Les relations franco-rwandaises vont sans doute franchir une nouvelle étape avec les propos que le président Emmanuel Macron tiendra le dimanche prochain, via les réseaux sociaux, à l’occasion des 30èmes commémorations du génocide qui, entre avril et juillet 1994, avait emporté entre 800 000 et 1 000 000 de personnes essentiellement tutsies au Rwanda. Il est vrai qu’en mai 2021, à la suite de la publication du rapport de la commission Duclert, le président français avait déjà réalisé une certaine avancée dans ce débat sensible et délicat, en admettant pour la première fois, la « responsabilité » de son pays dans ce vaste massacre à relents ethniques. Mais force est de reconnaître qu’Emmanuel Macron va encore plus loin en déclarant cette fois que la France « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, (mais) n’en a pas eu la volonté ». Entre les « graves erreurs d’appréciation (et) d’aveuglement » que Nicolas Sarkozy avait admises en 2010 et cette dernière déclaration de Macron, il y a un progrès indéniable. Mais dans ce débat où le consensus n’était pas gagné, cette dernière concession des autorités françaises pourrait n’être qu’une solution médiane dont les deux Etats pourraient se satisfaire, en vue de donner une chance à la realpolitik.
Au début, des positions inconciliables
Au sujet de la responsabilité de la France dans le génocide rwandais de 1994, on en était au début à des positions inconciliables. D’un côté, le Rwanda, se fondant notamment sur les liens solides que l’Etat français entretenait déjà avec le régime de Habiyarimana bien avant le génocide, exigeait ni plus ni moins qu’un statut de complicité contre la France. D’autant que les autorités françaises de l’époque, auraient également conservé un certain lien avec le gouvernement intérimaire qui avait succédé à Juvenal Habyariamana, après la mort de celui-ci dans l’attaque contre son avion, le 6 avril 1994. Evènement considéré comme le déclenchement de la traque meurtrière des Tutsi qui a duré 4 mois. En face, la France d’une certaine époque, trop fière d’elle, ne voulait admettre la moindre responsabilité. Tout au contraire, des courants négationnistes se sont évertués à dénoncer le mauvais procès et l’ingratitude que le Rwanda de Paul Kagamé intenterait contre Paris. Parce que, a-t-on prétendu, la France s’en serait tenue à un rôle de bon samaritain, en sauvant des vies.
Un juste milieu
Entre ses deux extrêmes, la déclaration d’Emmanuel Macron passe bien pour un juste milieu, une position dont tout le monde pourrait se satisfaire. D’une part, au Rwanda, on peut se contenter d’avoir poussé l’Etat français à admettre qu’il n’a pas voulu stopper les génocidaires, alors même qu’il avait les moyens de le faire. C’est une victoire que Paul Kagamé peut et doit légitimement célébrer. Parce que c’est là le résultat de son refus d’abdiquer, en dépit des brouilles répétitives avec la France. D’autre part, les autorités françaises, quant à elles, pourraient également se féliciter de refermer cette page sans être obligées d’aller jusqu’à concéder le statut de complicité, encore plus infamant et pouvant donner lieu à des implications judiciaires.
Perspectives de coopération
Surtout, le Rwanda et la France peuvent savourer cette solution qui permet de briser le mur de méfiance et de refermer par la même occasion, cette page qui a trop longtemps nui à une coopération dont chaque partie peut tirer un certain profit. Notamment pour Paul Kagamé, au-delà des perspectives économiques et d’investissement que peut offrir l’axe Kigali-Paris, il y a de quoi éprouver du soulagement à pouvoir à nouveau compter sur un allié comme la France, eu égard à l’isolement relatif que connait le Rwanda, du fait de sa responsabilité avérée dans la guerre dans l’est de la RD Congo. Quant à son homologue français, il doit tout aussi se réjouir de pouvoir, au besoin, compter sur un acteur aussi influent que l’est Paul Kagamé dans la région des Grands Lacs et au-delà sur le continent africain. Surtout en ces périodes où ceux qui déroulent le tapis rouge pour les Français en Afrique ne sont pas légion.
Boubacar Sanso Barry