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GUINEE : un État assommé, des populations déshumanisées (Tribune)

Une conjonction d’intérêts individuels a achevé la privatisation de la société guinéenne et accentué la deshumanisation des relations sociales et politiques. Les décideurs politiques en complicité avec des personnes issues des milieux communautaire, militaire, universitaire, religieux et syndical ont réussi à entretenir des structures de domination génératrices de profits économiques et de prestiges sociaux. Avoir sa place au sein de la chaîne de redistribution de ces profits est devenu l’enjeu central de la relation entre les tenants du pouvoir et ceux qui les courtisent ou même parfois les contestent, ce qui a eu pour effet d’assommer « l’État » en le vidant de tout idéal d’intérêt collectif. Chacun se substituant à l’État, ceux qui dirigent et certains qui veulent tirer profit du pouvoir se rejoignent dans un objectif commun mais funeste : broyer le collectif et vivre aux dépens des autres par la confiscation des richesses du pays.

Tyrannie du profit et normalisation de la violence

Outre la pratique de corruption qu’elle généralise, cette tyrannie du profit et la normalisation de la violence qui l’accompagne « légitime » un commerce de l’indifférence, du mépris et de la haine. Ce qui montre que notre pays est traversé par une rationalité anti humaniste et une culture de l’arbitraire qui rend les décideurs politiques sourds à toutes les alternatives qui leur sont proposées, depuis 1990. Contrairement à ce que l’on croit, ce ne sont pas les propositions de solutions qui manquent à la Guinée. Depuis la mort de Sékou Touré, les intellectuels et universitaires s’investissent dans les réflexions théoriques et pratiques pour sortir notre pays de la grande nuit de la dictature. La question est désormais de savoir pourquoi ces réflexions n’ont pas eu d’échos auprès des acteurs et décideurs politiques, et quels sont les facteurs endogènes qui justifient ce qu’il faut appeler, à la suite d’Axel Kabou, le refus du développement. Il me semble que nous, intellectuels et universitaires, devons rendre intelligible et interpréter cette rationalité antihumaniste et cette culture de l’arbitraire : il faut comprendre les raisons de la surdité politique et les complicités sociales qui la renforcent. Ce sera la première étape dans la longue lutte contre les injustices et les inégalités en Guinée.

Nul besoin d’aller plus loin pour donner un exemple de cette conjonction des intérêts individuels et du « commerce de l’indifférence et du mépris » qu’elle rend possible : voyons comment Fodé Bangoura a consenti à l’instrumentalisation politique du Cadre permanent du dialogue politique et social, de quelle manière les directions syndicales ( transporteurs, CNTG-USTG) s’allient au régime de Alpha pour faire accepter auprès de ses membres toutes les décisions arbitraires et injustes, le comportement de Dansa Kourouma et bien d’autres représentants de la société dite civile dans la légitimation du troisième mandat , la position ambiguë du premier Imam de Faycal , le soutien décomplexé de la notabilité de la Haute-Guinée au régime de Alpha ; et que dire des cas d’école que représentent le professeur Bano barry, Tibou Kamara, Aboucar Sylla et autres, qui, exploitant la fluidité du champ politique guinéen, ont décidé d’être des alliés objectifs de la forfaiture et de la dictature.

La Guinée a toujours carburé à l’égocratie

Où en sommes-nous avec la conscience de notre humanité commune ? Avec l’idée d’humanité tout court ? Si pour vivre paisiblement et manger tranquillement, je dois consentir à ce que l’autre soit écrasé dans sa dignité, que des représentants de ma communauté dominent, tuent et emprisonnent les autres, qu’est-ce qu’il me reste, moi homme, de l’idée de la dignité humaine et de la défense d’un intérêt commun que celle-ci commande. Mais au-delà de ces interrogations, ce sont ces comportements et l’état d’esprit qui les accompagnent qu’il faut comprendre ? Ils traduisent une déficience du jugement moral et politique ou un manque d’humanisme, ou les deux à la fois. La rationalité anti-humaniste et la culture de l’arbitre qu’elle favorise sont liées avant tout aux modes de pensée et d’être.  Lorsqu’on étudie la trajectoire de nos décideurs politiques et le comportement de certaines personnes censées représenter une autorité morale et religieuse, on voit clairement un problème de jugement et une crise de l’imagination, que signifie leur incapacité à prendre en compte un intérêt commun et à promouvoir une coexistence sociale régie par la valorisation du commun. C’est donc la dimension du raisonnable, cette capacité à défendre son intérêt personnel en tenant compte des intérêts d’autrui, qui manque cruellement aux décideurs politiques et à leurs complices. Le raisonnable suppose une conscience de l’altérité. Depuis 1958 malheureusement, notre pays fonctionne au rythme d’un moi devenu tyrannique, une égocratie pour reprendre Soljenitsyne.  Or, il ne peut y avoir de société paisible, progressiste sur les plans économique, politique et social sans un minimum de raisonnabilité. Et c’est à l’avènement d’une culture du raisonnable qu’il faut travailler si nous voulons traiter la surdité politique et le refus du développement, ce qui implique une profonde mutation politique et une éducation morale, intellectuelle et sociale des personnes…

Amadou Sadjo Barry

Professeur de philosophie

Cégep de St-Hyacinthe

Québec, Canada

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