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ARMEE GUINEENNE : histoire d’une instabilité chronique

Ce 1er novembre, l’armée guinéenne souffle sa 63ème bougie. En effet, un mois après la proclamation de l’indépendance, le 2 octobre 1958, les autorités du jeune Etat, annonçaient la création de l’armée guinéenne. Mais en Guinée, au gré des régimes, la grande muette est passée par des hauts et des bas. Elle a surtout été très intimement liée à la gestion du pouvoir politique. D’ailleurs, par trois fois, elle s’est emparée de celui-ci par le biais de coups d’Etat. Le dernier cas en date remontant au 5 septembre dernier. Nous vous proposons ci-dessous, la lecture de ce que cette armée a été durant les deux premiers régimes (Sekou Touré et Alpha Condé). Une lecture tirée du livre ‘’Mémoire collective, une histoire plurielle des violences politiques en Guinée’’, publié en 2018 par RFI et la FIDH, en marge du soixantenaire de l’indépendance de la Guinée

Le samedi soir, les amateurs de Jazz de Conakry apprécient d’aller écouter en banlieue Maître Barry et son African Groove. À l’issue du concert, vers deux heures du matin, le public reprend le volant. Certains, comme I. Camara, ingénieur dans une grande société de téléphonie de la place, repartent vers Kaloum : dix kilomètres ponctués de barrages érigés par des gendarmes, des bérets rouges et des policiers[i] . À chaque fois, le chauffeur a l’occasion de constater, médusé, le comportement des forces de défense et de sécurité censées protéger les civils : « Excellence, nous sommes là pour vous, nous avons soif, faim, une petite bière ou un billet nous ferait plaisir ». Un billet de banque et le conducteur est dispensé de fouilles, quoi qu’il transporte. Quand, dans la même file, arrive au niveau du barrage, un véhicule administratif (VA), qu’importe la qualité du personnel à bord, les militaires s’égosillent : « Libérez, libérez c’est le véhicule ‘‘d’Excellence’’ ». Dans la journée, il n’est pas rare de voir aux carrefours de la capitale guinéenne des officiers supérieurs et/ou subalternes assurer la circulation en quémandant ici et là quelques billets de banque aux paisibles citoyens et chauffeurs de taxis. Par son indiscipline et par manque d’une chaîne de commandement, cette armée est perçue par les populations comme une armée de façade, une armée de parade et non comme une force censée assurer des missions de défense nationale.

La lente dégradation de la situation matérielle et morale des militaires guinéens a abouti à une violation de plus en plus fréquente des règles de la discipline et à un mépris croissant de l’autorité hiérarchique… D’où un absentéisme généralisé, une négligence dans l’entretien des matériels, un port de la tenue militaire en tout lieu et en tout temps. En l’absence d’armurerie dans les casernes, le militaire guinéen est devenu une véritable armurerie ambulante. Laissés à l’abandon, sans encadrement efficace, les militaires guinéens se livrent à des actes de racket. Ils se comportent comme de véritables unités de prédateurs entraînant ainsi une véritable rupture entre l’armée et les citoyens.

L’arrivée, en 2009, à la tête d’une junte d’un capitaine sans charisme, devant des généraux et des colonels, a été la preuve la plus flagrante de cette désorganisation de l’armée. Le capitaine Moussa Dadis Camara a reconnu lui-même cette situation en affirmant que « l’armée guinéenne est caractérisée par une telle indiscipline, que c’est la seule armée au monde où un caporal peut dire merde à un colonel. »

L’armée guinéenne peut être considérée comme la plus désorganisée de la sous-région ouest-africaine, avec des comportements inciviques indignes d’un militaire. On est bien loin de l’ambition des pères de l’indépendance.

L’armée sous le règne de Sékou Touré

L’armée guinéenne a été constituée à partir des éléments volontaires issus de l’armée coloniale. Dès le 1er novembre 1958, Ahmed Sékou Touré demande au capitaine Noumandian Kéita de créer un corps d’armée national[ii] . Le capitaine Noumandian, entouré de quelques militaires volontaires pour servir la jeune République, prend contact avec les militaires incorporés dans l’armée française. Son objectif : intégrer sous le drapeau de la Guinée des militaires guinéens ayant servi en Indochine, au Soudan français, en Algérie et à Madagascar. Au moment du référendum de 1958, indique une note du renseignement militaire français, il y avait 11 253 militaires d’origine guinéenne dans les armées françaises, parmi lesquels près de 2 521 militaires choisiront de servir la nouvelle armée guinéenne et 5 000 seront libérés de l’armée française avant le référendum[iii]

