Sous nos cieux, la mort de l’être humain – qui qu’il soit – est censée susciter compassion, tristesse et recueillement. Mais dans le cas du président tanzanien, John Magufuli, décédé ce mercredi 17 mars 2021 à l’âge de 61 ans, on ne peut pas ne pas se rappeler l’incrédulité et les croyances superstitieuses dont il entourait la pandémie du nouveau coronavirus. L’ironie du sort c’est qu’il en est vraisemblablement mort. Bien sûr, la vice-présidente Samia Suluhu Hassan, en annonçant la nouvelle ce mercredi soir, a évoqué des problèmes cardiaques. Mais aurait-elle pu seulement admettre que le président souffrait de Covid, dans ce pays où la pandémie n’a pratiquement jamais été reconnue en tant que telle ? A l’image de Jair Bolsonaro du Brésil et dans une moindre mesure de Donald Trump, le président John Magufuli, fervent catholique, s’était distingué par les curieuses conceptions qu’il avait de la maladie de coronavirus. Ainsi, en lieu et place des masques et d’autres produits pharmaceutiques, lui s’était borné à inviter ses compatriotes à prier pour se débarrasser du mal. Malheureusement, cela n’aura pas suffi à le sauver lui en premier. Mais ce n’est pas le seul trait que l’on devrait retenir du défunt président tanzanien. Célébré au début de son premier mandat en 2015, il avait vu son image assombrie ces dernières années, du fait de la dérive autoritaire dans laquelle il était tombée.
Sortir de la logique du déni de la Covid-19
En juin 2020, le président Magufuli avait étonné le monde entier en annonçant qu’une papaye, une caille et une chèvre avaient été testées positives au Covid-19. C’était sa façon à lui de se moquer des tests qui étaient pourtant pratiqués aux quatre coins du monde. Mais de sa part, c’était surtout révélateur du peu de crédit qu’il réservait aux informations relatives à la pandémie du coronavirus. Ainsi, il ne s’est jamais rallié à l’idée que les masques peuvent participer à la protection contre la maladie. De même, en janvier dernier, il disait des vaccins qu’ils sont dangereux. Pourtant, tout porte à croire qu’il est mort de cette maladie au sujet de l’existence de laquelle il émettait de sérieux doutes. Absent de l’espace public depuis le 27 février dernier, certains Tanzaniens notamment ceux de l’opposition le disaient malade de Covid-19. Une thèse que le pouvoir ne pouvait évidemment pas admettre. D’autant que les précédents décès enregistrés notamment parmi les responsables du pays avaient été attribués à des pneumonies. Il n’est donc pas étonnant que la vice-présidente qui a annoncé ce mercredi le décès du chef de l’Etat ait imputé la cause à des problèmes cardiaques. Une vice-présidente qui, devant reprendre le flambeau pour parachever le mandat du président défunt, devrait néanmoins sortir le pays de la logique du déni de la pandémie.
Magufuli, le bulldozer et l’autoritaire
Quant au président John Magufuli, en dehors de ses conceptions décalées sur le coronavirus, on se rappellera de lui comme un président parti de pratiquement rien pour se hisser au sommet de la réussite. Né sur les bords du lac Victoria, dans le nord-ouest du pays, il est d’une origine modeste en effet. Pourtant, quand en 2015, il remporte les élections en récoltant 58 % des suffrages, il prend des décisions que louent tous ses compatriotes et au-delà tous les Africains épris d’une gestion moralisée de la chose publique. Elu avec la promesse ferme de sévir contre la corruption, John Magufuli, titulaire d’un doctorat en chimie, commence par interdire les voyages officiels en business class, réduit les per diem des délégations gouvernementales en mission à l’extérieur, réoriente une partie des fonds jadis destinés à la célébration de la fête nationale à une plus opportune campagne de nettoyage, lance de vastes programmes de construction d’infrastructures et négocie même de meilleurs contrats avec les compagnies étrangères. Des décisions pratiques qui rencontrent tout de suite une forte adhésion de la part des populations. D’autres dirigeants du continent sont même appelés à s’inspirer de son exemple. Sauf que plus tard, va se manifester chez lui une forme d’autoritarisme, se traduisant par une aversion contre la critique et la contradiction. S’installant progressivement dans une certaine paranoïa, il devait par la suite rendre la vie difficile aux journalistes et aux opposants. C’est ainsi qu’en octobre dernier, la présidentielle qu’il remporte en raflant plus de 84 % des suffrages a été très contestée. D’ailleurs, l’ONU dénonce l’arrestation d’au moins 150 opposants. Bref, comme c’est souvent le cas sur le continent, Magufulu a été très bon au début. Mais au lieu de se bonifier avec l’âge, il s’était quelque peu pervertit ces dernières années.
Ceci étant, qu’il repose en paix. Amen !
Boubacar Sanso BARRY