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GUINEE : chute d’Alpha Condé et collusion avec Jeune Afrique

En 2010, à la suite d’une transition militaire qui a duré 2 ans, Alpha Condé est élu Président de la République. La presse internationale le décrit alors comme premier Président démocratiquement élu du « jeune » Etat guinéen. Avec cette élection, les Guinéens et les amis de la Guinée pensaient tourner la page des meurtres gratuits et des expéditions punitives qui jalonnent l’histoire du pays depuis un demi-siècle, notamment sous les régimes de Sékou Touré et Lansana Conté, respectivement premier Président de la République populaire révolutionnaire de Guinée et deuxième Président de la République libérale de Guinée.

L’élection d’Alpha Condé en 2010 a suscité de vives critiques et de sérieuses interrogations. Arrivé deuxième au premier tour de la présidentielle avec 18% des voix contre 44% pour Cellou Dalein Diallo (ancien premier ministre sous le régime de Lansana Conté), il est donné vainqueur au second tour avec 52,5% des voix. En violation systématique des lois électorales du pays, quatre mois s’écoulèrent entre le premier et le second tour de l’élection présidentielle.

C’était l’homme nouveau, qu’on aimait surnommer à Conakry, « l’homme aux mains propres » (une allusion faite à son refus de travailler avec Sékou Touré et Lansana Conté. Deux présidents, deux régimes qu’il a combattus politiquement pendant quarante ans). Très vite, les doutes qui ont entouré son élection ont été enterrés. Carte blanche lui a été donnée. Car son parcours politique, son militantisme et les valeurs qu’il a défendues, étaient en harmonie avec les attentes de la population. Il incarnait le renouveau, le changement et l’espoir. Il faisait l’objet d’un grand mythe en raison de toute une vie passée en exil forcé et parfois choisi en France. Il suscitait aussi l’admiration, on parle de lui dans les marchés de Conakry comme un grand intellectuel capable de redresser le pays.

Kouchner était perçu comme le vice-président de la Guinée

Toutefois, Alpha Condé n’a aucune expérience connue en dehors de son combat politique. Cela s’est rapidement senti dans sa façon de gouverner et même de s’entourer. Comme le rapporte France [i], Bernard Kouchner, ami proche d’Alpha Condé voyageait tous les mois à Conakry et avait le statut de No Borders Consultants. Dans les cercles intellectuels et au sein de l’administration guinéenne, Kouchner était perçu comme le vice-président de la Guinée, tels ses déplacements donnaient l’allure d’un chef qui bénéficie de toutes les faveurs du palais. Aussi, Alpha Condé a reconduit majoritairement les anciens hauts cadres de Lansana Conté. Certains étaient des proches conseillers, d’autres des ministres.

Après son premier mandat de 5 ans, en 2015, il brigue un deuxième mandat qui aurait dû être le second. D’ailleurs, le président de la cour constitutionnelle d’alors, Kèlèfa Sall a donné le ton dans son discours lors de la prestation de serment d’Alpha Condé, le 14 décembre 2015. Discours aujourd’hui qualifié de prémonitoire, le magistrat guinéen interpelle le concerné en des termes clairs et avec une éloquence toute saisissante : « Évitez toujours les dérapages vers les chemins interdits en démocratie et en bonne gouvernance. Gardez-vous de succomber à la mélodie des sirènes révisionnistes. Car, si le peuple de Guinée vous a donné et renouvelé sa confiance, il demeure cependant légitimement vigilant »[ii]. En coulisse, Alpha Condé reprochait au magistrat son discours et lui demandait constamment s’il était représentatif du peuple  de Guinée pour affirmer que son second mandat en serait le dernier. Trois ans plus tard, en 2018, le magistrat perd sa qualité de président de la cour constitutionnelle. Le 3 octobre de la même année, un décret présidentiel entérine son exclusion. Ce qui   peut s’apparenter à un règlement de compte, rend beaucoup d’acteurs de la société civile médusés.