Dans l’allocution radiodiffusée qu’il effectue le 20 décembre 1958 à l’attention des militaires, Ahmed Sékou Touré salue les hommes de troupe, sous-officiers et officiers « qui ont préféré le chemin de l’Honneur à celui de la servitude (…). L’armée de la République de Guinée, leur explique-t-il d’un ton solennel, n’est pas une armée de conquête et de domination ; elle est l’armée de l’édification et de la Souveraineté de la Guinée, liée à la Nation et à son peuple par le pacte de libération, auquel chaque militaire guinéen a souscrit. » (Touré, 1959, 45). Puis, Sékou Touré lance au micro, cette exhortation : « Nous voulons qu’elle [cette armée] s’inscrive dans notre grand mouvement d’émancipation et qu’elle demeure unie fraternellement au peuple de Guinée, dont elle aura non seulement à partager les charges et les peines, les plaisirs et les bonheurs, mais dont elle devra devenir une des principales forces créatrices. » (Ibid., p.46).

L’organisation de la nouvelle armée nationale est calquée sur le découpage militaire de l’ancienne puissance coloniale. L’armée guinéenne est subdivisée en deux bataillons : l’un à Conakry, Kindia et Labé et l’autre à Kankan et N’zérékoré. A l’indépendance, son effectif est composé de 16 officiers, 390 sous-officiers et 2 115 hommes de troupe[iv] .

Le commandement de cette force est donc confié au chef de bataillon Koumandian Keita avec le titre de chef d’état-major général de la Défense nationale et à Fodéba Kéita comme ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Sékou Touré donne à Fodéba Kéita une responsabilité totale sur les questions de défense et de sécurité, faisant de lui le vrai créateur de l’armée guinéenne, en insufflant un esprit de corps et le sens de la discipline à ses hommes et femmes. Fodéba Keïta exige d’eux de réelles qualifications professionnelles. Et il pousse les officiers à la compétence professionnelle, qu’il s’agisse de l’infanterie, de l’aviation, de la marine, du génie militaire, de la gestion économique[v] .

La ville de Kankan abrite à l’époque le centre de rassemblement le plus important avec un effectif estimé à 500 hommes et 14 fusils. Ce centre a comme commandant un militaire retraité au moment de l’indépendance, l’adjudant-chef Zoumanigui Akoi. Au temps de la Guinée française, ce camp portait le nom d’Archinard[vi] et prit le nom de bataillon de la souveraineté de Haute Guinée. La ville de Kindia abrite un bataillon de 400 hommes et quelques fusils Hauser. Ce bataillon est commandé par le lieutenant Henri Foulah, secondé par un sous-lieutenant de réserve qui est son adjoint. Par la suite, une compagnie est envoyée à Mamou et à Dalaba. À Labé, sera implanté un détachement commandé par l’adjudant Toyah Condé[vii], avec un effectif de 50 hommes, répartis en trois sections et dotés de fusils 36/51, probablement ceux des gardes territoriaux.

À N’zérékoré, sera stationnée la première compagnie de sécurité que commandait le sous-lieutenant Kouyaté avec un effectif de 80 hommes dotés de 12 fusils. À l’époque, les douaniers guinéens ne disposaient que de 100 fusils 1936 et de quelques pistolets.

23 décembre 2008. Des soldats guinéens déployés dans les rues de Conakry, alors qu’un nouveau coup d’État est en cours pour assurer la succession de Lansana Conté. Crédit : AFP

Cette naissance de l’armée guinéenne se fait cependant également dans la douleur. Les militaires français, avant de quitter la Guinée indépendante, ont octroyé une partie de leurs installations à la nouvelle armée en gestation, mais ils ont aussi détruit toutes les archives, armes et quelques bâtiments des camps cédés. Peu de nouvelles recrues rejoignent par ailleurs la nouvelle armée et le recrutement dans le milieu des jeunes ne donne pas les résultats escomptés pour en faire une armée nationale.

La politisation de la sécurité sous la première République

Pour Sékou Touré, le soldat de la révolution guinéenne est avant tout un militant politique qui, même en dehors du service, œuvre à la consolidation de la révolution. Le leader guinéen va donc s’atteler à placer les activités de l’armée dans les idéaux de la révolution populaire.

