En principe, il n’y a aucun lien de subordination entre le président américain, Donald Trump, et le continent africain. Pourtant, on ne peut pas dire que certains des événements auxquels on assiste de plus en plus en Afrique soient étrangers à la conception que le milliardaire américain se fait des choses. En particulier, son rapport au pouvoir, à la démocratie, au droit et même à la vérité n’est pas sans conséquence dans nombre de nos pays. Par ailleurs, sa propension à affaiblir le multilatéralisme, combinée au poids de son pays dans ce qu’il est convenu d’appeler la communauté internationale, débouche sur la remise en cause de biens des acquis sur le continent africain. Ce qui, au passage, aboutit à une révélation bien affligeante : nombre de progrès que l’on saluait jadis dans nos pays résultaient en fait de la pression des autres.
Coïncidence troublante
C’est un constat qui fait l’unanimité. Depuis quelques années, on assiste à un net recul de la démocratie, des droits humains et des libertés en Afrique. Cela est illustré par le retour en force du pouvoir kaki par le biais des coups d’État militaires, le bâillonnement de plus en plus marqué de la liberté de la presse, la généralisation des détentions arbitraires ou encore une intolérance plus assumée vis-à-vis des contre-pouvoirs. Cette dégradation pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs, au nombre desquels le désenchantement né de l’expérience démocratique africaine des quarante dernières années. Cependant, on ne peut s’empêcher de noter la coïncidence entre ces développements récents enregistrés en Afrique et une certaine perte d’influence du bloc occidental. Perte d’influence à laquelle il faut sans doute ajouter le désintérêt qu’un certain nombre de dirigeants de la part le monde manifestent à l’égard des valeurs démocratiques. Et c’est par ce canal que se manifeste l’impact de Donald Trump.
Indépendance sans responsabilité
Du fait de son attitude qui privilégie le rapport de force plutôt à la logique du droit, il entraîne tout le bloc occidental dans son sillage. Cela est facilité, par ailleurs, par la montée de l’extrême droite dans quasiment tous les pays occidentaux. Ainsi donc, aucune puissance n’ose désormais se prononcer sur les violations des droits de l’homme ou les irrégularités d’un scrutin dans un autre pays, notamment en Afrique. Dans les faits, tout le monde a tendance à s’aligner sur la politique diplomatique de la Chine ou de la Russie, privilégiant les intérêts économiques au détriment des questions de gouvernance interne des Etats. En principe, une telle attitude, les Africains devraient s’en féliciter, car cela leur confère logiquement une indépendance derrière laquelle ils courent tant. Sauf qu’indépendance doit normalement rimer avec responsabilité. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas chez nos dirigeants. Très souvent, nos responsables, quand ils sont à l’abri de l’œil inquisiteur des autres, ont tendance à nous martyriser, à nous asservir, à nous chosifier. L’autonomie qu’ils conquièrent, ils ne la mettent pas au service du développement de nos infrastructures scolaires, sanitaires ou routières ; ils n’en profitent pas non plus pour instaurer une gestion vertueuse et équitable des ressources, de manière à ce que chacun puisse en bénéficier. Tout au contraire, quand les Etats-Unis et l’Europe décident de regarder ailleurs, ceux qui nous commandent ont tendance à se dire que c’est l’occasion de tout amasser pour eux et leurs clans.
Visions étriquées
Dans l’absolu, nos libertés et nos droits, on aurait pu les troquer contre des Poutine, des Xi Jinping ou des Erdogan. Mais il aurait fallu, pour cela, que nos dirigeants, à nous, soient au moins porteurs de grandes ambitions susceptibles de hisser nos pays et notre continent au sommet. Sauf que là non plus, ce n’est pas gagné. Nos leaders, aux visions étriquées, gaspillent davantage leur énergie dans le micro-management et les objectifs court-termistes que dans la conquête de l’espace. Avec eux, on n’a rien, ni les droits et les libertés, ni le développement économique.
L’occident démocratique en péril, l’Afrique démocratique en panne
Nos opposants aussi, on s’en rend bien compte, sont à court d’idées et de stratégies dès qu’ils ne peuvent plus s’appuyer sur la béquille des Occidentaux moralisateurs. Maintenant que les chancelleries ne sont plus promptes à sortir des communiqués et déclarations pour condamner les répressions et les intimidations, ils sont quasiment tous éteints. Incapables de proposer une offre politique susceptible de rallumer la flamme chez leurs militants, ils sont réduits à se morfondre dans leur solitude et à ruminer leur dépit. Jouant les épouses effarouchées, ils passent leur temps à lancer des appels si inaudibles que les différents leaders en deviennent presque ridicules. Et il en est de même de nos activistes de la société civile et des ONG. Jadis redoutables sentinelles pour la démocratie, ils sont subitement tous réduits au silence. Bref, l’Afrique démocratique est aujourd’hui en panne, parce que le camp occidental qui en était visiblement le pilier est lui-même en péril. Et manifestement, nous n’en sommes qu’au début.
Boubacar Sanso Barry