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De Conakry à Abidjan, la filière lucrative du trafic de médicaments contrefaits

Depuis la Guinée, les médicaments falsifiés sont transportés illicitement jusqu’en Côte d’Ivoire. Un business juteux contre lequel il est difficile de lutter.

Des rangées de médicaments posées sur des étals à perte de vue. Bienvenue à Roxy, le plus grand marché de rue ivoirien de médicaments. Niché dans la commune populaire d’Adjamé, à Abidjan, il propose des produits 30 à 50 fois moins chers que dans les pharmacies. La raison ? La plupart d’entre eux sont des médicaments contrefaits.

70% des médicaments disponibles dans les pays en développement sont falsifiés (contre 10% dans les pays développés) selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’Afrique est la région la plus touchée par ce trafic, qui cause la mort de 100 000 personnes chaque année.

“La prise de faux médicaments favorise certaines maladies comme l’insuffisance rénale, les hépatites, les maladies cardiaques”, met en garde Dr Arounan Diarra, président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire. Il cite quatre types de médicaments contrefaits : ceux dont le principe actif (substance censée soigner) est en quantité insuffisante, ceux qui sont surdosés, ceux qui n’ont pas de principe actif (placebo), et enfin ceux qui ont un autre principe actif que celui indiqué sur la notice.

En Côte d’Ivoire, les faux médicaments sont un fléau. 30% des ventes de médicaments dans ce pays ouest-africain sont illégales selon Dr Linda Kaboré Bouboutou, initiatrice du Forum pharmaceutique international qui s’est tenu à Abidjan en octobre. “Ce trafic représente un chiffre d’affaires de 40 à 50 milliards de francs CFA” a-t-elle précisé pendant une conférence. Les produits falsifiés les plus demandés ? Les antipaludéens et les antidépresseurs.

Selon l’OMS, le commerce de médicaments contrefaits est 15 à 20 fois plus rentable que celui de la drogue. En 2019, des tentatives de déguerpissement du marché Roxy s’étaient soldées par des blessures par balles pour des forces de l’ordre, suite à des échanges de tirs.

“Ces médicaments viennent du Ghana, du Nigeria et de la Guinée”, explique Vanié Firmin, livreur de médicaments de Roxy depuis 14 ans. « Ils arrivent ici en camion banalisé », poursuit-il, en soulignant les complicités des compagnies de transport mais aussi des forces de sécurité, comme les agents antidrogues.

« Quand ils saisissent les marchandises, nous faisons des petits arrangements avec eux », confie le livreur, « ou quand les produits ne sont pas encore arrivés à destination, nous les appelons pour qu’ils aillent escorter le camion ». Contactée, l’Unité de lutte contre la criminalité transnationale (UCT) n’a pas souhaité commenter ces accusations.

Nous avons tenté de remonter la filière guinéenne. Nous voici à la frontière entre la Guinée et la Côte d’Ivoire, au poste-frontière ivoirien de Gbapleu, à proximité de la ville de Danané. La pandémie de Covid-19 a provoqué la fermeture des frontières en mars 2020, mais le trafic de médicaments a continué à prospérer. « Des trafiquant traversent la rivière Goué, aux endroits où le cours d’eau est très bas, d’autres utilisent les pistes à moto », raconte Gouli Robert, habitant du village frontalier guinéen de Gouéla.

« Puis une fois la frontière traversée, les produits sont chargés dans les camions de transport de marchandises, direction Abidjan », ajoute Sidibé Amara, planteur à Gbapleu. Selon lui, des négociations ont lieu entre les forces de l’ordre et les trafiquants pour que la marchandise puisse passer. La filière Guinée-Côte d’Ivoire est confirmée par Bah Ibrahima Kindia, coordonnateur du corridor Abidjan-Conakry : « la majeure partie des marchandises destinée à la Côte d’Ivoire part des dépôts de Nzérékoré, une préfecture guinéenne de l’autre côté de la frontière ».