Cette politisation de l’armée s’accélère après les coups d’Etat perpétrés contre Kwame Nkrumah au Ghana en 1966 et Modibo Keita au Mali, fin 1968. En 1969, profitant du coup d’Etat au Mali où Modibo Kéita fut renversé par Moussa Traoré, Sékou Touré annonça la découverte d’un complot orchestré par le colonel Kaman Diaby, chef d’état-major des armées et le ministre Fodéba Kéita. Il en profita pour opérer une véritable purge au sein de l’armée[viii]

En janvier 1969, les services secrets américains constatent dans un rapport, que « Touré est nerveux par rapport à la loyauté de l’armée[ix] ». La CIA indique que le président Sékou Touré est « objectivement inquiété par la loyauté de sa propre armée et craint que les éléments anti-régime puissent tirer parti du climat psychologique créé par le coup d’État malien pour exploiter un mécontentement interne présent de longue date[x]. » Les services américains notent qu’Ahmed Sékou Touré effectue un effort majeur pour neutraliser toute opposition potentielle dans l’armée. Mi-décembre 1968, une manifestation de soutien à des militaires a été organisée dans Conakry, jusqu’au palais présidentiel. « En s’adressant aux troupes, Touré a annoncé que l’armée cesserait d’être une entité séparée et qu’une législation était en cours de préparation pour l’incorporer formellement dans l’administration[xi] ». Il indique également que des comités du parti seront formés dans tous les camps pour créer une plus grande conscience politique chez les militaires.

La note de la CIA va plus loin : elle explique que « les mouvements d’Ahmed Sékou Touré pour émasculer l’armée sont clairement un risque calculé et pourraient peut-être exactement provoquer la réaction qu’ils cherchent à éviter[xii] ». Le document rend compte de rumeurs, selon lesquelles des troubles ont déjà éclaté entre militaires et autorités civiles. De nombreux officiers s’opposent à la création de comités politiques, mettant déjà en avant qu’ils vont fragiliser la chaîne de commandement et réduire la discipline. « Il est rapporté, dit le texte, que des officiers ont été arrêtés et que le chef d’état-major, ainsi que son adjoint, ont été temporairement arrêtés pour avoir élevé des objections.[xiii] »

La préoccupation d’Ahmed Sékou Touré contre un risque de coup d’État transparaît dans l’un des volumes de ses œuvres complètes : Le Pouvoir populaire publié en 1969. « Devant l’Indignité et la haute trahison de certains militaires africains, complices conscients ou agents criminels du retour en arrière de leur pays, les peuples d’Afrique, les masses travailleuses des villes et de la campagne, les honnêtes fils d’Afrique doivent s’organiser pour briser radicalement toute nouvelle tentative de coup d’État en réservant aux futurs mercenaires de l’impérialisme le salaire que mérite leur forfaiture » (Touré, 1969a, p.315). Le dirigeant guinéen le réaffirme : « Tout soldat doit être un militant et tout militant, un vaillant défenseur de la patrie. » (Ibid.) Il indique plus loin que l’armée doit « rester consciente que la politique commande au militaire » et indique que « la vie militante doit être mieux organisée dans nos camps militaires (…). Chaque camp constituant un comité de base du PDG, les bureaux fédéraux et les comités directeurs doivent contribuer efficacement à l’éducation politique des camarades militaires. Des inspecteurs ont été nommés par le BPN [bureau politique national] pour assumer des tâches de contrôle politique et de formation idéologique des cadres et des soldats de notre armée. » (Ibid., p.316).

Afin de briser tout esprit de corps, Sékou Touré intègre les militaires dans la fonction publique. Il assure le contrôle politique de l’armée en imposant un contrôle de tous les instants par les Comités d’unité militaire (CUM) et les Commissaires politiques (CP) qu’il institue au sein des camps militaires. Le 16 mai 1969, dans le nouveau gouvernement constitué, le poste de ministre de la Défense est supprimé, ce qui semble correspondre à un nouveau geste de méfiance vis-à-vis de l’armée.

