Assurer une Transition à la suite du renversement du pouvoir autoritaire de Alpha Condé ne peut être une simple affaire de passation de service. Toutefois, la complexité de la mission dépendra des objectifs sur lesquels les parties prenantes vont s’accorder. Ainsi, trois questions principales méritent d’être posées :
- Qui dirigera la Transition ?
- Que doit-on faire pendant la Transition ?
- Quelle serait la durée de la Transition ?
L’une après l’autre et étape par étape, si on arrive à répondre à ce triple questionnement, on aura surmonté à une très grande partie des défis qui s’impose au peuple.
- Qui dirigera la Transition ?
i. Le cadre légal. Ceci requiert la création des instruments légaux qui constitueront l’échafaudage de la Transition. Pour cela, entre autres, nous avons besoin :
- Une Charte qui définit les grandes orientations de la Transition ;
- Une Feuille de route qui est la définition des tâches précises qui doivent être accomplies par les parties prenantes au cours de la durée de la Transition. Cette Feuille de route doit être SMART :
a. Spécifique – clairement définie et répondant à un besoin spécifique : qui, quoi, pourquoi, où et lequel),
b. Mesurable – quantifiable, ou au moins permettant des progrès mesurables. Il ne sert à rien d’avoir et de mesurer un objectif impossible à atteindre,
c. Atteignable – l’objectif doit être réaliste, et tenir compte des contraintes existantes,
d. Réaliste – est-ce que toutes les tâches à accomplir pour aboutir à l’objectif fixé sont bonnes pour le peuple et économiquement rentables pour la Guinée ? Est-ce réellement le moment indiqué pour les réaliser ?
e. Temporel – l’objectif doit être définit dans le temps, chaque tâche doit être achevée dans un temps déterminé et précis).
ii. Le cadre institutionnel. Ce cadre permet d’identifier les structures (existantes ou à créer) qui permettront de gérer la Transition. Entre autres, nous aurons besoin :
- Présidence de la Transition– une personne (ou un groupe de personnes) qui occupera les fonctions de Chef de l’État. En Guinée, le Chef de la Junte pourrait occuper la fonction de Chef de l’État pendant cette période de Transition.
- Gouvernement de la Transition – dirigé par un Premier Ministre qui est Chef du Gouvernement, et il préside le Conseil des Ministres. Ce Gouvernement doit être majoritairement civil, et composé de Jeunes, Femmes et d’Hommes Guinéens très compétents et qui répondent aux valeurs d’honnêteté, d’intégrité, de responsabilité, d’objectivité et d’impartialité. En 2010, on avait mis en place un Gouvernement d’Union Nationale composé de 32 Ministres et de 2 Secrétaires Généraux. Combien en aura-t-on réellement besoin en 2021 ?
- Une Assemblée de Transition – communément appelée Conseil National de la Transition (CNT), est l’organe qui assure les fonctions législatives pendant la Transition. En 2010, le CNT avait 101 membres. Combien en aura-t-on besoin en 2021 ? Quel serait le quota pour les trois parties (Société Civile, Partis Politiques et CNRD) et quel serait la clef de répartition ?
- Commission de Suivi de la Transition – qui est un organe de suivi, d’évaluation et d’accompagnement qui pourrait, entre autres, avoir comme mission l’élaboration de rapports mensuels et trimestriels sur la gestion sectorielle et globale et la progression de la Transition. Cette Commission peut être soit totalement indépendante. Elle pourrait être composée d’une quinzaine de membres représentant la Société Civile, le CNT et les partenaires techniques de la Guinée.
- Le Judiciaire – qui reste indépendant des autres pouvoirs, et assure l’application de la Loi. Les organes qui impactent le cours de la Transition sont la Cour Suprême (avec sa Chambre Constitutionnelle) et la Cour des Comptes. Les magistrats ne doivent être soumis dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’autorité et à l’esprit de la Constitution et des Lois, en toute objectivité et en toute impartialité. Généralement, les hauts responsables de ces institutions sont inamovibles pendant toute la période transitoire.
- La Commission chargée des Réformes de l’État – qui aura pour principale mission de créer les instruments légaux qui régiront non seulement la Transition, mais aussi l’après Transition. Par exemple, avec la réforme constitutionnelle : que faudrait-il amender de la Constitution de 2010 afin qu’elle soit conforme aux besoins et exigences du moment ? Quelles Lois faudrait-il retoucher ou créer pour se conformer à la nouvelle Constitution et aux défis actuels ? Quelle réforme institutionnelle aura-t-on nécessairement besoin pour assurer la Transition ? Une chose est dite « nécessaire » si elle ne peut pas ne pas Cette Commission peut être, soit totalement indépendante, ou une commission ad hoc mise en place par l’Exécutif.