En juin 2017, lors du Forum de l’Etudiant guinéen, organisé par le Ministère de l’Enseignement supérieur, Alpha Condé est l’invité d’honneur. Une fois dans la salle et à l’entame de son discours, il est interrompu par des étudiants, qui réclament à gorge déployée les tablettes qu’il leur avait promises. En colère derrière son pupitre, il saute sur place à pieds joints et lance : « J’ai été étudiant avant vous. Nous avons rendu l’Afrique fière de nous. Vous êtes comme des cabris, tablettes, tablettes, tablettes »[iii]. La réaction colérique du Président qualifiant les étudiants de « mal éduqués » notamment, n’a pas été bien accueillie dans les universités de Conakry. Même au Ministère de tutelle, on fulminait qu’il n’avait pas à réagir ainsi. Première brouille mineure.

Les opposants… entrent en résistance et se radicalisent

Alpha Condé, ancien élève du lycée Turgot de Paris centre (autrefois 3e arrondissement) et étudiant en droit de Science Po Paris, puis de la Sorbonne était aveuglé par la Guinée qu’il aimait tant et dont il finit par faire sa chose. Dès 2018, connaissant ses intentions pour briguer un troisième mandat et conscient du risque qu’il pourrait encourir, notamment pour son régime et sa sécurité personnelle, il crée une nouvelle unité au sein de l’armée guinéenne appelée Groupement des Forces spéciales. Laquelle sera commandée par Mamady Doumbouya, un légionnaire de l’armée française à la retraite. Cette unité sera dotée de tous les équipements matériels et logistiques notamment des blindés. Chargée officiellement de la lutte contre le terrorisme, l’unité des forces spéciales est décrite comme capable de « mener des missions de façon autonome, après infiltration ou parachutage en profondeur dans le dispositif adverse ». Elle est aussi compétente dans la « recherche et la transmission de renseignement sur la nature, les moyens et les intentions de l’ennemi ». Officieusement, c’est l’unité de dernier recours dans le scénario d’une attaque du palais présidentiel ; chargée de vite exfiltrer le Président de la République. Mais ironie de l’histoire, c’est tout le contraire qui se produira. 

En 2019, alors que l’opposition et la société civile le soupçonnaient de vouloir faire sauter le verrou sur la limitation des mandats et de se représenter une troisième fois, Alpha Condé nargue tous les critiques. Il évite les questions sur ses véritables intentions, le mobile de ses actions et joue dans le clair-obscur. Pourtant, en décembre 2019, dans une allocution sur les antennes de la télévision d’Etat, la RTG (Radiodiffusion Télévision Guinéenne), il confirme sa volonté de faire modifier la constitution[iv]. Quelques jours après, le projet de nouvelle constitution[v] est diffusé par les médias. Plus le temps passe, plus l’horizon s’éclaircit et les intentions se précisent.

Alpha Condé, cet animal politique se dirige droit dans la gueule du loup sans le savoir. Le 22 mars 2020, malgré tous les signaux faibles, des élections législatives couplées à un référendum constitutionnel se tiennent dans une violence sans nom. Bureaux de vote et matériels électoraux saccagés par les militants de l’opposition. Des militaires, gendarmes et policiers répriment les contestataires dans le sang. De Conakry [la capitale] en passant par Mamou [ville carrefour du pays] jusqu’à N’zérékoré [région située au sud-est], presque tout le pays s’embrase. Les opposants à un 3e mandat d’Alpha Condé, composés de militants de l’opposition et d’activistes de la société civile, mais aussi de journalises entrent en résistance et se radicalisent. Le pays est au bord du précipice. Des morts dont on se passerait de donner des chiffres sont dénombrés.

