A l’occasion de la célébration, ce 10 août de la Journée africaine de la Décentralisation et du Développement local, un lecteur a cru devoir nous transmettre cette réflexion. Tout au long de cette tribune, l’auteur s’évertue à nous démontrer le bien-fondé et la pertinence de la Décentralisation. Dans le cas de la Guinée, admettant que des efforts considérables ont été consentis, il met cependant en évidence les défis qu’il convient d’aborder et de relever pour que les objectifs escomptés soient au rendez-vous.
Qui s’occupe de la gestion des ordures et de l’éclairage public ? Comment ces interventions sont-elles financées ? Combien ça coûte au contribuable ? Comment interviennent les communautés dans la fourniture des services publics ? Comment accompagne-t-on les autorités communales dans l’exercice de leurs compétences ? Comment rendre efficaces les interventions citoyennes dans la gestion des communes ? Quels rôles pour les autorités administratives dans la conduite des projets développement à la base ? Quels recours pour les citoyens en cas de défaillance du service public ? Voilà autant de questions dont les réponses ne sont pas évidentes pour les praticiens et avertis du champ de la décentralisation et du développement local, à plus forte raison le Guinéen lambda. Et pourtant la réponse à chacune de ces questions conditionne l’impact du service public, tel que le citoyen le ressent au quotidien.
L’une des conséquences de l’histoire contemporaine de la Guinée reste la forte centralisation de l’exercice du pouvoir politique faisant de la décision sur les choix collectifs, un attribut de quelques- uns même si théoriquement, la Guinée a tourné dos au socialisme politique en 1984. Dans la pratique, au-delà de la posture libérale du régime politique affichée depuis, l’Etat reste très concentré et bien évidemment la conduite des politiques publique n’échappe pas à cette réalité. Résultats, pas mal de choix souvent erronés, une impulsion et une coordination insuffisantes, des démarches pas très bien comprises, une faible mobilisation des citoyens et des résultats pas à la hauteur, ni des ressources encore moins des aspirations collectives.
C’est là tout l’intérêt des processus de décentralisation avec la création constitutionnelle d’institutions autonomes dotées de pouvoirs et de ressources pour assumer certaines responsabilités dans la vie du citoyen. La Guinée s’y est engagée depuis la fin des années 1980 avec cette volonté de faire du développement à la base une réalité avec une libre implication des citoyens. Des avancées ont certes été notées comme au début de tout processus, mais à bien des moments, le bateau de la décentralisation et du développement local a tangué et bien failli chavirer. Et, fort heureusement, depuis une dizaine d’années, on sent une certaine volonté matérialisée par d’importantes réformes en vue d’aller de l’avant, malgré les soubresauts inhérents à de tels processus. Maintenir ce cap des réformes est essentiel car la Guinée souffre énormément des conflits de compétences dans la gestion des affaires publiques, de l’ignorance des principes et règles de fonctionnement d’un Etat pourtant décentralisé, depuis plus de trente ans.
Ces réalités, le pays les paye en coûts politiques et socio-économiques avec notamment la faible capacité de ses institutions nationales et locales à promouvoir un bien-être collectif. Ancrer davantage les principes et démarches de la décentralisation en tant que philosophie et option politique dans la fourniture des services publics est une solution pour faire face aux défis du développement en Guinée. Il est vrai que les processus de décentralisation sont compliqués et remettent au goût des enjeux politiques, socioéconomiques voire identitaires. Ce sont des réalités qu’on ne pourrait nier et l’expérience guinéenne est édifiante en la matière. Cependant, ces processus mobilisent, rassurent et crédibilisent la conduite des politiques publiques en apportant une fine connaissance des terroirs, des ressources, des acteurs et des possibilités de dynamiques de développement. De tels cadres juridique et institutionnel permettent de mieux élaborer les politiques publiques en les ramenant à des échelons territoriaux plus aptes à les concrétiser avec ceux qui en sont les bénéficiaires, en calibrant les projets, le tout avec une implication des communautés à la base. Ce sont là des ingrédients essentiels à la réussite d’une action/initiative de développement.
