De quoi le Soudan et les Soudanais sont-ils coupables pour que le monde entier les laisse-t-il à leur triste sort ? Pourquoi faisons comme si de rien n’était, alors qu’on y massacre les civils par centaines tous les jours ? Pourquoi cette passivité de notre part ? Comment pourra-t-on expliquer cette démission collective face à cette horreur quotidienne et à toutes ces atrocités ? Voilà près de deux ans que, dans le sillage de la guerre fratricide que se livrent les FSR du général Muhammed Hamdane Daglo et les troupes régulières du général Abdoul Fattah al-Bourhane, on s’y livre à toutes sortes d’exactions. De Khartoum au Darfour, en passant par Omdourman, les récits sont les mêmes. Partout, il est question de sang et de larmes. La mort, souveraine, rode partout. Si elle n’est pas portée par la balle d’un protagoniste se prenant pour Dieu, elle s’incruste via les bombardements sourds et aveugles lancés depuis les airs, si ce n’est qu’elle agit insidieusement au travers de la famine et des maladies auxquelles de nombreux déplacés et refugiés soudanais sont exposées. Mais rien de tout cela ne semble suffisamment émouvoir notre planète. Une planète dont les grands acteurs semblent avoir décrété que le Soudan, ce vaste pays au cœur de l’Afrique, est maudit et est sacrifiable.
Boucherie à ciel ouvert
Bien sûr, les premiers responsables de l’enfer que le Soudan et les Soudanais endurent depuis avril 2023, ce sont bien les frères ennemis que sont les généraux Al-Bourhane et Daglo. Aveuglés et rendus sourds par la boulimie du pouvoir qu’ils ont en commun, ils se révèlent indignes de leur grade. Parce qu’un général, c’est en principe un protecteur des faibles et un défenseur des démunis. Mais comme le démontre le bilan trop lourd enregistré au cours des dernières quarante-heures, au Soudan, nos deux généraux ciblent davantage les citoyens sans défense. C’est ainsi que le lundi d’abord, un bombardement attribué à l’armée régulière a fait au moins 100 morts civils au Darfour Nord, dans le sud du pays. De la part des auteurs de la frappe, la prédisposition à faire des victimes parmi les civils était telle que c’est un marché hebdomadaire qui a été délibérément ciblé. Puis, hier mardi, c’était autour des FSR de massacrer quelques 65 personnes à Omdourman, près de Khartoum, la capitale. Là aussi, à la suite de plusieurs bombardements ne distinguant nullement les civils des cibles militaires. Et ce n’est là qu’un échantillon de la boucherie à ciel ouvert à laquelle les deux camps se livrent depuis donc plus d’un an.
Des acteurs extérieurs soufflent sur les braises
Mais dans cette guerre, on ne peut plus se contenter de pointer du doigt les deux principaux protagonistes. Le monde qui lui aussi assiste à ce massacre sans lever le moindre doigt est hautement condamnable. Car les Soudanais, comme les Ukrainiens, sont aussi des humains. Notre passivité face au massacre qu’ils endurent est inacceptable. Or, au lieu d’agir de manière à faire taire les armes, quelques-uns des acteurs sont plutôt portés à souffler sur les braises. Ainsi, alors que le Tchad et les Emirats Arabes Unis sont cités comme des soutiens actifs des paramilitaires des Forces de soutien rapide, l’Arabie Saoudite, pour sa part, parrainerait le camp du général Al-Bourhane. Pire, quelques analystes estiment que d’une certaine façon, le conflit russo-ukrainien se jouerait aussi au Soudan, dans la mesure où la Russie serait au côté du général Daglo, alors que l’Ukraine, elle, se rangerait derrière le camp en face.
La communauté internationale neutralisée
Il y a donc des acteurs extérieurs qui tirent les ficelles et qui entretiennent cette guerre meurtrière. Et l’on comprend d’une certaine façon le silence et la passivité de la communauté internationale. Le Soudan se retrouve bien malgré lui au cœur d’enjeux qui neutralisent la communauté internationale et l’empêchent d’agir dans un sens comme dans un autre. Les Soudanais, s’ils veulent que s’arrête leur supplice, devraient davantage mettre la pression sur leurs deux généraux. Parce qu’en ce qui concerne les acteurs externes, il ne faut rien en attendre de bon. Parce que la guerre dont leur pays est le théâtre, au-delà des enjeux géopolitique, est une aubaine pour les fabricants et fournisseurs d’armes qui en tirent des profits auxquels ils ne sont pas prêts à renoncer.
Boubacar Sanso Barry