Les manifestations géantes à Conakry et dans quelques villes, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger, notamment à Paris, Bruxelles, Québec, New York et Dakar n’ont pas découragé le régime d’Alpha Condé de faire un troisième mandat. La « communauté internationale » (une appellation propre à l’Afrique pour désigner un ensemble très réduit, à savoir la Cédéao[vi], l’Union africaine, l’ONU, l’OIF[vii], la France et les Etats-Unis), les camarades et amis du Président guinéen lui en ont dissuadé. Bouffi d’orgueil, Alpha Condé n’en avait cure des conseils et des mises en garde. Il a travaillé à ce que ses désirs et son obsession ne connaissent point d’obstacle. Il pensait en effet  avoir une propension infaillible…

Une révolte de la population est redoutée

Le 2 septembre 2020, il annonce officiellement sa candidature pour un 3e mandat. Cela crée des scènes de violences dans la majorité des grandes villes du pays. Adolescents, jeunes, hommes et femmes furent tués dans le silence terrifiant d’une communauté internationale sonnée par la crise de coronavirus mais aussi par le multilatéralisme en souffrance. Alpha Condé déroule toute sa stratégie au prix du sang et des arrestations sommaires. Le 18 octobre de la même année, la présidentielle s’est tenue à Conakry dans une situation très tendue. Cela, en raison de propos à relent communautaire distillés notamment par le parti au pouvoir dont ses éminents ténors : Alpha Condé et son « épouse », Hadja Djenè Kaba.

Durant la campagne présidentielle, le parti au pouvoir et tout le gouvernement se sont employés à stigmatiser une partie de la population (la stratégie du diviser pour mieux régner) et empêcher l’opposition de battre normalement campagne. Des propos impropres dans la bouche d’un président furent tenus par Alpha Condé. Il indique dans une de ses allocutions (mêlée de maninka [une des principales langues du pays] et du français) depuis le palais présidentiel Sékoutoureyah, d’où il faisait sa campagne en visioconférence et retransmise par le média de service public, la RTG. D’abord à Kankan le 19 septembre puis à Siguiri le 23 septembre. Il affirme respectivement : « Les jeunes de la Haute-Guinée, particulièrement ceux de Kankan, je vous demande d’observer un peu l’ossature de cette élection. Le Foutah n’a présenté aucun candidat à part Cellou Dalein Diallo, ce qui implique que tous les autres candidats sont venus contre moi. Alors, ne votez pour personne si ce n’est pas le RPG. Les malinkés, comprenez que quiconque vote pour un autre candidat, a voté pour Cellou Dalein Diallo. »[viii] ; « Cette élection n’est pas seulement une élection, c’est comme si nous étions en guerre »[ix].

Alpha Condé avait perdu en popularité et en crédibilité, tant il a passé 11 ans au pouvoir à promettre la construction d’usines de bonbons, de transformation de la pomme de terre en purée ou encore de doter chaque étudiant d’une tablette et chaque tailleur d’une machine. Pour galvaniser son électorat, sa seule arme était d’avoir recours aux propos communautaires et bellicistes. Après avoir créé la psychose au sein de la communauté, Alpha Condé ordonne le 27 septembre en pleine campagne électorale, la fermeture des frontières avec la Guinée-Bissau, le Sénégal et la Sierra Léone. Cette fermeture intervient au moment où le principal parti d’opposition, l’UFDG [Union des Forces Démocratiques de Guinée] dirigé par Cellou Dalein Diallo, acheminait du matériel de campagne[x], dont des tee-shirts et des gadgets. Deuxième brouille, parce que cette fermeture des frontières a engendré des conséquences économiques importantes, en l’occurrence pour la population.

A l’origine de cette fermeture des frontières, plusieurs hypothèses.

La première. Les trois pays entretiennent de bons rapports avec Cellou Dalein Diallo. Aussi, à en juger par les résultats des dernières élections en Guinée, il y détient un électorat presque majoritaire, même s’il est très marginal. Il fallait donc empêcher ces Guinéens de l’étranger de voter en faveur du président de l’UFDG mais surtout de rejoindre le pays. Puisqu’officieusement, ils pourraient venir soutenir les partisans de l’opposition lors de protestations électorales et postélectorales.