Des saisies ont toutefois lieu régulièrement. Le 12 novembre, vers 21 heures, dans le village de Dantro, à 5 km de la frontière, la police des stupéfiants et des drogues (DPSD) a arrêté un camion sans immatriculation et sans papier, en provenance de Guinée. A bord, 20 tonnes de « médicaments de qualité inférieure » (MQIF), le nom officiel en Côte d’Ivoire pour les médicaments contrefaits. « A la vue de nos hommes, les occupants du camion se sont évaporés dans la nature en profitant de l’obscurité », relate la commissaire Behou France Irma, directrice de la DPSD dans cette région.

Les saisies ont aussi lieu à destination, à Abidjan. En novembre 2019, 400 tonnes de faux médicaments avaient été saisies lors d’une descente dans une villa de la commune abidjanaise de Cocody. Le phénomène est massif. « 2 000 tonnes de médicaments contrefaits saisies attendent, dans des entrepôts sécurisés, d’être détruits », note Dr Arounan Diarra, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire.

La Guinée est une plaque tournante du trafic de médicaments en Afrique de l’Ouest. Nous voici désormais à Conakry, la capitale du pays.  Dans son bureau, le colonel Moussa Thiegboro Camara, secrétaire général à la présidence chargé des services spéciaux (lutte contre la drogue et le crime organisé) a tenté de combattre le trafic. « En 2010-11, mon équipe avait réussi à démanteler deux usines de fabrication de faux médicaments, et fermer de nombreux marchés de rues », se souvient-il. Mais il suffit de parcourir les rues de Conakry pour constater que les marchés se sont depuis réinstallés.

Les médicaments arrivent pour la plupart de l’étranger, en particulier de Chine et d’Inde, principaux pays producteurs. Pour lutter contre cette fraude, le ministère guinéen de la Santé a, depuis le début de l’année, retiré à 98 sociétés (sur 108) l’autorisation d’importer et de distribuer des produits pharmaceutiques en Guinée.

Mais le trafic continue. Comme au marché de Madina, situé à Conakry, près des ports de Boussoura et Coléyah. Président de l’association nationale des marchands de médicaments, Mamadou Dahnè Diallo réfute toute responsabilité dans la prolifération de ces produits falsifiés. « Nous avons même acheté un site de destruction de médicaments, à Kindia, où environ 300 tonnes de médicaments périmés, que nous avions collectés, ont été incinérées » insiste-il.

Pour freiner ce fléau, le Conseil européen a mis en place la convention Medicrime, un dispositif international de lutte contre la contrefaçon des produits de santé. Mais son efficacité demeure limitée en Guinée, malgré l’installation en 2019 d’une unité opérationnelle de lutte, nommée brigade Medicrime.

Pour son coordonateur général, Dr Mahmoud Sylla, l’espoir porte plutôt « sur la relance de la pharmacie centrale de Guinée (PCG) qui doit réussir à approvisionner au moins 80% de la population du pays en médicaments essentiels ». L’objectif ? Evincer les marchés de rues, et assécher le trafic. Car aujourd’hui, il n’y a pas assez d’officines officielles dans le pays, hors de la capitale, pour permettre à tous les Guinéens d’acheter des médicaments.

La plupart des pays africains, comme la Côte d’Ivoire, n’ont pas ratifié cette convention Medicrime. La loi ivoirienne et la loi guinéenne punissent respectivement les trafiquants, de 5 à 10 ans de prison, et jusqu’à 20 ans de prison. Mais aucun procès de ce genre n’a encore eu lieu.

Fin novembre, une instruction judiciaire a été ouverte en Guinée. Le syndicat des pharmaciens et officines privées a porté plainte, dénonçant l’implication de certains cadres du ministère de la Santé dans le trafic de médicaments contrefaits.

Hawa Bah & Abou Traoré

Cet article a été rédigé par Ledjely.com en collaboration avec Le Sursaut  dans le cadre de “La Richesse des Nations”, un programme panafricain de développement des compétences des médias dirigé par la Fondation Thomson Reuters. Plus d’informations sur http://www.wealth-of-nations.org/fr/. La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable des contenus publiés, ceux-ci relevant exclusivement de la responsabilité des éditeurs.

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