Il y a cent jours que, contre toute attente, le Groupement des forces spéciales (GFS) renversait le président Alpha Condé. Si avec le recul, l’évènement est désormais consommé et admis comme une réalité irréversible, cela n’était pas si évident le jour même du coup d’Etat. Des premiers tirs au petit matin, jusqu’à la parade victorieuse du colonel Doumbouya dans les rues de Bambéto, les habitants de Conakry sont passés par tous les états ce dimanche 5 septembre. C’est en particulier le cas de ceux qui vivent aux alentours du palais Sekhoutouréyah où les Forces spéciales sont allées chercher l’ancien président de la République. Justement, à l’occasion des 100 jours qui se sont écoulés depuis le coup d’Etat, nous avons recueilli le témoignage de Naby Camara, un habitant du quartier Boulbinet, à quelques encablures du palais de la présidence.
Quand le reporter du Djely l’a abordé, Naby Camara était en compagnie d’un groupe d’amis. Avec le recul, ce voisin du camp Makambo qui abritait les éléments de l’ex-garde présidentielle, se rappelle de faits qui annonçaient le caractère exceptionnel de cette journée. En effet, si habituellement, après la prière de l’aube, lui et ses camarades se retrouvaient au grand carrefour pour échanger jusqu’au lever du jour, le 5 septembre, cela n’a pas été possible. La tension aux alentours n’autorisait pas une telle sérénité. « Aux environs de 6 heures, un pick-up avec à son bord deux agents est sorti à vive allure du camp pour prendre la direction du palais Sekhoutouréya. Puis, à 7 heures, un autre pick-up surmonté d’une mitrailleuse est sorti avec la même allure ». Puis, une demi-heure après, les premiers tirs ont retenti du côté du commissariat central. « J’ai dit à mon ami qu’il y a quelque chose qui cloche », se rappelle Naby. Et il ne croyait pas si bien deviner. De l’endroit où ils étaient, lui et son ami, ils ont ensuite vu des bérets rouges de la garde présidentielle sortir du camp. Fermant le portail de celui-ci, ils se sont positionnés devant l’entrée principale, lourdement armés. Sur leur visage, la crispation se lisait comme dans un livre.
Naby Camara témoigne aussi avoir vu le premier pick-up revenir dans l’enceinte du camp. Il est ensuite ressorti, avec cette fois un nombre plus important de militaires à son bord. Direction : le palais Sékhoutouréyah. « C’est dans cette atmosphère d’interrogations que nous avons entendu les coups de feu venant cette fois du palais Sekhoutoureya à 8 heures. Et c’est ainsi que les bérets rouges de la garde présidentielle sont venus pour nous dire de quitter les lieux et de rentrer chez nous », se souvient notre témoin. Et même quand ils ont quitté les lieux, ils ont entendu un d’entre lancer dans leur direction : « Vous les bâtards, sortez ici. Quiconque s’amuse avec ce pouvoir, nous allons t’abattre comme un oiseau ». Une attitude qui en disait long sur l’agacement et peut-être la fébrilité dans le camp des soutiens de l’ancien président. Mais à ce moment-là, Naby et son ami ne s’attardent pas sur ces dimensions. Ils s’empressent de rejoindre la maison. Jusque dans les bandes de 10 heures quand, dit-il : « j’ai reçu le coup de fil d’un ami vivant en Nantes, en France, m’informant que le président Alpha Condé vient d’être arrêté et qu’il a toutes les images ». Naby ne croit pas. « J’ai dit non, c’est impossible », avait-il répondu à son ami. Mais presqu’aussitôt après, « un autre ami de la haute banlieue de Conakry m’appelle pour m’annoncer la même nouvelle ». C’est après ce deuxième coup de fil qu’il ose mettre à nouveau le nez dehors. Et là, aucun doute possible. « J’ai vu les gens sauter de joie »
Après ces premiers moments de réjouissance, des bérets rouges du BATA (Bataillon autonome des troupes aéroportées) sont arrivés, lourdement armés au camp Makambo. Selon notre témoin, ils ont dit à ceux du camp Makambo que la messe est entendue et leur ont demandé de se rallier aux Forces spéciales. Requête que la quasi-totalité a tout de suite acceptée.
Mais, c’est avec la vidéo de la première déclaration du colonel Mamadi Doumbouya postée sur Facebook que les citoyens ont eu la certitude que le pouvoir Alpha Condé a été renversé. Tout de suite, ce fut la liesse populaire, se rappelle Naby Camara. « J’étais moi-même très content quand les forces spéciales ont renversé le pouvoir Alpha Condé », admet-il. Il en donne les raisons : « Premièrement, il n’était plus apte à diriger ce pays. Deuxièmement, les gens en avaient marre de sa gestion. Troisièmement, il y avait trop d’insécurité dans le pays, trop de sang versé pour des choses inutiles et il y avait aussi trop de malédiction. Quatrièmement, je me réjouis du renversement d’Alpha Condé parce qu’il y avait trop d’injustice, de détournement dans ce pays. Et pourtant, le pays et toutes ses richesses appartiennent à tous les Guinéens ».
Balla Yombouno