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FLUX FINANCIERS ILLICITES EN AFRIQUE : cas de la Guinée

Dans son dernier rapport actualisant les données sur les flux financiers illicites (FFI) en Afrique, le Groupe de Haut niveau conduit par l’ancien Président sud-africain TABHO M’BEKI et la CNUCED (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement) nous informe que 88,6 milliards de dollars se volatilisent chaque année du continent. Outre les sommes en jeu.

Quant à  l’Afrique  de l’ouest, elle  est devenue plus vulnérable aux activités illicites car la distinction entre « licite » et « illicite » est souvent floue, parce que des communautés entières peuvent dépendre du commerce illicite, soulignent les auteurs du rapport , selon l’étude réalisée par l’OCDE et la Banque africaine de développement (BAD) en collaboration avec la Banque mondiale, le Nepad et le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’ouest (Giaba).

« En Guinée, la corruption est malheureusement encore persistante. Selon les rapports 2011 et 2017 de l’Agence nationale de lutte contre la corruption, le volume des pots-de-vin en Guinée avoisine en moyenne 600 milliards de francs Guinée chaque année. La même source indique que les opérateurs économiques déclarent avoir payé près de 500 milliards de francs guinéens par an en paiement non officiel et 75% des entreprises affirment faire des cadeaux pour obtenir des contrats »

« Depuis 2010, l’action du gouvernement dans la lutte contre la corruption s’est focalisée sur plusieurs actions : l’inscription de la lutte contre la corruption dans la lettre de mission de tous les membres du gouvernement et l’exigence de transparence dans tous les processus administratifs ; l’adoption de la loi portant prévention, détection et répression de la corruption et des infractions assimilées en juillet 2017 ; la mise sur pied d’un arsenal important de contrôle impliquant plusieurs institutions républicaines et administratives ( la Cour des comptes, l’Inspection générale d’Etat, l’Inspection générale des finances, l’autorité de régulation des marchés publics, l’agence nationale de lutte contre la corruption, l’Agent judiciaire de l’Etat, la CENTIF pour le blanchiment d’argent) ; la déclaration des biens des hauts fonctionnaires de l’état, le recours aux technologies de l’information pour accroître la transparence. »  et enfin la CRIEF (Cour de répression des infractions économiques et financières)

Depuis 2010, la Guinée a gagné beaucoup de places dans la lutte contre la corruption. Elle est passée de 164ème à 138ème en 2018 et 150ème sur 180 pays avec une note de 25/100 en 2021.

  1. COMMENT COMPRENDRE LE PHÉNOMÈNE DES FFI ?

 D’après le rapport, « Les flux financiers illicites (FFI) sont des mouvements transfrontaliers d’argent et d’actifs dont la source, le transfert ou l’utilisation sont illégaux ». Y sont distinguées 4 grandes catégories. D’abord, « les pratiques fiscales et commerciales » consistant essentiellement à de fausses facturations pour les produits destinés à l’import ou à l’export, environ 40 milliards de dollars par an. Ensuite « les marchés illégaux », relevant notamment du trafic d’êtres humains ou encore de déchets toxiques. De même « les activités relevant du vol et le financement de la criminalité et du terrorisme ». Enfin, les FFI liés à la « corruption ».

  1. À QUI LA FAUTE ? (Presque tout le monde)

Lorsqu’il est question de l’Afrique et des raisons pour lesquelles les pays rencontrent des difficultés de développement, très vite la corruption intérieure est pointée du doigt comme principale responsable. Elle est indéniable : environ 148 milliards $US par an selon la Banque africaine de développement. Il faut néanmoins distinguer la « petite » de la « grande » corruption.

S’il faut incontestablement lutter contre la petite corruption, il faut avant tout considérer qu’elle est le produit d’appareils d’État rendus défaillants par des décennies d’ingérences extérieures néocoloniales, et dans laquelle se complaisent des classes capitalistes autochtones et dirigeantes complices.

Dans un environnement où les classes capitalistes et dirigeantes, sont perçues comme corrompues, la petite corruption se développe d’autant plus. Puisque dans les plus hautes sphères de l’État et des organisations (publiques et privées) les obligations fondamentales sont transgressées par ses plus hauts représentants, il deviendrait normal, rationnel voire nécessaire d’agir de la sorte à des niveaux subalternes, notamment chez les fonctionnaires sous-payés ou laissés sans salaire pendant des mois. La « petite » se présente alors comme une excroissance de la « grande » corruption. L’obtention forcée ou accélérée de documents administratifs, de ristournes fiscales, d’un terrain à bâtir, etc. se monnaye alors entre des individus et des agents appartenant tous deux à la classe moyenne. De fait, le « petit corrupteur » obtient par le paiement d’un dessous de table ce qu’il aurait dû obtenir tout à fait normalement si le service public et ses employés étaient suffisamment financés par l’État. Quant au « petit corrompu », il obtient un revenu de subsistance complémentaire souvent rendu nécessaire en raison de salaires faibles voire impayés, le tout dans une structure dysfonctionnant et qu’il sait parasitée en son sommet.

En bout de chaîne, ces agissements délictueux mais compréhensibles, se répercutent malheureusement doublement aux dépens des plus pauvres. Proportionnellement à leurs revenus, ils doivent payer davantage pour espérer bénéficier de services publics ou privés, tout en sachant qu’en l’état, ces mêmes services, censés accessibles à tou-te-s, continueront à se déliter. Pour autant, s’il faut incontestablement lutter contre la « petite corruption », il faut avant tout considérer qu’elle est le produit d’appareils d’État rendus défaillants par des décennies d’ingérences extérieures néocoloniales, et dans laquelle se complaisent des classes capitalistes autochtones et dirigeantes complices.

