Il y a plus de trois décennies, la Guinée se lançait dans la décentralisation, processus politique, technique et administratif de transfert de compétences et de ressources de l’Etat central vers des collectivités locales gérées par des organes élus. Ce virage après 26 ans de centralisme politique est engagé à partir du discours programme du 22 décembre 1985, discours fondateur de la deuxième république, prononcé par le Colonel Lansana CONTE, chef de la junte militaire qui prit le pouvoir le 03 avril 1984. Le choix est désormais porté sur la décentralisation dans un cadre libéral pour promouvoir la démocratie et le développement à l’échelle locale. Que de chemin parcouru avec des acquis et ratés à l’image de tout processus politique appelant à des changements profonds tant dans conception que dans les pratiques en matière de conduite des politiques publiques. Au nombre des acquis de cette décentralisation, on peut noter, la création et l’opérationnalisation d’un cadre juridique et institutionnel, l’organisation d’élections locales, l’apprentissage de la démocratie au quotidien, la conduite de projets de développement ou encore la mise à l’épreuve de mécanismes techniques et financiers pour accompagner les communes dans l’exercice de leurs compétences.
Cet apprentissage de la décentralisation a aussi fait émerger des défis importants relevés dans la Lettre de Politique nationale de Décentralisation et de Développement local, adoptée par décret en 2012. Parmi ces défis figure en bonne place le financement, un des éléments de ce que l’on pourrait qualifier de carré magique de la décentralisation à savoir : le foncier, la fiscalité, le financement et la formation. Ce financement est essentiel car conditionnant la capacité des collectivités locales à agir au quotidien en exerçant, comme il se doit, leurs responsabilités en matière de développement local. La bonne nouvelle est que désormais, en plus des ressources traditionnelles (subventions, impôts et diverses taxes), la Guinée s’est engagée dans la mise en place de fonds dédiés avec des ressources affectées pour financer son processus de décentralisation et de développement local afin d’accroître les capacités à fournir aux communautés à la base, des services qui leur sont essentiels.
Ainsi, il existe aujourd’hui, le Fonds de Développement Economique Local (FODEL) pour les zones minières, le Fonds national de Développement local (FNDL) destiné à toutes les communes sauf celles de Conakry et le Fonds de Développement des Communes de Conakry (FODECON)[1]. Il s’agit là de mécanismes importants, aux montants fléchés avec des communes au cœur des différents dispositifs dont l’objectif est de renforcer le processus de décentralisation et financer des projets de développement à la base. Cela est une avancée indéniable car sans un financement, point de décentralisation et de développement local effectifs. Opérationnaliser ces mécanismes tout en les qualifiant dans le temps est un investissement lourd mais nécessaire pour l’ensemble des acteurs avec des défis importants. Le premier défi est celui de réussir la mobilisation et la disponibilisation des ressources financières pour s’assurer de l’effectivité des fonds. Cela nécessite une implication des gestionnaires et des ministères assurant les tutelles pour les démarches administratives nécessaires. Cela est extrêmement important pour la continuité des mécanismes, la confiance et l’engagement des différents partenaires. Le deuxième défi reste la mise à l’épreuve d’une gouvernance participative et transparente permettant à chaque acteur de jouer le rôle qui lui est assigné. Cela passe par le respect des manuels de procédures techniques et financières; le recueil, le traitement et la diffusion de l’information autour des activités et résultats atteints.
Le troisième défi est celui de faire de ces mécanismes financiers de véritables instruments d’appui à la maîtrise d’ouvrage locale. Il ne s’agira pas seulement de financer des projets. Il faudra le faire avec les élus et équipes techniques des communes dans une logique d’apprentissage pour leur permettre de renforcer leurs capacités à initier, mettre en œuvre, suivre et évaluer des projets de développement. Objectif, faire de la conduite de ces projets financés un cadre d’action pour améliorer sans cesse l’exercice des compétences transférées aux collectivités et leur autonomie. Très concrètement, à travers la conduite des projets financés, les élus locaux et leurs équipes devront renforcer leurs capacités à initier, concevoir, mettre en œuvre, suivre et évaluer les actions de développement. Il faut en réalité saisir l’opportunité de ces mécanismes pour développer une approche de formation et de renforcement de capacités in situ, démarche d’apprentissage qui aiderait les collectivités locales et l’ensemble des administrations déconcentrés qui travaillent avec elles d’améliorer constamment l’exercice de leurs compétences. Et pour les collectivités locales de s’autonomiser davantage. Telle est l’essence même de la décentralisation.
Cela peut prendre du temps, mais nécessaire pour une appropriation locale des initiatives et des démarches mises en place pour concrétiser ces projets. Le quatrième défi sera pour les gestionnaires de ces fonds de faire preuve d’innovation technique pour aller vers des projets plus inclusifs, protecteurs des écosystèmes ou encore valorisant des savoir-faire locaux souvent en perdition dans un cadre de dialogue avec les élus locaux. Intégrer ces défis dans l’action de tous les jours est essentiel pour réduire les incertitudes de corrélation entre décentralisation et développement local. Faudrait-il rappeler qu’il ne suffit pas de décentraliser pour avoir un développement local. Tout dépend finalement de la volonté politique de l’Etat, se mesurant par la qualité des ressources mises à disposition pour opérationnaliser les mécanismes d’appui à la maîtrise d’ouvrage locale dans une démarche globale décentralisatrice. Disons que la Guinée a franchi une étape par la mise en place de ces mécanismes financiers, il appartient désormais à l’ensemble des acteurs publics et privés, de travailler à opérationnaliser ces mécanismes de redistribution de la richesse nationale, puisqu’il s’agit bien de cela, en faisant en sorte que les objectifs soient atteints et mesurables par une augmentation de l’accès aux services de base (santé, éducation, hydraulique, hygiène et assainissement, information…) pour les populations. C’est aussi à l’aune de cette nécessité de redistribuer la richesse nationale que l’on peut percevoir l’importance de ces mécanismes financiers appelant du coup l’ensemble des acteurs à faire preuve de volonté et d’engagement dans l’exercice de leurs rôles et responsabilités. Cela passera aussi par la rigueur dans le choix des hommes et des femmes devant gérer au quotidien ces fonds, la rigueur aussi dans le choix des projets, le respect des règles et procédures, la mise à l’épreuve d’une démarche participative et la nécessité de redevabilité vis-à-vis du contribuable guinéen. Le respect de ces conditions permettra d’aller vers une opérationnalisation de ces fonds et conduire à une décentralisation et un développement local effectifs en Guinée.
Boubacar Sidighi Diallo, Economiste de Développement et Consultant
Expert en Décentralisation, Développement Local et Coopération
Contacts : 624 61 22 75 / [email protected],
[1] FNDL (décret D/2017/285/PRG/SGG du 31 octobre 2017), FNDL (décret D/2017//298/PRG/SGG du 11 novembre 2017), FODECON (décret D/2020/185/PRG/SGG du 05 août 2020).