La politisation de l’armée et sa soumission au parti provoquent, comme l’avaient anticipé les officiers de l’époque, l’indiscipline et une perte du respect de la hiérarchie au sein des forces armées guinéennes. Les témoignages des militaires publiés dans cet ouvrage[xiv] sont édifiants. Celui de Facinet Touré, l’un des fondateurs de l’armée, est particulièrement emblématique. Selon lui, les maux de l’armée guinéenne remontent à cette époque : « Sékou Touré a politisé l’armée afin de mieux la contrôler. Un jour, on a créé les CUM, les Comités d’unité militaire. Le principe est simple. Le comité est élu par les soldats. Les simples soldats et les sous-officiers étant plus nombreux que les officiers, les soldats élisaient à la tête du CUM l’un des leurs, souvent un caporal. Les officiers et les commandants de camps devaient rendre des comptes au chef du CUM, c’est-à-dire au caporal. Quand l’autorité du camp donnait un ordre ou une instruction, il devait d’abord demander son avis au CUM. Si bien que la base contestait toujours les décisions des chefs. Quand un caporal est plus fort qu’un commandant ou qu’un capitaine, la discipline disparaît. »

Une armée affaiblie et surveillée par crainte d’un coup d’État

Sentant le risque d’un débordement par l’armée, le régime ne fait pas que politiser les casernes. Il développe également la milice populaire, véritable bouclier de protection du pouvoir. Les mots employés par Ahmed Sékou Touré dans Défendre la révolution, marquent un net glissement de confiance des militaires vers le peuple en armes : « L’armée, la véritable armée (souligné par nous) de la République populaire de Guinée, c’est son peuple » (Touré, 1969b, 100-101) lance-t-il. Il ne saurait y avoir de dualité entre l’armée et la milice, dit à l’époque Sékou Touré qui prône plutôt « des rapports d’étroite coopération et d’émulation fraternelle ». Négligeant progressivement l’armée, le dirigeant guinéen comptera pourtant progressivement sur cette milice populaire, dont l’entraînement est même confié à des Cubains. Sa confiance dans la milice franchit une nouvelle étape après l’échec de l’opération Mar Verde, l’attaque portugaise sur Conakry du 22 novembre 1970, au cours de laquelle l’intervention des miliciens est remarquée. En 1971, le régime lance un état-major de la milice nationale.

19 février 2007. Un véhicule des forces de sécurité
guinéennes circule dans Conakry.
Crédit : Georges Gobet / AFP

Un ancien officier, rescapé du camp Boiro[xv], décrit de manière éloquente l’état de déchéance dans lequel le pouvoir d’Ahmed Sékou Touré place progressivement l’armée guinéenne. Témoin privilégié, il écrit : « à cette époque, l’armée était le souffre-douleur du peuple. Sékou l’avait vidée de tout son contenu. Elle n’existait que de nom. Depuis l’arrestation de Kéita Fodéba en 1969 et surtout depuis les événements du Mali, chaque militaire se demandait pourquoi il portait l’uniforme : pas d’instruction militaire ; les armes n’étaient pas aux râteliers mais dans des caisses scellées. La cuisine de la troupe était inexistante ; les soldats percevaient leur maigre PGA avec laquelle ils se débrouillaient. Soldats et sous-officiers vivaient dans la promiscuité avec leurs familles et dans des taudis aux abords du camp. (…). Sékou avait introduit l’armée dans la fonction publique. Les allocations familiales étaient coupées aux trois-quarts. (…) Désarmé, fonctionnaire, politicien en haillons, pieds nus, travaillant dans les plantations et dans les rizières, mal nourri et mal soigné, le soldat guinéen faisait vraiment pitié. Il était devenu la risée de son peuple qui lui en voulait sourdement et pour cause ». (Camara Kaba 41, 1998, p.70 ; 76).

La milice populaire est non seulement un contrepoids à l’armée, mais également un outil de surveillance des militaires. Elle soumettra l’armée aux mêmes purges sanglantes que le reste de la société guinéenne.

Deux histoires individuelles permettent de l’illustrer. Un ancien milicien rencontré dans le cadre de cette recherche explique qu’après l’« agression portugaise » du 22 novembre 1970, il a été muté à Labé où il a été chargé d’infiltrer le corps des officiers et d’implanter des membres du parti dans le Comité d’unité militaire implanté dans le camp. Après une formation militaire à Cuba, il a ensuite été muté à Conakry où il sera actif dans l’arrestation des militaires et cadres civils qui étaient accusés de comploter contre la révolution, à travers des aveux obtenus sous la torture dans les différentes prisons. Ces aveux étaient radiodiffusés.