- La Commission Électorale – qui a pour principale mission l’organisation des élections législatives et présidentielles (et peut-être celles locales aussi ?). Cependant, l’organisations de ces consultations électorales requiert des préalables :
a. Définir le type de Commission Électorale – est-ce une « Commission Électorale classique » composée de représentants issus de la Société Civile et des partis politiques ? Ce fut souvent le cas en Guinée. Ceci requiert aux parties prenantes de designer des représentants qui seront les Commissaires de la Commission. Ou bien faut-il avoir une « Commission Electorale professionnalisée » ou « technique » ? Mettre en place une « Commission Electorale professionnalisée » serait l’idéal puisque cela résoudra un sérieux problème qui gangrène cette institution. Pour s’y prendre, il faut tout d’abord définir les besoins en ressources humaines et établir un organigramme général des compétences. Ensuite, constituer des fiches de poste en fonction des services définis au sein de la Commission Electorale, avec des profils précis, des prérequis et surtout le rôle et la responsabilité pour chaque poste identifié. A ce niveau, il faut savoir Qui doit faire quoi ? A-t-on besoin d’un juriste ? Si oui, dans quel domaine doit-il être spécialisé ? A-t-on besoin d’un informaticien – qui a quelle expertise précise ? A-t-on besoin d’administrateurs, de traducteurs et d’interprètes ? A-t-on besoin de coordinateurs, d’auditeurs, etc. C’est ainsi qu’on se tourne vers le marché de l’emploi où on recrute une équipe professionnelle de façon transparente sur la base des compétences des postulants.
Même si ces textes existent déjà, si on ne les applique pas, la culture de la médiocrité s’imposera. Pourquoi ne pas généraliser rigoureusement cette formule au niveau de toutes les fonctions non politiques de l’État ?
Faudrait-il décentraliser la Commission Électorale par zone administrative / préfectorale comme c’est le cas dans certains pays surtout Anglophones ou bien garder la configuration « centralisée » classique ?
b. Recensement électoral – requiert, le plus souvent, le recrutement d’opérateur technique (local ou international ?) expérimenté dans le recensement de tous les électeurs – aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Guinée. Il faut un temps suffisant (temps légal) pour lancer un appel d’offre et puis recruter de façon transparente. Faut-il faire un recensement intégral ou partiel ? Pour l’un ou l’autre cas, combien de temps faudrait-il pour accomplir ce recensement et s’assurer que le nouveau fichier reflète bien le corps électoral ?
c. Fixer la date des élections – c’est dans la définition des tâches impératives à accomplir et le temps que chacune de ces tâches nécessitera qu’on arrive à projeter une date pour les élections (avec une marge de temps pour les imprévus). Quelles élections : locales, législatives, présidentielles ? Faudrait-il coupler les 2 premières ? Ou bien faudrait-il cumuler toutes les trois à la fois ?
d. La logistique électorale – elle comprend tout ce qui est lié aux matériels électoraux : cartes électeurs, cartographie, bulletins de vote, urnes, véhicules de transport, imprimantes, documentation électorale, site internet, points ou centres de contact, etc.
iii. Les ressources humaines:
S’il y’a une chose qui n’a point manqué en Guinée, ce sont les ressources humaines compétentes pour gérer la chose publique. Cependant, le véritable problème a toujours été sur :
- Qui fait le choix ou la sélection : est-ce que la sélection des Hommes et Femmes qui gèrent le bien public a été faite par des personnes compétentes ? Est-ce que ces personnes ont été formées pour recruter des fonctionnaires de l’État ? Est-ce leur rôle d’effectuer ce recrutement ? Le recrutement peut être assuré par une tierce partie dont le rôle est uniquement le recrutement et la formation du personnel.
- Sur la base de quels critères ces choix ont été opérés : souvent le recrutement semble être biaisé et subjectif, sur des bases relationnelles, ethniques, ou tout simplement de gains personnels.
- Pour quelle fin : est-ce pour servir le pays ou pour servir ses propres intérêts ? Est-ce pour l’intérêt commun national ou pour celui individuel ou d’un groupe d’individus ?
Pour parer à tout cela, nous devons nous rassurer que les personnes qui auront la responsabilité d’assumer certains postes clefs ont été recrutées suivant les prescriptions ou règles régissant le marché de l’emploi. Par exemple, au niveau du Judiciaire, de la Commission chargée des Réformes de l’État et peut être même au sein de la Commission Électorale.