La deuxième. Le soutien affiché et totalement assumé du Président Umaro Sissoco Embaló (très apprécié des jeunes ouest-africains pour son franc-parler) à Cellou Dalein Diallo et la proximité de ce dernier avec le vice-président sierra-léonais, Mohamed Juldeh Jalloh, mais aussi son amitié connue avec le Président Macky Sall. Au demeurant, le Secrétaire général de la présidence de la République de Guinée, Naby Youssouf Kiridi Bangoura, justifie cette fermeture par des « faits graves qui se sont produits en Sierra-Léone, à Kambia exactement dans le secteur de Maboué dans un hôtel… pour planifier des actions qui peuvent toucher à l’ordre public et à la sécurité publique en Guinée »[xi].

Le 18 octobre 2020, l’élection présidentielle s’est tenue dans un calme précaire. Le 24 octobre, Alpha Condé sera donné vainqueur par la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] avec 59,4% des suffrages exprimés, contre 33,5% pour son principal adversaire Cellou Dalein Diallo. Mais ce dernier s’était déjà proclamé victorieux de l’élection, le lendemain même du vote. Le samedi 7 novembre 2020, la

cour constitutionnelle déclare Alpha Condé victorieux de l’élection et rejette les recours des candidats de l’opposition. L’arrêt de la cour constitutionnelle ayant l’autorité absolue de la chose jugée, donc insusceptible de recours, la crise s’installe définitivement et les bras de fer commencent.

Alors que le domicile de Cellou Dalein Diallo est encerclé par des camions de la Police et des pickups de la Gendarmerie nationale ; le siège de son parti investi et les mobiliers qui s’y trouvaient saccagés ; que le militant anti troisième mandat et membre du FNDC, Oumar Sylla dit Foniké Menguè est arrêté et en prison depuis le 27 septembre 2020, plus d’une centaine de militants d’opposition, de responsables politiques ou encore des membres de la société civile seront arrêtés et emprisonnés. D’autres réussiront à s’en fuir et à s’exiler au Sénégal. Parmi les opposants détenus dans des conditions carcérales qualifiées de « suspectes » par Amnesty internationale[xii], des morts seront à regretter. Le 16 décembre 2020, Roger Bamba, membre du conseil national des jeunes de l’UFDG est déclaré mort en détention. Cela va choquer et émouvoir une grande partie de la population, visiblement impuissante face au régime d’Alpha Condé. Le témoignage glaçant de son épouse racontant ses dernières heures est relayé sur les réseaux sociaux.

Malgré le tissu social complètement effiloché, une précarité galopante et un isolement international de mieux en mieux visible, le régime d’Alpha Condé ne reculera devant rien. Interdiction de voyage pour les cadres de l’UFDG. Fragilisation totale de l’ancienne troisième force politique guinéenne, le parti UFR [Union des Forces Républicaines] dirigé par Sidya Touré. Intimidation d’opérateurs économiques nationaux. Création de médias parallèles pour contrôler l’opinion. Plus de manifestations en Guinée.

Indiscutablement, Alpha Condé a mis tout le monde au pas. A Conakry, on entend les mouches voler. Toutefois, derrière ce silence, une révolte de la population est redoutée, comme ce fut le cas des événements de janvier et février 2007[xiii]. En outre, espérant avoir un répit en procédant à des arrestations sommaires, le régime n’en connaîtra aucun.

La chute du Tsar

Entre avril et août 2021, plusieurs grèves sont constatées à Conakry. En avril déjà, les huissiers de justice soutenus par des avocats entament une grève pour dénoncer le non-respect des décisions de justice. En juillet, grève du secteur des télécommunications pour protester contre la surtaxation du secteur des postes, télécommunications et assimilées. En août, grève des transports contre l’augmentation du prix du carburant.

