A la différence de la junte malienne qui, en août 2020, avait renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta, celle qui succède au pied levé à Idriss Deby Itno semble plutôt sereine. Bénéficiant d’une bienveillance certaine de la part de la communauté internationale, elle ne se préoccupe nullement des protestations de l’opposition politique et de la société civile tchadiennes. Ainsi, alors que les opposants exigent un dialogue inclusif pour définir les contours de la transition, la bande à Mahamat Idriss Deby Itno met tout le monde devant le fait accompli en désignant ce lundi 26 avril 2021, un premier ministre. Et le choix porte sur Albert Pahimi Padacké qui connait bien la primature tchadienne, dans la mesure où il y était déjà entre 2016 et 2018. Mais vu qu’il s’était entre temps reconverti en opposant, les soldats au pouvoir et leurs mentors auront jugé qu’il réunit le critère consensuel requis pour la circonstance. Mais il n’est pas sûr que cela suffise à rassurer les opposants dont une frange importante dénonce les trop grands rôles que les militaires s’attribuent déjà.
Dialogue de sourds
La situation qui prévaut au Tchad a tout d’un dialogue de sourds. D’une part, les opposants et quelques activistes de la société civile dénoncent à tue-tête le coup d’Etat par lequel, selon eux, le général Mahamat Idriss Deby Itno et la quinzaine de soldats du Conseil militaire de transition (CMT) se sont emparés du pouvoir. De l’autre, cette même junte, faisant mine de ne rien écouter, déroule tranquillement son agenda. En somme, le chien aboie, la caravane passe. Dans un tel contexte, même si le dialogue que réclame l’opposition venait à se tenir, cela risque bien de ne pas servir à grand-chose, car intervenant sans doute trop tard. En effet, à ce rythme, les militaires sont partis pour décider seuls des grandes orientations de la transition et de la distribution des principaux rôles.
Transition en otage
Or, cette approche solitaire et quelque peu suffisante n’est pas sans risques. Le premier étant que les militaires pourraient prendre en otage la transition. Autrement, se donner un certain nombre de libertés dont celle de demeurer aux affaires au-delà des 18 mois qu’ils promettent d’y passer. Ensuite, s’inspirant de Deby père, ils voudront également prendre part aux élections devant parachever la transition. Ce faisant, ils trouveront enfin le moyen de s’octroyer la victoire et ainsi le prétexte de rester en place, au-delà de la période intermédiaire. C’est à cette sombre perspective que nous expose l’indulgence coupable que la communauté internationale et la France en particulier témoignent à la junte tchadienne.
Le Tchad mérite mieux…
Pourtant, s’il y a quelque chose de positif à retenir de la disparition d’Idriss Deby Itno, c’est l’opportunité qu’elle offre au Tchad de commencer une nouvelle ère. Une ère empreinte d’un peu plus de détente et de bonheur partagé, avec une gestion reposant davantage sur les règles et les principes que sur la crainte que le chef ultime peut inspirer. Après plus de soixante ans d’indépendance, le Tchad mérite mieux que les coups d’Etat à répétition dont il a jusqu’ici été le théâtre. Il mérite mieux que la gestion chaotique dont l’importante manne pétrole a été l’objet durant les 20 dernières années. Les jeunes tchadiens méritent une formation de qualité et un emploi décent. Mais aucun de ces rêves de se réalisera si l’on ne prend pas le soin de baliser la transition. Si la tendance actuelle se poursuit, on est parti pour reproduire ce que le pays a jusqu’ici vécu. Or, si l’on veut éviter cela, il convient tout de suite de se montrer intransigeant avec Déby fils et sa clique. Ne pas les traiter comme des héros, alors qu’en réalité, ils sont des putschistes comme ceux sur lesquels on s’est acharné ailleurs.
Boubacar Sanso BARRY