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La CRIEF, la méthode Coué et la présomption d’innocence

Alors que le rythme des convocations devant cette cour spéciale s’était ralenti ces derniers temps, soudain, la machine à broyer du CNRD se remet en route comme pour faire écho au calendrier politique qui s’accélérait dans le même temps.

Cette juridiction spéciale a, en effet, convoqué, mis en examen, puis écroué d’anciens hauts dignitaires du régime déchu dont le Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, par ailleurs récemment auréolé du titre de Président du plus grand parti politique du pays. Comme revigoré par cette ascension politique, Kassory Fofana a remis une pièce dans la machine du CNRD en appelant comme le “club des 58” autres partis politiques, au dialogue pour la fixation d’un calendrier consensuel de transition. C’était le pied-de-nez de trop. Et comme par magie, le voilà écroué et bien d’autres barons de son parti, à la faveur d’une procédure accélérée.

La méthode très discutable de la procédure

Si cette démarche de la CRIEF s’inscrit sous l’égide de la moralisation de la vie publique, qui est pour le moment centrée sur les figures politiques, c’est une initiative à saluer et à encourager, la méthode semble pour autant discutable. La méthode utilisée est celle dite de Coué dans le langage courant. Cette méthode est empruntée au psychologue français Émile Coué qui consiste à utiliser ses propres prophéties auto réalisatrices. Dans notre cas d’espèce, elle consiste pour la CRIEF à une forme d’optimisme mêlé à un déni de la réalité, en l’occurrence à un déni de la procédure.

La CRIEF semble s’engager dans une sorte de procédure collective contre les anciens dignitaires, tous poursuivis pour les mêmes chefs d’accusation. Qui pourrait croire que tous les membres d’un gouvernement sont corrompus ? Le temps de la justice ne saurait être celui de la célérité. Un dossier de corruption, de détournement de fonds publics et de blanchiment d’argent demande du temps aux enquêteurs pour vérifier toutes les pièces nécessaires, réunir les preuves et confronter les prévenus à leur responsabilité.

La CRIEF semble renverser un principe fondamental en droit : le principe de la charge de la preuve. Selon ce principe, il revient à l’accusation de prouver la culpabilité des prévenus en les mettant face aux preuves matérielles et non l’inverse. Or, il semble que les enquêteurs de la CRIEF ne disposent d’aucune preuve matérielle pour confondre les accusés sauf à se cantonner à lister une kyrielle d’accusations. Cette méthode est incompatible avec le principe de la présomption d’innocence.

La présomption de culpabilité et la détention préventive deviennent la règle à la CRIEF

La présomption d’innocence est un principe fondamental en droit selon lequel toute personne qui se voit reproché une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée. C’est un principe universel en matière de poursuite prévu à l’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’homme, qui stipule : “toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées“.

Or, dans les poursuites actuellement engagées par la CRIEF, ce principe semble être mis de côté au profit de la culpabilité d’office. Et pour me conforter dans l’analyse, la CRIEF semble abuser de la détention provisoire. En matière de procédure judiciaire, la détention préventive est une exception. On ne fait recours à la détention que dans ces cas de figure : le prévenu est susceptible d’être dangereux pour la société, le risque de fuite élevé et la possibilité pour l’accusé de soudoyer les éventuels témoins ou détruire les preuves. C’est quand l’un des éléments est vérifiable que le juge d’instruction peut recourir à la détention préventive. Or, à l’heure actuelle, aucun de ses éléments n’est réuni, puisque tous ces anciens dignitaires sont interdits de sortie du pays, leurs passeports et avoirs confisqués. Une autre entorse à la loi, puisqu’aucun juge n’a décidé ces mesures.

Dans une procédure judiciaire qui a pour but de moraliser la gestion publique, il faut éviter de donner le sentiment d’humilier des gens qui ont servi l’Etat au plus haut sommet. Cette reddition des comptes initiée par les autorités de la transition doit se poursuivre. Toute personne qui a pris un centime dans les caisses publiques sans justifier l’utilisation qu’elle a en fait, doit répondre devant la justice. Qu’à cela ne tienne, la procédure judiciaire doit obéir aux principes élémentaires de la poursuite pour être crédible.

Et une affaire judiciaire qui se veut sérieuse, prend le temps nécessaire à la réunion des preuves matérielles. Le temps de la justice ne saurait être celui de la clameur ou de l’opinion publique.

Par Alexandre Naïny Berete, juriste analyste politique

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