A rappeler que le 1er septembre 2020, la veille même de l’annonce par Alpha Condé de sa candidature à un troisième mandat, s’est tenue une réunion dans la préfecture de Dubréka. C’est-à-dire, au domicile du Kountigui [sage] Elhadj Sekhouna Soumah, personne morale représentant la région de la Basse-Guinée. Etaient conviés et présents à cette réunion, les trois autres sages des régions de la Haute-Guinée, la Moyenne-Guinée et la Guinée-Forestière. Ces sages, considérés comme des autorités morales et traditionnelles, étaient réunis pour adopter une position commune face au troisième mandat d’Alpha Condé. Etonnamment, ils ont été gazés par les forces de l’ordre. C’était un acte d’une rare gravité. Une audace triste. Un pas de trop venait d’être franchi. Une troisième brouille qui sape totalement l’image du régime et creuse le fossé avec le peuple.

Dans ce climat de méfiance et de rupture de confiance entre les acteurs guinéens, intervient le dimanche 5 septembre 2021, à la surprise générale, un coup d’Etat contre le Président Alpha Condé. C’est la chute du Tsar.

Ce coup d’Etat, une première en Guinée, est commandité par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya, le patron du Groupement des Forces spéciales guinéennes. Selon Aliou Barry, directeur du Centre d’analyse et d’études stratégiques de Guinée,

spécialiste des questions de défense et de sécurité en Afrique : « l’unité des forces spéciales a été créée par Alpha Condé sur les conseils du Président Idriss Deby Itno[xiv]. Au départ, cette unité était chargée de lutter contre le terrorisme, les actes de pirateries maritimes »[xv]. La manière dont le coup d’Etat s’est déroulé est digne d’un film de guerre d’Hollywood, où on met en scène l’influence militaire américaine.

Le récit du coup d’Etat est raconté doublement et différemment, une version plus crédible se dégage et heureusement. Par Jeune Afrique qui raconte les événements sous un angle d’opinion et de commentaires. Par Africaguinée qui fait témoigner un « rescapé », et à ce titre reste dans l’exercice du journalisme.

Jeune Afrique a montré… qu’il est un hebdomadaire de connivence

Tout le contenu de l’article de Jeune Afrique qui traite du sujet, par ailleurs signé par François Soudan, laisse entrevoir une action de communication et non d’information. Démonstration.

Décrivant ce que Jeune Afrique appelle la « capture facile d’Alpha Condé », François Soudan affirme dans un article[xvi] qui aurait simplement dû être un éditorial parce que rempli d’approximations, ce qui suit : « En ce début de matinée du dimanche 5 septembre, les petits détachements de bérets rouges qui gèrent les trois checkpoints disposés le long de l’avenue qui mène jusqu’à la grille d’entrée du palais sommeillent encore ». Plus loin, il poursuit « Venu de sa base de Kaleya à Forécariah, en Basse- Guinée […] le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya fonce droit sur Kaloum, où il fait son entrée aux alentours de 8h du matin ». Première bonne fausse information. Il faut savoir que les éléments des forces spéciales ont opéré entre 2h et 4h du matin. Cette information a été rapportée par Africaguinee. Le site d’information guinéen a recueilli le témoignage d’un garde d’Alpha Condé, présent dans le palais cette nuit-là et blessé par les assaillants. Aucune source crédible n’indique l’heure précise à laquelle ils se sont introduits dans le palais.

L’éditorialiste poursuit : « Les soldats du BASP [Bataillon autonome de sécurité présidentiel] sont des fidèles du président ». Première approximation. L’armée guinéenne, quelles que soient les critiques qu’on pourrait lui porter, est une armée républicaine et non une armée régulière dont la vocation est d’être fidèle à un homme et non aux institutions. On aurait dit cela de l’armée ivoirienne par exemple, on comprendrait, au regard de sa configuration actuelle.

