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MARCHE DU 23 JUIN : le danger d’une action solitaire et l’urgence d’un report (Tribune)

Le Front national pour la défense de la constitution, mouvement politico-citoyen, créé  initialement pour contrer le troisième mandat d’Alpha Condé et exigeant de facto le respect de  la Constitution de 2010, projette d’organiser le 23 juin prochain une marche pacifique dans le  Grand Conakry. Seulement, l’itinéraire va de la Tannerie au Palais du peuple. 

Le mouvement justifie l’organisation de cette marche par le refus du pouvoir militaire de  Conakry de créer les conditions d’un dialogue franc et inclusif qui aboutirait à un consensus  sur le délai raisonnable de la durée de la transition, principale revendication. 

Conakry vit au rythme d’une misère qui bat de l’aile 

Le contexte dans lequel le Fndc organise sa marche pacifique ne semble guère opportun et  résulterait d’une aventure périlleuse, tant sur le plan symbolique que sur celui de la crédibilité.  C’est donc une question existentielle. Auparavant, le front faisait face à un régime civil ;  l’ensemble de ses revendications étaient quelque fois largement partagées par l’opinion  publique. Ce qui explique le succès du mouvement et justifie du même coup sa légitimité.  Analyse d’un probable effet papillon et plaidoyer pour un report. 

Conakry vit au rythme d’une misère qui bat de l’aile. La cherté de la vie est perceptible en  raison notamment d’une conjoncture internationale défavorable et d’un climat politique  interne délétère. Depuis le coup d’Etat du 5 septembre 2021, le pays connaît une  réorganisation politique et techno-structurelle. La traque des bandits à col blanc déclenchée  par la Cour de répression des infractions économiques et financières se poursuit et est loin de  connaître son épilogue. Les anciens dignitaires du régime Condé sont presque tous en prison  quand d’autres sont en cavale. Le leader du principal parti d’opposition, Cellou Dalein Diallo  est convoqué initialement pour le 13 juin par la Crief et accusé de détournement de deniers  publics, corruption d’agents publics et enrichissement illicite. 

La mise en place du Conseil national de la transition et sa composition actuelle, l’analyse de  discours des leaders émergents médiatiquement comme Lansana Kouyaté du Peden, Ousmane  Kaba du Pades, le positionnement des organisations de la société civile composées de jeunes  de l’axe Hamdalaye-Bambeto-Cosa, des leaders d’opinion comme Elie Kamano, Takana  Zion, le soutien affirmé de Bogola Haba au pouvoir militaire, le débauchage de Mamadou  Baïlo Barry ‘’Destin en main’’, ancien membre de fait de la Coordination nationale du Fndc,  illustrent bien un début de reconfiguration du paysage politico-social. 

Aussi, le discours des jeunes manifestants de la Commune de Ratoma a évolué. Ils se  montrent plus exigeants quant à leur participation à toute manifestation non motivée et dont le  but consisterait à se battre pour des individus et non pour des causes. A cela s’ajoutent trois  faits notables et qui changent tout. 

Le premier est la posture du procureur Alphonse Charles Wright vis-à-vis des leaders du  Fdnc. Charles a un passif très important du point de vue de l’analyse. Cela contribue à  renforcer à la fois son capital sympathie notable et sa crédibilité affirmée de Magistrat en roue  libre. C’est lui qui a décidé [quand il était juge] de l’acquittement de l’actuel coordinateur  national du Fdnc, Omar Sylla, alias Foniké Menguè, au plus fort de la crise systémique en  Guinée. Il a osé dire le droit quand d’autres juges rendaient des décisions téléguidées. Nommé  procureur général, il a affronté le tout puissant haut commandant de la gendarmerie nationale, 

le Colonel Balla Samoura. Le magistrat a aussi eu le courage d’instruire les procureurs de la  République près des tribunaux de première instance de son ressort, d’engager des poursuites  judiciaires contre les auteurs et co-auteurs présumés des crimes commis sous le règne d’Alpha  Condé. 