« Le licite et l’illicite sont de plus en plus interconnectées en Afrique de l’ouest. Cela s’explique, en partie, par la prépondérance de l’économie informelle, qui représenterait 60-70% de l’activité économique globale de sa région. Cela s’explique aussi par l’existence de réseaux de protection des élites connectés aux flux licites et illicites. L’argent afflue vers les caisses de personnes d’influence à l’échelle locale, ainsi que vers les groupes armés, criminels et terroristes, comme il le ferait (devrait le faire) vers celles de l’Etat. »

L’essentiel des produits contrefaits et de qualité inférieure importées en Afrique de l’ouest est dissimulée dans les flux commerciaux légitimes en direction de la région. « Les ressources limitées de l’Etat, la corruption endémique des autorités portuaires et le manque de capacités pour réaliser des inspections physiques des conteneurs produisent un environnement favorable à la contrebande’’. Le trafic de drogue trouve un débouché local : Si le rapport admet qu’il existe très peu d’information sur le trafic de cannabis en Afrique de l’ouest, la région présente ses particularités. De « qualité inférieure que celui produit en Afrique du Nord et inadapté à l’exportation vers l’Amérique du Nord ou l’Europe »

Autre phénomène, la cybercriminalité dans laquelle les jeunes de 18 à 30 ans en Afrique de l’Ouest font preuve…. d’innovation. En 2013, les pertes estimées émanant des « arnaques (arnaques sur les avances de frais) s’élevaient à $ 12,7 milliards. Sans oublier le trafic d’êtres humains et d’organes.

Les grandes entreprises et multinationales sont également un rouage essentiel des FFI et maintiennent volontairement le continent comme un fournisseur de matières premières afin d’en tirer un profit maximal. Comme l’indique le rapport, « jusqu’à 50 % des flux illicites en provenance d’Afrique ont pour source la fausse facturation dans le commerce international et plus de la moitié des FFI qui y sont liés ont pour source le secteur extractif ». Ainsi, 40 milliards des FFI proviennent de l’activité destructrice de l’industrie extractive (l’or 77 %, le diamant 12 %, et la platine 6 %).

  1. COMMENT REMÉDIER AUX FFI ?

Avec ce rapport de la CNUCED, l’Organisation des Nations unies (ONU) aurait intérêt à reconsidérer la promotion systématique des financements privés pour la réalisation de ses objectifs de développement durable (ODD) et, à s’attaquer par exemple aux « pratiques fiscales et commerciales » des FFI. Ceci permettrait à l’Afrique de récupérer la moitié des financements nécessaires à la réalisation des ODD, devant être atteints d’ici 2030. Ce serait une bouffée d’oxygène considérable pour les finances publiques des pays africains. D’autant plus dans une période de crise de la dette conjuguée à des besoins de financement accrus avec les conséquences sanitaires et économiques de la Covid-19.

Les recettes fiscales des pays africains n’ont toujours pas retrouvé leurs niveaux d’avant les années 1980 et 1990, pendant lesquelles les politiques d’ajustement structurel ont entrainé une chute des recettes issues du commerce international.

RECOMMANDATIONS :

A- Si la corruption est un problème qui revêt de multiples facettes, c’est néanmoins un mal dont nous connaissons les remèdes. Pour mettre fin au cercle vicieux de la corruption, des violations des droits de l’homme et du déclin démocratique, il faut exiger des pouvoirs publics qu’ils agissent dans le but de :

  1. GARANTIR LES DROITS NÉCESSAIRES POUR QUE LE POUVOIR SOIT TENU DE RENDRE DES COMPTES.
  2. RÉTABLIR ET RENFORCER LES CONTRÔLES INSTITUTIONNELS SUR LE POUVOIR
  3. COMBATTRE LA CORRUPTION TRANSNATIONALE
  4. GARANTIR LE DROIT À L’INFORMATION CONCERNANT LES DÉPENSES PUBLIQUES

B- Puisque les FFI sont un problème commun aux pays pauvres que riches. Ces derniers devraient, sans aucune forme d’ingérence, s’engager à :

Annuler les créances illégitimes et odieuses réclamées à des pays tiers par les pays du Nord afin de promouvoir des formes de développement souveraines, solidaires et autocentrées des pays du Sud,

Sanctionner lourdement les entreprises coupables de toute forme de corruption de fonctionnaires publics des pays du Sud.

Sanctionner les hauts fonctionnaires et le personnel politique qui dans les pays du Nord ont favorisé ou favorisent la spoliation sous différentes formes des peuples du Sud.

Lancer un vaste programme d’audit à participation citoyenne pour mettre en évidence toutes les formes de spoliation et d’exploitation des peuples du Sud.

C- QUELQUES MOYENS POUR LES GUINÉENS DE LUTTER CONTRE LA CORRUPTION :

a. Pour les citoyens, le premier moyen de lutte contre la corruption dont ils disposent est de refuser de donner la corruption pour obtenir des services ;

b. Pour les associations et entreprises, le principal moyen de lutte est la dénonciation des comportements contraires aux dispositions législatives ;

c. Pour les médias, la lutte contre la corruption se fait beaucoup plus à travers l’espace de contrôle d’information et de débats dont ils disposent ;

d. Pour l’Etat, la lutte contre la corruption passe par l’éducation et l’information des citoyens sur leurs droits et leurs obligations, mais aussi par le contrôle et la sanction des contrevenants.

Par Mohamed CAMARA Associé Gérant Cabinet Conseil MOCAM CONSULTING

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