François Soudan avance encore que « pendant ce temps, si l’on en croit un témoin qui a pu se rendre sur les lieux après les faits, le palais aurait été entièrement « visité » par les hommes de Doumbouya et nul doute que les sacs de cash qu’à l’instar de la plupart de ses homologues du continent Alpha Condé conservait dans sa chambre et son bureau n’ont pas dû échapper à leur convoitise. Un peu partout dans la capitale, mais particulièrement dans les quartiers acquis à l’opposition, des scènes de liesse succèdent à l’apparition des premières photos sur les téléphones portables ». Une autre fausse information. Le fait de dire « sans nul doute » et tirer plus tard une conséquence en vue de faire passer une suspicion pour une vérité est journalistiquement étonnant. Attendu que le journal affiche d’ores et déjà sa prise de position, d’autant que rien ne certifie encore aujourd’hui cette information. Aussi, la réalité est que les scènes de liesse étaient spontanées et ont commencé d’abord à Kaloum [centre-ville, qui accueille les sièges des institutions], ensuite dans les communes de Ratoma, de Matoto jusqu’à l’intérieur du pays : N’zérékoré, Kankan, etc. Limiter les scènes de joie aux seuls quartiers acquis à l’opposition est une insulte à l’intelligence.

L’article de Jeune Afrique parle de l’armée guinéenne ou encore de la Guinée comme une propriété privée d’Alpha Condé. Les adjectifs possessifs qui remplissent ce récit en sont la démonstration. Or, il n’en est rien. Mais connaissant les liens entre l’auteur de l’article et le régime d’Alpha Condé, cela ne peut pas surprendre.

Aussi, s’il n’y a pas d’armée « ordinaire » en Guinée comme l’affirme François Soudan, il est doublement faux de dire que le Président Condé « a toujours évité d’affronter les officiers supérieurs dont son fidèle Mohamed Diané lui signalait le comportement problématique, préférant les éloigner ». Les faits.

En juillet 2011, le domicile privé du Président Condé fut attaqué par des éléments de l’armée guinéenne. Après cet événement, ce qui ressemble à une chasse à l’homme a été organisée. Plusieurs officiers guinéens seront arrêtés et condamnés à de la prison ferme. Beaucoup parmi eux n’auraient aucun lien avec l’attaque de la résidence privée d’Alpha Condé. C’est ce que confie dans une interview, l’ancien président de la transition (décembre 2009 à décembre 2010), le Général de brigade Sékouba Konaté

dit « El Tigre » : « Tous ces gens [allusion faite aux officiers de l’armée comme le Général Nouhou Thiam[xvii], aux commandants Julien, Saliou Diallo[xviii], le colonel Sidiki Camara dit « De Gaulle »] qui ont participé à l’avènement de la démocratie en Guinée ; les gens ont profité pour faire des règlements de comptes »[xix]. En conclusion, Alpha Condé a bien affronté les officiers de l’armée guinéenne.

En sus de cela, les articles traitant du coup d’Etat en Guinée, produits par le magazine, sont dans leur majorité orientés et ne résistent pas à la réalité. Il est à noter l’absence de tout parallélisme des formes, de vérité des faits tronqués, de manque de contextualisation, on en passe et des meilleurs. En produisant cet article, le magazine enverrait-il un signal de soutien au régime d’Alpha Condé, tout en pensant que la situation allait s’inverser ?

Autrement, Jeune Afrique a montré durant les 11 ans de pouvoir d’Alpha Condé, qu’il est un hebdomadaire de connivence qui prête allégeance aux autoritaires du continent et qui produit des éditoriaux à flux tendu souvent signés par François Soudan. Jeune Afrique nous dit comment Alpha Condé a chuté mais pas le pourquoi.