La colère est impopulaire et circule à sens unique 

Le deuxième et un des plus récents. La manifestation « spontanée » suite à l’augmentation  des prix du pétrole a occasionné la mort par balle d’un jeune élève de 20 ans. La manière par  laquelle ce drame a été géré a marqué les esprits. En Guinée, les citoyens ne sont nullement  habitués des dirigeants compatissants et acteurs de la vérité. 

Que le procureur encourage la famille de la victime a porté plainte contre X, qu’il donne  aussitôt des instructions pour que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette mort  tragique et qu’il rende public par la suite le rapport d’autopsie, puis annonce l’interpellation  de plusieurs suspects, en l’occurrence des policiers dont l’inculpation sera plus tard prononcée, sont des cas d’école et à l’actif heureusement ou malheureusement du pouvoir  militaire de Conakry. 

Le troisième et dernier cas, certainement le plus emblématique est l’exclusion du porte-parole  du gouvernement, Ousmane Gaoul Diallo, des rangs de l’Ufdg pour des motifs qui prêtent à  débat. Cette exclusion calculée continue toujours de faire des frustrés. Beaucoup de militants  du parti s’étant exprimés sur le sujet ont fait montre de leur indignation. D’autres, tapis dans  l’ombre parce que responsables, ont aussi marqué leur incompréhension. Il y a là un problème  interne qui pourrait conduire à une forme d’implosion, tôt ou tard. 

Ces situations banales à première vue pour certains et marqueurs de sens pour d’autres,  suffisent à démontrer que le moment est mal choisi par le Fdnc pour espérer drainer des foules  comme on n’en a connu par le passé. La colère est impopulaire et circule à sens unique. Les  actions tous azimuts du gouvernement et ses affidés, présents sur tous les fronts à l’intérieur  par les déplacements, les rencontres avec ceux qui font et fabriquent de l’opinion, le lobbying  international géré par des cabinets spécialisés produisent des effets variables. 

Le Fndc n’a pas encore le soutien populaire nécessaire pour contre le pouvoir militaire 

Quelques-uns de ces effets est d’abord la division de l’opinion publique sur les 36 mois de  transition proposés par les militaires, selon les couleurs politiques par lesquelles chaque  opinion émerge. Il y a ensuite le soutien international quoique moins affirmé mais réel dont  bénéficie les militaires. Le positionnement du Quai d’Orsay est connu et la rencontre discrète  entre Christophe Bigot, directeur de l’Afrique et de l’océan Indien au ministère français des  Affaires étrangères et Mamadi Doumbouya, patron de la transition guinéenne, le 12 mai 2022  à Conakry en est une des justifications. La posture de l’Union européenne n’est pas cachée.  La déclaration de l’organisation le 4 mai 2022 au sujet de la durée de la transition fixée à 36  mois, peut être entendue comme une volonté d’accompagner les autorités de Conakry et non  d’avoir une relation conflictuelle sans doute contre-productive. Le Mali nous enseignant… La  division des Chefs d’Etat de la Cedeao sur l’opportunité ou non de sanctionner la Guinée n’est  pas le fruit du hasard, c’est le résultat de plusieurs rencontres discrètes entre les émissaires de  Chefs d’Etat dont on taira les noms et les autorités militaires guinéennes. Ces faits devraient  conduire les acteurs guinéens à se défaire de leur vision monolithique et de comprendre que  personne ne sortirait gagnant d’un bras de fer entre militaires et une partie de la classe politique et de la société civile. Toutefois, un véritable contre-pouvoir citoyen est nécessaire  et c’est une exigence démocratique.  

Le Fndc n’a pas encore le soutien populaire nécessaire pour contrer le pouvoir militaire.  Jusque-là, le mouvement n’a reçu que l’adhésion officielle de l’UFR de Sidya Touré qui  n’existe que sur le plan purement superficiel et dont le poids politique est contestable, du fait  de ses incohérences et collusions avec le pouvoir d’Alpha Condé qu’il a soutenu, défendu et  dont il est, quelque part même, comptable du bilan. Quant à l’Ufdg dont le soutien pourrait  faire basculer l’effet de masse, est prudent et se questionne encore, à juste titre d’ailleurs. Si  l’Ufdg soutient la marche alors que son leader est attendu devant la Crief, cela pourrait  compliquer sa participation, ou sinon, sa victoire à la prochaine présidentielle.  

