Le 21 février dernier, plusieurs journalistes — réunis au sein du mouvement “Presse solidaire” — ont demandé la délocalisation du nouveau siège de la maison de la presse pour le centre directionnel du Koloma. Selon eux, le nouveau domaine offert par le colonel Mamadi Doumbouya, le président de la transition, n’a pas été acquis dans le respect des procédures légales. Mais du côté du Collectif des victimes déguerpies de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse, le sentiment est tout autre.
Pour Mamadou Samba Sow, porte-parole du collectif, il est incompréhensible que la presse ait de la compassion pour une seule famille et ne s’inquiète pas de 1 200 familles concernées par la spoliation de Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse. Il a répondu aux questions du Djely…
Ledjely.com : Après la conférence de presse du mouvement “Presse solidaire”, vous avez exprimé votre indignation. Pourquoi ?
Mamadou Samba Sow : Pour moi, c’est un étonnement parce que lorsqu’on parle de la Maison de la presse, la villa donnée aux journalistes du côté de la Minière, il y a un débat autour. Parce que, eux-même dans leur déclaration, ils ont dit que le bâtiment était dans les mains d’un citoyen et qu’elle lui a été retirée dans une situation un peu confuse. Et maintenant, qu’ils disent qu’ils redoutent en quelque sorte qu’ils ne soient accusés par l’opinion d’être complices des actions posées par la junte concernant cette histoire de récupération des biens de l’Etat. Mais ce qu’on ne comprend pas, c’est que les même journalistes qui ont de la peine pour une seule famille proposent aussi à l’Etat de construire la future Maison de la presse à Koloma (à Kaporo-Rails). Or Kaporo-Rails, c’est plus de 1 200 familles spoliées de leurs maisons. On ne comprend pas comment on peut avoir de la compassion pour une seule famille, redouter la réaction de l’opinion et demander à l’Etat de construire une maison sur des domaines sur lesquels vivaient de nombreuses familles et qui ont été également expropriées. Si le dossier avait été réglé dans le cadre d’un dédommagement ou d’un recasement, on n’aurait pu comprendre mais maintenant que cela n’est pas fait, moi je ne vois pas la raison pour laquelle on peut faire preuve d’humanisme à l’égard d’une seule famille et ne pas avoir le même sentiment quand il s’agit de plus de 1 000 familles. C’est là où personnellement en tant que journaliste, victime, défenseur des droits de l’homme, je ne comprends pas leurs démarches. Donc, c’est regrettable !
A Kaporo-Rails, il existe bien des zones non conflictuelles qui peuvent être utilisées pour y bâtir la Maison de la presse…
Lorsqu’on parle de Kaporo-Rails, il y a deux cas, voire trois. Il y a des domaines sur lesquels étaient construits des bâtiments appartenant aux populations et qui ont été détruits en 1998. Ces espaces-là, leur sort ne relève pas de notre collectif mais plutôt de l’Association des victimes de 1998. Il y a les domaines sur lesquels nous habitions et sur lesquels il y a eu casse en 2019. Et il y a une petite partie qui reste entre la ligne des hautes tensions et les les rails, au niveau du Centre mère et enfant. Donc, ce sont les trois catégories de domaines qui y existent. Mais je ne vois aucun domaine là-bas qui ne ferait pas l’objet de contestation, de litige ; en tout cas pour ce qui concerne les casses de 1998 et de 2019. Maintenant le reste, c’est déjà occupé. Je ne vois aucun espace vide là-bas à moins qu’on ne veuille créer un nouveau déguerpissement. Donc ce débat-là, celui qui l’a soulevé, je pense qu’il n’a pas la maîtrise car même les journalistes qui demandent qu’on fasse la Maison de la presse là-bas, eux même ne connaissent pas la situation de la zone. Ils ne sont pas de l’habitat ni des lieux.
Et en ce qui concerne le centre directionnel de Koloma ?
