Pourquoi le franc CFA continue-t-il d’être la monnaie de 14 pays africains ? Est-il un carcan qui piétine le développement économique de ces pays ? Avant tout, il est important, voire nécessaire, de définir la monnaie. Jacques Crueff expliquait que la monnaie est le terrain sur lequel se joue à la fois le sort de la liberté politique et le destin du développement économique.
Rappelons que c’est deux régions, l’Afrique de l’Ouest et du Centre, que 14 pays du continent forment la zone Franc et partagent une monnaie commune le Franc CFA depuis 1945. Ces pays se sont organisés en 2 espaces économiques et monétaires :
- L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), avec les pays suivants : Sénégal, Guinée-Bissau, Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Togo, Bénin, et le Niger), et Dakar comme Banque centrale pour l’UEMOA ;
- La Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), avec le Tchad, la République Centrafricaine, le Cameroun, la Guinée Equatoriale, le Gabon et la République du Congo, avec Yaoundé comme Banque Centrale.
Depuis 20 ans, 1€ = 656 FCFA. Les pays de la zone CFA n’ont pas la possibilité de dévaluer leur monnaie. Ce qui les rendent moins compétitifs à l’export. C’est pourquoi les opposants y voient une limite à la souveraineté monétaire nationale et de plus les banques centrales de ces pays sont obligées de déposer 50% de leurs réserves de change à la Banque de France.
Ces dernières années, plusieurs voix dissonantes à l’égard du franc CFA se sont levées au sein de la jeunesse africaine et de certains leaders dont de chefs d’Etats africains, opposant un rejet catégorique au CFA. Ce qui a d’ailleurs conduit au brûlage public des billets de banque CFA dans les manifestations de rue anti-CFA dans plusieurs pays, et cela a causé pour certains leaders africains opposés au franc CFA des intimidations et des représailles. C’est le cas notamment de Kemi Seba, maintes fois expulsé dans plusieurs pays africains, à cause de son engagement farouche de rompre avec le CFA. Comme le dit le président de la République de Guinée, le Pr. Alpha Condé, il faut « couper le cordon ombilical avec la France ». Ce ne sont jamais les bons sauveurs.
Face à ces situations complexes avec ce système mondial anarchique l’on a le droit de se demander : Quiconque se dressant contre le CFA trouvera-t-il un malheur ? Quand on sait que depuis 1963 certains, mêmes des présidents, n’ont pas échappé à des assassinats du fait de leur opposition farouche à l’impérialisme occidental (on peut citer le président Sulvanus Olypiau du Togo et le capitaine Thomas Sankara du Burkina Faso) et récemment encore les déboires du président ivoirien Laurent Gbagbo.
La bonne et mauvaise nouvelle est qu’au moment où la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) poursuit lentement mais assurément la marche vers sa monnaie unique, l’ECO, qui était théoriquement prévue en 2020, pour booster son processus d’intégration économique, un accord inédit est conclu entre Paris et les autorités de l’UEMOA de remplacer le franc CFA, en circulation depuis environ 76 ans, par l’ECO mais qui ne voit pas jour alors que le projet existe depuis belle lurette.
Du franc CFA à l’ECO : rupture ou continuité ?
Aussi vieux que l’institution régionale, le projet de monnaie commune suscite plus d’intérêt que jamais, surtout après l’annonce par le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue français Emmanuel Macron en visite officielle en Côte d’Ivoire du 20 au 22 décembre 2019, de la fameuse adoption de la monnaie ECO par les 8 pays membres de l’union en remplacement du franc CFA.
La monnaie unique d’Afrique de l’Ouest se nommera probablement un jour « Eco » et entrera en vigueur probablement en année X. Discutée depuis une trentaine d’années, cette monnaie unique entre les pays qui forment la CEDEAO serait un symbole politique fort si toutefois elle se matérialise.
Les chefs d’Etat et de gouvernements des 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), réunis à Abuja au Nigeria en juin 2019 ont adopté formellement ce nom pour le projet de monnaie unique. Aujourd’hui quelques pays, comme le Nigeria, posent des conditions pour adhérer à ce projet de nouvelle monnaie, qui selon plusieurs analystes et économistes n’est qu’un copié-collé du franc CFA.
Le Nigeria première puissance économique du continent exige certaines conditions pour être au rendez-vous de cette nouvelle monnaie, l’ECO : d’abord aucun prélèvement et aucun dépôt obligatoire au trésor français des devises des pays de la zone ECO. Il exige qu’il n’y ait plus d’intermédiaire dans la convertibilité entre l’ECO, l’euro et le dollar américain. Que la CEDEAO doive gérer elle-même l’ECO de façon souveraine.
Autres conditions
Cette nouvelle monnaie, l’ECO, doit être convertible avec toutes les monnaies du monde. Et dernière condition : l’ECO doit être imprimé en Afrique et non en France parce qu’aucun pays ne peut se développer sans indépendance monétaire. La preuve en est aujourd’hui tous les pays africains sont politiquement indépendants entre guillemets mais économiquement dépendants, et même l’Union africaine dans un passé récent était financée par d’autres organismes étrangers. Comme on le dit chez nous : « La main qui donne, c’est la main qui dirige ».
Alors que faire ?
Pour sortir du franc CFA, le fondateur de CGF Bourse et de CGF Gestion, Gabriel Fal, propose de créer un fonds monétaire africain avec un cahier des charges très sévère. Pour lui, ce fonds garantira les parités des différentes monnaies entre les pays membres.
Est-ce un rêve ou une réalité pour ces populations qui souhaiteraient inlassablement se débarrasser de cette forme de colonisation déguisée ? Cet accord signera-t-il la mort ou la mue du franc CFA ? Autrement dit, incarne-t-il une rupture ou une continuité des arrangements entre la France et les pays de l’UEMOA ? L’avenir nous en édifiera…
A propos des auteurs de cette tribune
- Mahmoud Kallo est diplômé en Sociologie à l’Université Kofi Annan de Guinée et de Finance islamique de l’Université Al-Eamar
- Amadou Bah est diplômé en Sociologie de l’Université Kofi Annan de Guinée et de Sciences Po Grenoble