Si l’Ufdg était malgré tout emmené à se positionner pour la marche du 23 juin, du point de  vue de l’image, cela renverrait dos-à-dos, ceux qui estiment qu’il n’y a qu’une seule partie de  la population qui manifeste en Guinée et qui se croît plus légitime et patriote et ceux qui  pensent se battre pour l’avènement de la démocratie et de l’Etat de droit dans le pays. Or  l’enjeu est de convaincre les indécis et de nouer de nouvelles alliances, ce qui tarde encore à  se matérialiser. 

Il n’est donc pas à ce stade conseillé d’avoir le même schéma de lutte que celui d’il y a encore  10 mois, c’est-à-dire, le couple Fdnc-Ufdg. Il y aurait en ce moment les mêmes qui se  réunissent et qui seront facilement indexés. Un des avantages du mouvement à l’heure où  paraît cette analyse, est la décision largement controversée du gouvernement d’interdire la  liberté de manifester qui demeure un droit fondamental et universel. Cette décision est à  condamner avec vigueur et fermeté. Le gouvernement devrait permettre que les citoyens  exercent leur droit en toute liberté. Une transition est un pouvoir incertain bâti sur un contrat social implicite. Elle peut à tout moment vaciller. Au regard de cette fragilité, il advient de  travailler à l’apaisement et de faire du consensus le moteur de la cohésion sociale déjà  effilochée. Entendre les voix dissidentes est aussi une forme de grandeur.  

La Guinée a besoin d’un véritablement bloc citoyen de contrepouvoir 

Au demeurant, il est bien possible que le mouvement fasse des surprises en mobilisant la  population de Conakry autour de ses revendications, ce qui sera un pari gagné. Le danger  serait de ne pas réussir la mobilisation et cela pourrait donner lieu à un début de  délégitimation qui conduirait à radicaliser les militaires dans leur position. Car ils auront  compris qu’au-delà des discours, l’opinion publique n’est pas du côté du Fndc. La  conséquence subsidiaire d’un défaut de mobilisation est de pousser les autorités judiciaires à  prendre des mesures contre le mouvement devant conduire à son bannissement. La position  du procureur général, Monsieur Wright, est très connue sur ce sujet puisqu’il s’est exprimé  publiquement et a brandi des menaces. Pourtant, la Guinée a besoin d’un véritable bloc  citoyen de contrepouvoir. 

Malgré son interdiction, si le Fndc maintient sa marche et qu’il la réussit surtout, alors la  victoire sera partagée, à condition qu’aucun mort ne soit déplu. D’un côté, le Fdnc peut se  satisfaire d’un succès dans un contexte hostile et inopportun. De l’autre, le gouvernement peut  plus être bénéficiaire de cet effet d’image positive qu’il pourra tout à fait exploiter à sa  convenance. Il peut construire tout un imaginaire autour de la compétence de la police, par  l’encadrement et le maintien d’ordre. Il peut également mettre en avant une posture  républicaine à protéger et défendre et à respecter la liberté de mouvement et de réunion.

Au regard de l’actualité qui commande, le Fdnc gagnerait à reporter sa marche et à s’assurer  du bon timing. Sinon, l’adversité à laquelle il pourrait faire face sera multiple. Inutile de  rappeler que les militaires se braqueraient, que l’opinion se diviserait si et seulement si des  policiers et gendarmes en venaient à être blessés ou dans le pire des cas mourir. Le  rapprochement voulu et souhaité par le Rpg-arc-ciel avec le pouvoir militaire sera davantage  facilité et l’ennemi commun sera le Fdnc et ses soutiens. Vu que le RPG a indiqué dans un  communiqué qu’il ne s’associerait pas à la marche et qu’il appelle ses militants au calme alors  que ses cadres sont en prison, il faut dire que les choses sont encore plus complexes. 

Kossa CAMARA 

Plume et consultant en Communication

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