Au marché de l’emploi. Une fois que les tâches à accomplir sont connues, il serait facile de savoir quelles sont les ressources humaines dont on aura besoin (le nombre, les niveaux et pour combien de temps). D’abord, on définit les besoins réels en ressources humaines ; ensuite on définit les profils des personnes à recruter, les prérequis et la mission pour chaque poste identifié ; avant de procéder au recrutement du personnel requis de façon transparente et inclusive ; et sur la base des compétences avérées des candidats. Cette tâche peut aussi être confiée à une tierce et indépendante partie professionnelle qui n’a aucun intérêt à favoriser un quelconque candidat.
Question : Pour le cas Guinéen, devrait-on accepter l’idée selon laquelle les personnalités et/ou organisations qui assureraient la Transition ne devraient, en aucun cas, avoir activement soutenu, accompagné ou justifié le putsch constitutionnel de 2020 ?
B. Que doit-on faire pendant la Transition ?
S’accorder sur les tâches impératives à accomplir pendant la période de Transition est un aspect crucial de la Transition. S’il est important de ne pas bâcler la Transition, il est aussi vital pour la démocratie et la paix de ne pas la « prolonger » au-delà du raisonnable. En tout état de cause, pour chaque tâche qu’on souhaite inclure dans la mission de la Transition, il faudra bien se poser ces 3 questions
- Est-ce nécessaire ? – ceci est de savoir si réellement cette activité ou cette tâche doit impérativement être accompli pendant la période transitoire. Est-ce que le fait de ne pas l’entreprendre peut négativement impacter la vie de la population Guinéenne ?
- Est-ce opportun ? – ceci nous permet de savoir si c’est une activité ou tâche qui pourrait être réalisée plutôt par la nouvelle administration qui entrera en fonction à la fin de la Transition. Est-ce que le fait de ne pas l’entreprendre maintenant peut négativement impacter l’objectif final de la Transition ?
- Est-ce du ressort d’un gouvernement de Transition ? – certaines activités sont belles à être réalisées pour le bonheur du peuple. Toutefois, puisque nous sommes dans une période transitoire, est-ce du ressort des autorités de la Transition d’entreprendre des projets de développement de la Guinée ? Si les autorités de la Transition se lancent dans des projets de développement local / national ou initie de gros projets, quelle serait l’utilité des partis politiques qui ont des projets de société ? Il faut savoir qu’une transition n’a aucunement pas pour vocation de développer le pays. Son objectif final doit être de mettre le pays sur la voie du développement en lui offrant les instruments fondamentaux pouvant conduire la nation vers l’émergence. En période transitoire, on ne doit donc pas se fixer comme objectif de régler tous les problèmes de la Guinée. Dieu sait qu’ils sont complexes et infinis ! Ne devrait-on pas nous limiter à offrir au pays des institutions crédibles et légitimes.
C’est pour tout cela qu’il faut être SMART et s’accorder sur les tâches et activités essentielles qui conduiront à une transition apaisée et réussie. Le succès de la Transition Guinéenne réside dans l’acceptation et l’exécution fidèle de la Feuille de route définie par les parties prenantes.
C. Quelle serait la durée de la Transition ?
Une fois que nous parlons de la Transition en Guinée, on cherche automatiquement à savoir la durée de la Transition. Chercher à définir une durée de la Transition sans avoir préalablement définit, de façon consensuelle, les tâches à accomplir serait de mettre la charrue avant les bœufs. Nous devons d’abord identifier ce qui est nécessaire de faire pendant cette période. Une fois cet inventaire des tâches est fait, l’on devra s’atteler à déterminer le temps nécessaire à accomplissement de chacune des tâches.
Certaines tâches peuvent être entreprises au même moment, tandis que d’autres doivent se faire en cascade, donc l’une après l’autre. Par exemple, on ne peut pas imprimer les cartes d’électeurs sans avoir d’abord recruté un operateur technique et recensé les électeurs correctement.
Pour clairement définir une durée réaliste, il ne s’agit pas de se fixer une courte, moyenne ou longue échéance dans laquelle on cherchera à accomplir des choses. Le plus souvent, cette méthode engendre des déceptions. Lorsqu’il y’a une transition en place, cela veut dire que quelque chose ne marchait pas comme il le fallait – donc, nous sommes dans une crise. Un gouvernement de transition est un système mis en place pour permettre le passage d’un type de gouvernement (indésirable) à un autre (désirable). Pour le cas Guinéen, l’ancien régime a été simplement renversé et démantelé par les Forces Spéciales le 5 septembre 2021. Les causes d’une transition peuvent varier d’un pays à un autre : crises économiques et politiques (Tunisie, Soudan, Burkina Faso), catastrophes naturelles (Haïti), guerre et conflits (Soudan du Sud) et même l’assassinat par une puissance étrangère (Iraq et Libye).
Les durées varient selon les contextes sociopolitiques, géostratégiques et selon le niveau de gravité des problèmes ou de la complexité des défis à surmonter. D’où l’importance de définir les priorités des autorités transitoires.
