Entre l’accord-cadre aux contours flous et à l’impact incertain, signé samedi dernier entre Kinshasa et l’AFC/M23 sous l’égide de la médiation qatarienne, et la victoire des Léopards face au Nigeria lundi, dans l’ultime match de barrage africain pour la qualification au Mondial 2026, le choix est vite fait. Autant les Congolais étaient des milliers à parader hier le long du boulevard Lumumba pour saluer le retour des héros de l’équipe nationale, autant beaucoup ne croient tout simplement pas à la feuille de route censée restaurer la paix dans l’est du pays, en proie à des violences depuis plus de trente ans. Tant pis si la RD Congo n’est pas encore réellement qualifiée pour la Coupe du monde… Dans un pays où la joie et le rêve sont des denrées rares, on préfère se raccrocher à l’occasion qui s’offre, même si elle est sans doute trop fugace pour faire oublier des défis autrement plus pressants.
Incontestablement, les joueurs congolais et leurs encadreurs méritent des félicitations. La victoire qu’ils ont ramenée de Rabat pourrait bien les conduire à la Coupe du monde, qui se jouera l’été prochain en Amérique du Nord, une compétition à laquelle ils n’ont plus participé depuis 1974. Mais il y a sans doute quelque chose de précipité, voire de disproportionné, dans la mobilisation organisée hier pour le retour des Léopards. Notamment parce que la RDC n’est pas encore mathématiquement qualifiée : le ticket ne pourra être validé qu’en mars prochain, à l’issue des barrages intercontinentaux. N’empêche, le président Tshisekedi s’est joint à la fête. Rien d’étonnant, tant nos dirigeants, incapables d’offrir d’autres perspectives à la jeunesse, se sont spécialisés dans l’art d’exploiter la moindre victoire sportive pour tenter de s’offrir une bouffée d’air. Dans nos pays, le sport sert trop souvent les politiques, avant de servir les sportifs.
Le contraste est saisissant entre l’enthousiasme suscité par les Léopards et l’indifférence quasi totale autour de l’accord-cadre signé le 15 novembre. Pourtant, ce document est censé ramener la paix dans l’est du pays, privé de stabilité depuis trois décennies. Mais autant le résultat sportif est concret et immédiat, autant l’accord signé à Doha apparaît flou et aux retombées incertaines. En particulier, comme l’ont rappelé les acteurs eux-mêmes, un accord-cadre ne signifie pas un accord final. Il s’agit d’une simple feuille de route, comportant huit étapes – chacune étant déjà un nœud gordien en soi. Et lorsqu’on connaît la fragilité des engagements dans cette partie du pays, on comprend pourquoi les Congolais évitent de nourrir des illusions.
D’ailleurs, l’encre n’avait pas encore séché sur l’accord-cadre que des combats étaient déjà rapportés entre les Wazalendos et des combattants de l’AFC/M23, à la fois dans les territoires de Walikale et de Masisi, dans le Nord-Kivu, ainsi qu’à Bukavu, dans le Sud-Kivu. De quoi mesurer l’ampleur de la méfiance qui devra être dissipée avant d’espérer un véritable retour à la paix. Surtout que certains observateurs misent davantage sur une reprise généralisée des hostilités, dans un contexte de réarmement massif de tous les camps.
Finalement, les Congolais de Kinshasa n’ont pas tort de célébrer les joies fugaces que procurent les Léopards. La paix, elle, semble encore bien lointaine.
Boubacar Sanso Barry


