Il chantait la joie du dimanche, il rejoint sa dernière demeure un dimanche. Amadou Bagayoko, légendaire moitié du duo mythique Amadou & Mariam, a été inhumé dans la plus grande intimité à Bamako. Mais si l’homme s’en est allé, l’artiste, lui, restera éternel. Son parcours, sa musique et le combat qu’il a mené contre les fatalismes continuent de résonner comme un hymne à la vie.
Il chantait avec tendresse que « dimanche à Bamako, c’est le jour de mariage ». Mais hier dimanche, à Bamako, ce ne fut ni fête ni union : ce fut silence, recueillement, tristesse. Ce fut le jour choisi par la vie pour dire adieu à Amadou Bagayoko, fidèle compagnon de Mariam Doumbia. Décédé le vendredi dernier à l’âge de 70 ans, il a été inhumé ce dimanche, dans l’intimité familiale. Et dans les cœurs de millions de mélomanes, ce dimanche restera gravé comme celui d’une séparation sans fin.
Ironie du sort ou doux clin d’œil du destin : l’homme qui chantait l’amour en ce jour de la semaine a choisi ce même jour aller vers sa dernière demeure. Mais la mort, pour les artistes, n’est qu’un passage. Leur voix, leurs gestes, leurs chansons demeurent immortels, éternels. Car Amadou, bien plus qu’un musicien, était une âme, un symbole, une étoile parmi nous.
Avec Mariam Doumbia, son épouse et partenaire de toujours, il formait un couple à la fois tendre et combatif, aveugles mais visionnaires, liés par la musique, par l’amour, par une foi immense dans la vie. Ensemble, ils ont traversé les frontières, brisé les préjugés, défié les fatalismes. Leur handicap n’était pas un frein, mais un flambeau. Une preuve vivante que l’on peut sublimer l’obscurité en lumière, et que l’on peut illuminer le monde sans voir ses contours.
Depuis plus de vingt-cinq ans, Amadou et Mariam portaient haut les couleurs du Mali, et avec elles celles d’une Afrique joyeuse, créative, universelle. À l’instar d’un Salif Keïta, ils furent les ambassadeurs d’un continent trop souvent mal raconté, offrant au monde une image rayonnante, dansante, profondément humaine. Ils chantaient l’amour, la paix, l’enfance, le quotidien. Des mots simples, des harmonies douces, des refrains inoubliables qui réchauffaient les cœurs.
Mais au-delà des rythmes et des paroles, ce couple incarnait des valeurs profondes et rares : la bravoure tranquille, la tendresse sincère, la fraternité sans frontière. Dans un Sahel meurtri par les incertitudes, leur voix était celle de l’espoir. Ils donnaient à voir l’invisible, à ressentir l’essentiel. Leurs chansons étaient des prières sans dogme, des contes sans morale, mais toujours empreints d’une humanité bouleversante.
Et le monde ne s’y est pas trompé. En juillet dernier, ils étaient à l’honneur lors de la cérémonie de clôture de la flamme des Jeux paralympiques à Paris. Un symbole fort. En 2009, ils assistaient à Oslo à la remise du prix Nobel de la paix à Barack Obama. En 2005, les Victoires de la musique leur rendaient hommage. Autant de reconnaissances qui saluaient bien plus que leur art : elles célébraient leur rôle de passeurs, de rêveurs, d’éveilleurs.
Aujourd’hui, Mariam reste seule face au micro du monde. Seule, mais portée par l’écho de leur histoire. Et nous, mélomanes, privés de leurs mélodies, portons aussi le deuil. Car Amadou et Mariam, c’était aussi une part de nous : notre mémoire sonore, notre fierté partagée, notre refuge dans les instants de doute.
Ce dimanche à Bamako, c’était donc un jour de deuil. Mais c’était aussi, secrètement, un jour d’amour. D’un amour immense pour un homme dont la voix apaisait, dont la guitare consolait, dont la silhouette rayonnait. Et dans le silence qu’il laisse, résonne une mélodie : La vie est belle. Le monde est beau. Une ultime composition que nous laisse Amadou à nous autres.
Boubacar Sanso Barry