Pour faire une analyse sur les situations quelque peu honorables qui secouent la Guinée, il faut avoir une lecture équilibrée. La justesse de l’analyse est à ce prix. Prendre en compte la situation globale et revenir au fondement de la crise sociale et politique constitue l’arrière-plan essentiel de la compréhension du coup d’Etat et son lot de soutiens populaires.

Le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya a réussi son coup d’Etat simplement parce que le pays était au bord de l’implosion et lui-même était dans le collimateur du régime et donc sur la sellette. En effet, les services de renseignement guinéens soupçonnaient sa proximité avec le Colonel président Assimi Goita, patron des forces spéciales maliennes. Selon toute vraisemblance, son arrestation était imminente. Il a donc anticipé et mené ce coup de grâce.

Walter Benjamin citant Blaise Pascal, s’interroge sur ce qui ressemble curieusement à la situation guinéenne : « Comment se soustraire et répondre à la violence du droit qui décrète illégitime tout ce qui ne le reconnait pas – sinon par un autre coup de force ? ».

Kossa CAMARA

[i] « Interrogé sur ses activités en Guinée, Kouchner congédie un journaliste », France Info, 7 décembre 2011

[ii] « Le discours du Président Keléfa Sall (Cour Constitutionnelle) », You Tube, 19 décembre 2015

[iii] « Alpha Condé traite des étudiants de ‘’cabris et mal éduqués’’ », Africaguinee, 2 juin 2017.

[iv] « Alpha Condé annonce une nouvelle Constitution », BBC Afrique, 20 décembre 2019

[v] « Projet de nouvelle constitution » Guineematin, 2019, https://guineematin.com/wpcontent/uploads/2019/12/NOUVELLE-CONSTITUTION-VOICI-LE-PROJET.pdf

[vi] La CEDEAO désigne la communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Une organisation qui réunit les pays de la région de l’Afrique occidentale.

[vii] L’OIF, entendez Organisation internationale de la Francophonie. Une organisation qui réunit les pays ayant pour langue officielle, au moins le français.

[viii] Mohamed BANGOURA, « Alpha Condé : « tout malinké qui vote pour un autre candidat, a voté pour Cellou Dalein Diallo », Mosaiqueguinee, septembre 2020.

[ix] « Alpha Condé appelle ses partisans à faire bloc autour de lui », voaafrique, le 23 septembre 2020.

[x] Alhassane BAH, « Frontière Guinée-Sénegal : six camions contenant du matériel de campagne de l’UFDG bloqués », Guineenews, le 29 septembre 2020.

[xi] Mohamed BANGOURA, « Fermeture des frontières terrestres de la Guinée avec la Sierra Leone : les raisons selon Kiridi », Mosaiqueguinee, 29 septembre 2020.

[xii] « GUINÉE : DES OPPOSANTS SONT MORTS EN DÉTENTION DANS DES CONDITIONS SUSPECTES », Amnesty International, 8 février 2021

[xiii] Des manifestations géantes se tiennent dans tout le pays. Menées par des syndicalistes téméraires, elles sont très sévèrement réprimées. L’armée guinéenne ouvra le feu sur les jeunes de l’axe Hamdallaye, Bambeto, Cosa

[xiv] Ancien président de la République du Tchad

[xv] « Guinée – Aliou Barry : « Cette force spéciale créée par Alpha Condé s’est retournée contre lui », RFI, 6 septembre 2021.

[xvi] François SOUDAN, « Exclusif – Guinée : l’histoire secrète de la chute d’Alpha Condé, par François Soudan », Jeune Afrique, le 8 septembre 2021.

[xvii] Ancien Chef d’Etat-Major des armées, de janvier à décembre 2010

[xviii] Ancien commandant du Camp Camayenne, autrefois camp Boiro

[xix] Guinee matin, « Général Sékouba Konaté, ancien président de la transition avec Lamine Guirassy sur Espace », YouTube, 26 juin 2018

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