Quand on parle de “site directionnel de Koloma”, tout ça renvoie à trois localités : Kaporo-Rails, Kipé 2 et Dimesse. Lorsque l’Etat parle de sa propre réserve, de ses biens, le seul document qu’il peut exhiber à la face du monde, c’est le décret du 03 novembre 1989, le décret 211 qui a été signé par le général Lansana Conté. Or, le code foncier et domanial prévoit les procédures par lesquelles l’Etat peut passer pour avoir un domaine. Un simple décret ne suffit pas. Il y a aussi l’avis de la justice qui compte. Il faut que l’utilité publique soit déclarée et ce même décret dont on parle a été très clair en son article 4. Il ne parle d’ailleurs pas de Kaporo-Rails seulement. Il parle des lacs de Coronthie et de Sonfonia, de la décharge de Dar-Es-Salam, des domaines à Kenien… en passant par le littoral jusqu’à Kakoulima. Ce décret en son article 4 précise qu’aucun aménagement n’est possible tant que l’Etat ne dédommage pas les populations et ne recase pas les populations qui étaient sur ces lieux-là. Donc, aucun aménagement n’est possible tant qu’il n’y a pas de dédommagement et de recasement à la hauteur des investissements fait sur ces domaines. Même si on s’appuyait sur ce décret, l’Etat n’a pas raison d’avoir agi de la sorte à Kaporo-Rails, Kipé 2, Dimesse en 1998 et en 2019. Parler de zone qui ne serait pas conflictuelle ou conflictogène, ça n’a pas de sens. Ce qui reste clair, c’est qu’il y a un problème autour de ces terres-là parce qu’il y avait des gens avant même que le décret ne soit pris. Et donc, on a mélangé tout et les gens disposent de documents qui sont plus anciens que le décret lui-même. Voilà ce qui crée tout le problème. Il n’y a pas à dire qu’il y a un domaine là-bas qui ne dispose pas sauf si c’est là où il y avait le centre émetteur, juste à côté de la RTG, entre la RTG et le poste de police. Depuis longtemps, il y avait un poste émetteur et donc à ce niveau là, personne n’habitait. Peut être c’est ce seul domaine qui existe et qui ne fait pas l’objet de litige entre l’Etat et nous.
Quelle alternative proposez vous alors?
On a vu qu’au Sénégal et ailleurs, il y a des maisons de la presse dignes. Ce qui n’est pas le cas en Guinée. Maintenant qu’on a donné aux journalistes une villa, c’est vrai que peut-être la procédure n’a pas été respectée, il faut craindre que celui qui était dans cette villa ne revienne demain protester contre la décision du CNRD, lorsque celui-ci ne sera plus aux affaires. Il faut trouver une maison. Soit la construire ou acheter une qui existe ou donner une maison appartenant à l’Etat, qui ne fait l’objet d’aucun litige. Mais s’il faut construire, je pense que Conakry est très vaste. L’Etat a des domaines sur lesquels il n’y a pas de polémique. Il faut trouver sur ces domaines un endroit pour construire la future Maison de la presse.
Pour notre cas, on est dans un combat. On attend. Si notre situation est réglée, si par exemple on décidait de nous emmener ailleurs, on renonce aux domaines dont on parle mais si ce n’est pas le cas, il sera difficile qu’on laisse quelqu’un s’installer là-bas en paix comme si nous nous ne sommes pas des Guinéens et que nous n’avons pas de droits. La solution est simple : il faut construire ou acheter. Cela va éviter que demain les journalistes ne se retrouvent dans un problème judiciaire qui ferait qu’on va se retrouver dans la rue sans maison.
Où en est-on avec votre bataille judiciaire ?
Pour l’instant, la bataille judiciaire est suspendue puisqu’elle était du côté d’Abuja, au niveau de la CEDEAO, où la Guinée a été suspendue à cause du coup d’État du 05 septembre dernier. Donc, on attend ! Actuellement, c’est des négociations qui se mènent entre les victimes et IMAAG Holding. Si maintenant ces négociations n’aboutissent pas, on exclut pas de relancer la procédure judiciaire ou d’intenter d’ailleurs un nouveau procès contre les auteurs de la Casse de Kaporo-Rails au niveau national, en Guinée Ici. Mais pour l’instant, cette éventualité n’est pas encore sur la table. Tout dépendra du comportement de la partie qui est en face. Si on est satisfaits dans les propositions, tant mieux, on règle le problème à l’amiable. Si tel n’est pas le cas et qu’on tente de nous rouler dans la farine, on se tournera vers la justice et on verra si elle est vraiment boussole de la junte.
Propos recueillis par Elisabeth Zézé Guilavogui