Certes des efforts importants ont été faits ces dernières années en la matière avec la conception et l’adoption de la Lettre de Politique Nationale de la Décentralisation et du Développement Local, la mise en route d’instruments financiers avec la création de fonds dédiés (fonds national de développement local, fonds de développement des communes de Conakry, fonds de développement économique local), la conception et la mise à l’épreuve d’outils techniques de planification du développement à la base, l’adoption d’un nouveau code des collectivités locales ou encore l’organisation d’élections locales. Cet élan doit être poursuivi tant la marge de progression reste importante. Approfondir ce processus de décentralisation en faisant en sorte que la philosophie politique, les démarches techniques et les pratiques associées soient le plus largement partagées et mises en pratique conduira nécessairement à repenser la gouvernance des politiques publique en Guinée. Cela passe notamment par une amélioration continue des cadres juridique et institutionnel, le renforcement des capacités techniques des collectivités locales, des services déconcentrés et des administrations centrales ; l’effectivité des transferts financiers vers les collectivités locales, l’appui à la maîtrise de la chaîne de recouvrement des impôts et taxes locaux, le développement de la coopération intercommunale … Objectif, aller vers une autonomie plus grande des collectivités locales. Cette autonomie se mesure par la capacité technique et opérationnelle des collectivités locales à exercer leurs prérogatives à l’échelle de leur territoire.
Cette capacité propre renvoie à la maîtrise par les collectivités locales de leurs recettes et dépenses ; à savoir initier, mettre en œuvre, suivre et évaluer des projets de développement ; à organiser et faire vivre des cadres d’échanges et de partenariats et promouvoir leur territoire. Ce travail est colossal. Il prendra du temps, mobilisera des ressources et nécessitera une volonté politique (celle qui définit les orientations et affecte les ressources) continue durant les prochaines décennies. La Guinée a tout à gagner à aller dans ce sens. Car avec l’émergence à l’échelle globale des notions et de pratiques de territorialisation des politiques publiques, le temps est venu d’approfondir encore ce processus politique qui facilite l’éclosion de ressources territoriales en faisant des échelons infranationaux de véritables promoteurs du développement. Ainsi, pourrons émerger des centres de pouvoirs locaux, plus proches des besoins des populations et en capacité de les satisfaire via des initiatives propres. A vrai dire, un processus de décentralisation conduit minutieusement et dans le temps, en tant que vision politique permettra sans nul doute, de rééquilibrer davantage les centres de décisions entre Conakry et les périphéries en créant de nouveaux espaces de conception, de mise en œuvre et de coordination des politiques publiques.
La Guinée a une expérience en matière de développement local, différents programmes ont été menés dans ce sens. On peut notamment citer le Programme d’Appui aux Communautés villageoises qui a contribué à équiper et à améliorer l’accès aux citoyens à des services essentiels. Avec le temps, les communautés s’approprient les processus de développement à la base et manifestent cette volonté d’y contribuer en mettant à disposition leurs ressources (argent, compétences, réseaux) et exigent d’être considérés comme acteur à part entière dans la prise en charge de leurs besoins. C’est cela l’essence même de la décentralisation. Il faut aussi noter qu’aujourd’hui à l’échelle globale, le niveau local est promu et devient attractif. En témoignent tous les outils techniques et les mécanismes de financement développés par les partenaires techniques et financiers pour toucher dans leur déploiement, au plus près des réalités que vivent les communautés à la base. Au-delà, nous sommes à un moment où émergent ailleurs de véritables dynamiques avec l’action de gouvernements et d’exécutifs locaux, où se forment des réseaux d’action multiples et s’expérimentent des modèles de gestion des collectivités locales, avec à la clé, des résultats tangibles en termes de services rendus aux communautés. Au regard de ces éléments et de l’expérience propre de la Guinée, ancrer la politique nationale de décentralisation dans sa dimension transversale permettra sans nul doute à ce pays, de trouver de nouvelles ressources pour aller vers un développement national plus équilibré, inclusif et reposant sur des dynamiques locales.
Boubacar Sidighi Diallo, économiste et consultant
Expert en Décentralisation, Développement local et Coopération