Le Mali, le Burkina Faso et le Niger doivent boire du petit lait. Parce que le Nigeria dont le président, Bola Tinubu, à peine élu en 2023 à la tête de la CEDEAO, menaçait de leur faire vivre l’enfer, n’est aujourd’hui pas au meilleur de sa forme. Le général Abdourahmane Tiani en particulier doit d’autant savourer les instants présents que la crise économique à laquelle le Nigéria est aujourd’hui confrontée résulte de réformes portées par Bola Tinubu. Justement, comment peut-on expliquer cette descente massive des Nigérians dans les rues de tout le pays ? Faut-il y voir les conséquences de décisions abruptes de la part d’un président qui n’avait pas une saine lecture de la situation du pays ? Ou bien révélateur des défis structurels de ce vaste pays dont la réputation ne serait qu’un mirage ? C’est peut-être les deux.
#EndBadGovernanceInNigeria, un mouvement né sur et à travers les réseaux sociaux. N’ayant en conséquence aucun leadership identifié, mais qui réussit à drainer si subitement du monde en ce jeudi 1er août sur l’ensemble du pays et dans pratiquement tous les Etats. Constitué essentiellement de jeunes, il est consécutif à une crise économique qu’on n’avait pas connue au Nigeria depuis les années 90. Confrontés à une inflation si élevée qu’elle rend les prix des denrées inabordables, les Nigérians sont aujourd’hui affamés. Ils n’en peuvent plus. Mais puisque les autorités, enfermées dans une sorte d’autisme, ne semblent pas entendre les cris de désespoir qui s’élèvent de certains quartiers populaires des différents Etats, il a fallu battre le pavé. C’est à croire qu’en Afrique, décidément abonnée aux mauvaises nouvelles, les choses sont bien reparties : les crises politiques pour les pays francophones et celles socioéconomiques et de gouvernance pour ceux anglophones. Parce que les mobilisations qui commencent aujourd’hui au Nigéria ne sont pas sans rappeler celles, il y a quelques semaines, du Kenya.
Le Nigéria, le Kenya…deux pays qu’on a pourtant l’habitude cités comme des exemples de ceux qui incitent à ne pas sombrer dans le désespoir ambiant sur ce continent noir. Cette réputation est-elle surfaite alors ? Dans le cas du Nigéria, c’est tout comme. Parce qu’en réalité, cette descente aux enfers qui pousse la jeunesse nigériane à défier Bola Tinubu a été déclenchée par des réformes imposées par ce dernier. Réformes au nombre desquelles, la décision de mettre un terme à la subvention des prix des produits pétroliers. En principe, rien de mauvais dans un tel choix. Les économies résultant nécessairement de la décision pouvant servir dans des secteurs tout aussi cruciaux pour le bien-être de la population. Par ailleurs, un pays où tout le monde vit sur le dos de l’Etat, risque d’être pris dans le piège du cercle vicieux. Mais il se trouve que l’économie nigériane n’est pas si solide au point de supporter une telle réforme. C’est une économie bâtie fondamentalement autour du pétrole. En sorte que la plupart des produits que les Nigérians consomment quotidien sont importés de l’extérieur. Et bien sûr, dans un contexte comme celui-ci, une forte inflation se révèle tout de suite désastreuse.
Mais on doit aussi interroger la responsabilité personnelle du président nigérian. Que s’est-il passé pour qu’il se décide subitement à arrêter la subvention sur les prix des produits pétroliers ? Une prise de risque inutile de la part d’un président, parce que venant du monde impitoyable du secteur privé, a voulu foncer sans se soucier des répercussions ? Ou bien le reflet de la méconnaissance pure et simple de la nature et de l’ampleur des défis dont il hérite ? Probablement les deux à la fois. En tous les cas, la nouvelle n’est pas nécessairement une bonne chose. Parce qu’il s’agit-là d’une nouvelle crise qui détourne les autres pays de l’espace CEDEO des enjeux sécuritaires et d’instabilité institutionnelle dans la sous-région.
Boubacar Sanso Barry