Un autre ancien milicien raconte avoir été recruté par la milice en 1969. Après une rapide formation militaire, il est affecté dans la section de la milice du bureau fédéral de Kindia. À la mise en place du Comité d’unité militaire dans le principal camp de la ville (le camp Kémé Bouréma où il est affecté), sa mission principale est de surveiller ce qui se passe dans le camp pour le compte des autorités politiques, en l’occurrence le gouverneur de l’époque, Émile Cissé[xvi]. La ville de Kindia abrite à l’époque la deuxième prison où étaient enfermés les détenus politiques et les tortures pour obtenir les aveux se déroulaient au camp. Ce témoin participe aux séances de torture. Tous les vendredis soir, il participe aux réunions tenues dans le bureau du gouverneur où est établie la liste des militaires du camp à surveiller, notamment peuls et soussous.

En juillet 1971, il participe au peloton d’exécution des détenus politiques au pied du mont Gangan[xvii] (ironie du sort, après l’arrivée au pouvoir de Lansana Conté, il participera au peloton d’exécution des anciens dignitaires du régime de Sékou Touré en juillet 1985 à Kindia[xviii]). En 1982, il est nommé instructeur au camp Nkrumah. Il sera un cadre du centre de perfectionnement politique installé au camp Yaya dont la mission était d’assurer une formation politique aux jeunes officiers de retour de formation des pays de l’Est. Mais son rôle consiste surtout à dresser la liste des militaires qui ne font pas preuve d’un engagement révolutionnaire. Il joue aussi un rôle important pour prévenir les mouvements contre-révolutionnaires, en surveillant le comportement et les mouvements des personnels de sécurité et des civils. Il donne son avis sur les nouveaux recrutements et transmet ses comptes-rendus hebdomadaires au capitaine Siaka Touré, qui est le maître absolu du camp Boiro et dirige les arrestations et les aveux des détenus.

L’armée sous le régime du général Lansana Conté

Après la mort d’Ahmed Sékou Touré, un Comité militaire de redressement national (CMRN) prend le pouvoir en avril 1984 et affirme son orientation libérale. Le système de parti unique est aboli et la volonté d’ouverture vers l’Occident est clairement affichée. L’espoir se renforce avec la promesse du CMRN de fonder un État de droit, pour promouvoir et protéger effectivement les droits de l’Homme. Cette prise du pouvoir des militaires bouleversa les institutions et l’orientation politique de la Guinée. L’encadrement politico-administratif de la population par les Pouvoirs révolutionnaires locaux (PRL), les sections et les fédérations fut aboli. La priorité des nouveaux dirigeants est d’asseoir leur autorité, notamment sur l’armée dont ils sont issus.

La revanche de l’armée

La décision d’ouvrir les camps de torture de Boiro et de Kindia, la libération des prisonniers politiques, entraîna un vent de liberté et une énorme liesse populaire car les Guinéens y voyaient une opportunité de mettre fin à un quart de siècle de dictature.

Ce soutien populaire donna toute la liberté au CMRN de procéder à une militarisation sans précédent de l’administration guinéenne par un vaste changement des cadres au niveau central, préfectoral et sous-préfectoral. Entre le 3 avril 1984, date de la prise du pouvoir, et juillet 1984, près d’un millier de mutations, une centaine de nominations au niveau des sous-préfets et près d’une quarantaine au niveau des secrétaires généraux des départements ministériels furent effectuées par le nouveau pouvoir militaire. En décembre 1984, la proportion des militaires au sein de l’équipe gouvernementale était de 71%, ramenée à 48 % lors du remaniement du 6 juin 1989. Sous le règne de Lansana Conté, l’armée a été la catégorie sociale la plus favorisée du pays.

Officiers ayant pris le pouvoir en 1984.
Crédit : collection privée colonel
Abdoulaye Barry

Selon Bernard Charles, dans les quinze premiers jours du nouveau régime, des mesures « spectaculaires » sont prises par le CMRN pour obtenir le soutien de l’armée : promotion automatique de tous les sous-officiers au grade supérieur et rétablissement de certains grades qui n’avaient plus cours dans l’armée sous Sékou Touré. L’armée est séparée de la fonction publique à laquelle elle avait été intégrée sous le précédent pouvoir, par l’ordonnance du 18 avril 1984 (Charles, 1989).

En 1986, les soldes des militaires sont l’objet de fortes revalorisations, nettement plus importantes que celles des salaires des fonctionnaires. La prime globale d’alimentation par mois/homme est doublée

Le nouveau pouvoir militaire entreprend la rénovation des camps militaires avant celle des hôpitaux ou ministères. Le principal camp militaire de la capitale, le camp Samory, est rénové par les Philippins pour un montant de 30 millions de dollars. Après la suppression du Parti-État, le CMRN ordonne l’arrestation des dignitaires de l’ancien régime et limoge les gouverneurs des régions administratives pour les remplacer par des officiers de l’armée, de la gendarmerie ou de la police (ordonnance n°1 du 14 avril) (Ibid.).