Par ailleurs, l’État étant une continuité, il doit, normalement, continuer à exister. Généralement, en période de transition, les investisseurs restent méfiants et les bailleurs de fonds traditionnels gèlent les fonds destinés au pays. Mais, s’il y a un consensus entre les acteurs de la transition sur les tâches à accomplir et la durée raisonnable de la transition, on pourrait s’attendre à un accompagnement actif (financier et technique) des partenaires internationaux. Après le gros financement de 3 élections en 2020, on n’a pas besoin d’être un génie pour savoir que la Guinée a besoin d’argent pour pouvoir faire face aux exigences de l’Etat et aux besoins de base de la population. Si la Transition Guinéenne dure très longtemps et elle n’est ni consensuelle et encore moins soutenue, la Junte risque donc de se retrouver en difficulté.
Le tableau ci-dessous recapitule la durée des transitions dans certains pays à travers le monde, dans les 20 dernières années. On note diverses durées de transitions, allant de 8 mois à un maximum de 3 ans.
Pays en Transition | Durée de la Transition | Notes / Observations |
Mali (2020) | 17 mois | Une partie du pays en guerre. Après le renversement de Ibrahim Boubacar Keita en août 2020, Bah N’Daw puis Assimi Goita dirige la transition malienne qui débuta en septembre 2020 jusqu’en février 2022. Transition en cours. |
Tchad (2019) | 18 mois | Une partie du pays en guerre. A la mort de Idriss Déby en avril 2021, son fils, Mahamat Idriss Déby, à la tête du Conseil Militaire de Transition, annonce prendre le pouvoir pour une durée transitoire de dix-huit mois, à l’issue de laquelle des élections doivent être organisées. |
Algérie (2019) | 8 mois | Après la démission de Abdelaziz Bouteflika en avril 2019, après 20 ans de règne, une courte transition sera assurée par Abdelkader Bensalah d’avril à décembre 2019. |
Soudan (2019) | 3 ans 3 mois | Une partie du pays en guerre. Plus de 29 ans de règne de Omar Al-Bashir. Une période de transition de 39 mois dirigée par un membre du Conseil Militaire de la Transition pour les 21 premiers mois et un membre civil du Conseil de Souveraineté pour les 18 mois restants. |
Burkina Faso (2014) | 13 mois | À la suite de la démission du président Blaise Compaoré le 31 octobre 2014, Michel Kafando avait exercé les fonctions de président pendant une période de transition de novembre 2014 à décembre 2015 |
Centre-Afrique (2014) | 2 ans 2 mois | Pays en guerre. Catherine Samba-Panza assura la période transitoire, en tant que Chef de l’État, de janvier 2014 à mars 2016. |
Mali (2012) | 16 mois | Une partie du pays en guerre. A la suite de la démission de Amadou Toumani Touré suite au coup d’État de mars 2012, Dioncounda Traoré est investi président de la République par intérim d’avril 2012 à septembre 2013. |
Tunisie (2011) | 11 mois | Constatant la vacance du pouvoir laissée par la fuite de Ben Ali dans le cadre de la révolution tunisienne, Fouad Mebazaa devient Président de la Tunisie pendant la période transitoire, de janvier à décembre 2011. Il transmet le pouvoir à Moncef Marzouki en décembre 2011 à la suite des élections présidentielles. Transition après 23 ans de règne de Ben Ali. |
Egypte (2011) | 16 mois | Après plus de 29 ans de règne de Hosni Mubarak, le Conseil Suprême des Forces Armées prit le pouvoir de février 2011 à juin 2012, conduit par Mohamed Hussein Tantawi qui organisa les élections présidentielles qui ont conduit à l’élection de Mohamed Morsi. Celui-ci sera déposé après 1 an d’exercice. Adly Mandour dirigera la prochaine transition de 11 mois. |
Guinée (2010) | 2 ans | D’abord de décembre 2008 à janvier 2010 avec Moussa Dadis Camara (13 mois) ; puis de janvier 2010 à décembre 2010 avec Sékouba Konaté (11 mois). Transition après 24 ans de règne de Lansana Conté. |
Iraq (2003) | 1 an 10 mois | Pays en guerre depuis 2003. Le Conseil de gouvernement irakien était le gouvernement provisoire de juillet 2003 à juin 2004. Puis, un gouvernement de Transition a été mis en place de juin 2004 à avril 2005, qui fut ensuite remplacé. |
Afghanistan (2002) | 2 ans 5 mois | Pays en guerre depuis 2001. De juillet 2002 à décembre 2004 – transition assurée par Hamid Karzai. |
Contribution 1 sur 4.
Une Analyse de Abraham Diallo, Angleterre