie fut transformée. Soudainement, j’avais un nouveau héros à qui je pouvais m’identifier, tant par la couleur de la peau que nous partagions et l’environnement qui m’était familier, que par les chants que je connaissais dans ma langue maternelle. C’est ainsi même que j’ai pu poser des bases solides dans la construction de mon identité noire. Savoir qu’un roi aussi puissant ait existé, qu’il ait bravé de nombreux obstacles, unifié tout un peuple, édifié une charte, ꟷ celle de Kouroukan Foungou ꟷ, instauré une monarchie démocratique, a été pour moi capital dans la conception de mon identité et de ma fierté pour mon peuple.
À cette époque, je ne savais encore qui était cet illustre professeur, qui avait de façon plus pérenne, transcrit une histoire si importante pour nos mythes, nos Etats et nos identités noires. C’est bien longtemps après, que j’ai eu le privilège et l’honneur de le rencontrer.
J’ai en quelque sorte toujours été fascinée par l’histoire des hommes, des peuples et particulièrement des noirs. Et c’est avec cette passion qu’un jour, ayant longtemps contemplé le trot de notre Nation sur le chemin du développement, que je me suis dit que peut-être que la solution de notre « vivre ensemble » et de notre développement harmonieux passait aussi par la compréhension de notre histoire.
C’est là que j’ai pensé et conçu à des fins éducatives « Apprenti Citoyen. » « Apprenti Citoyen » est un projet d’enseignement de la démocratie et de vulgarisation de l’histoire de la Guinée. Ayant décidé de commencer par le volet historique, j’ai voulu rencontrer tout de suite le Professeur Djibril TAMSIR NIANE qui, à mon grand plaisir, accepta de me recevoir. Je lui fis donc part de mon projet, qui était d’offrir des cours d’histoire aux jeunes et aux moins jeunes de la Guinée afin que nous puissions, avec l’aide de nos professeurs d’histoire, reconstruire ce que nous avions de plus cher, c’est-à-dire nos racines, nos héritages, notre histoire.
Le Professeur NIANE s’engagea à m’accompagner dans cette aventure. Il alla jusqu’à offrir sa bibliothèque afin que nous puissions y livrer des cours. Il révisa aussi notre programme, en plus d’échanger avant chaque séance avec les professeurs. Il s’intéressa également aux personnes qui venaient assister gratuitement aux cours.
Monsieur NIANE a toujours dépassé nos attentes et même si je le trouvais un peu trop perfectionniste et trop organisé parfois, il nous incitait toujours à tout préparer dans les moindres détails pour espérer obtenir sa satisfaction. Heureusement pour nous, sa femme, toujours présente à ses côtés, intervenait souvent pour calmer son côté perfectionniste.
Le lancement de ce projet dans la bibliothèque du Professeur et les séances qui s’en suivirent nous permirent à tous les deux de passer sur RFI lors des 60 ans de la Guinée. Dans la grande salle du Palais du peuple, j’ai eu le plaisir d’entendre nos échanges sur « Apprenti Citoyen » et de voir nos efforts félicités. J’eus également l’occasion d’en parler dans le journal Matalana qui, pour le même évènement, m’avait octroyé quelques pages pour parler d’Histoire et tout ceci grâce au Professeur Djibril Tamsir Niane.
Je vous parle de tout ceci aujourd’hui car ce ne sont pas tous les grands hommes qui ont l’humilité du Professeur Djibril Tamsir Niane. Ce ne sont pas tous les grands hommes qui accepteraient de recevoir des jeunes, de travailler avec eux, de les accompagner dans leurs projets et leur ouvrir la porte.
Ainsi, à la mémoire du Professeur Djibril Tamsir Niane, je promets de relancer ce projet, qui est né sous son égide. Je promets de raviver dans mon cœur cet amour pour l’histoire de la Guinée et de contribuer à le transmettre à d’autres. Que la paix de Dieu l’accompagne. Puisse la mémoire des hommes le garder en vie. Puisse chaque main qui ouvrira un de ses livres être pour lui une bénédiction dans le Saint paradis.
D’ailleurs, n’est-il pas vrai qu’il est dit dans la religion musulmane, que l’homme doit aller à la recherche du savoir, que ce soit du berceau jusqu’à la tombe ? N’est-il pas vrai qu’une place de choix est réservée aux érudits et aux hommes de science qui partagent leurs connaissances ?
Le Professeur Djibril Tamsir Niane a été un de ces hommes-là qui ont écrit bon nombre d’ouvrages et qui ont rendu aux Africains leur fierté. Il a permis aux petites filles comme moi à l’époque, de savoir que nous ne venons pas de nulle part, que nous avons une histoire extraordinaire, qui fait de nous des femmes et des hommes dignes.
Je pense qu’il est important que chacun, à la mesure de sa personne, puisse témoigner des bienfaits de ce grand homme. Il vivra à jamais à travers les pages de ses livres, à travers nos mémoires qui ont retenu mais aussi dans nos cœurs qui ont été touchés par son œuvre.
Maimouna Diakhaby