Des nombreux jeunes en échec scolaire, notamment parents d’officiers ou sous-officiers, furent intégrés dans l’armée, recrutés essentiellement par un parent officier.

Ce recrutement disparate est à l’origine du comportement clientéliste ethnique que l’on observe encore au sein de l’armée. Pour entretenir sa clientèle au sein de l’armée, Lansana Conté a laissé bon nombre d’officiers s’enrichir à travers des trafics de tous genres et, forts de ce statut privilégié, certains ne tardent pas à mettre en place des circuits d’enrichissement personnels.

Le président Conté profita des attaques rebelles en 2000 pour recruter massivement des volontaires pour combattre aux côtés de l’armée. Nombre d’entre eux resteront sans aucune formation au sein de l’armée et, pour sécuriser son pouvoir, il créa des unités d’élite entraînées par les Chinois et des commandos rangers dont la formation fut assurée par les Américains.

Durant tout le règne de Lansana Conté, d’avril 1984 à sa mort en décembre 2008, l’armée, malmenée sous Sékou Touré, devient l’un des piliers centraux du régime. Le président veille à en faire le corps le plus privilégié de l’État. Alors que les principales infrastructures du pays sont en pleine déliquescence, les forces de sécurité et de défense bénéficient, elles, d’efforts soutenus. Le pouvoir militaire fait rénover le matériel de l’armée et intègre de nouvelles recrues, alors que les effectifs de la fonction publique restent stables.

[i] Les forces de défense et de sécurité (policiers, gendarmes, bérets rouges et membres des Compagnies mobiles d’intervention et de sécurité) comme on les appelle officiellement aujourd’hui, utilisent en guise de barrages, des tables en bois, des pneus usagés et des cordes.

[ii] Cette recherche s’est nourrie de plusieurs entretiens autour des conditions de création de l’armée guinéenne et les rapports entre Sékou Touré et l’armée avec le général Facinet Touré, qui était sergent en 1958 et premier sous-officier à assurer la garde au camp Mangin, aujourd’hui camp Samory

[iii] État-major français de la défense nationale, division du renseignement. « Fiche sur le potentiel militaire de la Guinée ». Service historique de la défense de Vincennes, boîte GR9 Q5 122

[iv] 4 État-major français de la défense nationale, division du renseigne

[v] Voir les fonctions exercées par Kéita Fodéba, le site www.webguinee.net/blogguinee de Thierno Siradio Bah.

[vi] A la mémoire du colonel Archinard qui, en mars 1891, lança une expédition française sur Kankan contre les troupes de l’Almamy Samory Touré.

[vii] Devenu général sous le règne de Lansana Conté et fusillé en juillet 1985 à la suite du coup d’état manqué du colonel Diarra Traoré.

[viii] Voir en annexe (du livre) la liste des militaires victimes de la répression sous Sékou Touré.

[ix] « Toure jittery over guinean army’s loyalty » in CIA Weekly Summary 10 jan 69. pp16 et 17. Note déclassifiée disponible sur le site de la CIA.

[x] Ibid.

[xi] Ibid.

[xii] Ibid.

[xiii] Ibid.

[xiv] Cf plus loin les témoignages de Facinet Touré et du lieutenant-colonel Guilavogui

[xv] Véritable camp de la mort en plein centre de Conakry où furent incarcérés de nombreux Guinéens victimes de la répression de Sékou Touré.

[xvi] Gouverneur de la ville de Kindia, membre de la Commission d’enquête du Tribunal révolutionnaire, tortionnaire notoire au camp Kémé Bouréma et à la prison civile de Kindia, exécuté par diète noire au camp Boiro. Sur Emile Cissé, cf. dans ce même ouvrage le texte de Coral

[xvii] Officiellement, 120 militaires, tous grades confondus, ont été exécutés de 1964 à 1972, auxquels il faut ajouter 80 autres fusillés dans la nuit du 28 au 29 septembre 1971, vers trois heures du matin, au pied des Monts Kakoulima à Conakry et Gangan à Kindia.

[xviii] Aujourd’hui à Kindia sont, côte à côte, les fosses communes des victimes du régime de Sékou Touré et les anciens dignitaires de son régime.

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