Alors qu’un procès en appel était attendu après les condamnations prononcées dans l’affaire du 28 septembre 2009, la grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara suscite de vives inquiétudes. Me Halimatou Camara, avocate des parties civiles, alerte sur les conséquences d’une telle décision pour la suite de la procédure et sur le sentiment d’injustice ressenti par les victimes.
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Ledjely.com : Quelles sont les conséquences de cette décision sur la suite de la procédure, sachant qu’un procès en appel était prévu ?
Me Halimatou Camara : Les conséquences sont d’abord une atteinte grave au droit de recours. Les parties civiles avaient interjeté appel, même si celui-ci ne pouvait être que partiel. Dans la situation actuelle, nous nous interrogeons : peut-on envisager une procédure d’appel sans M. Moussa Dadis Camara ? Que se passera-t-il au cours de cette procédure ? Pour l’instant, en tant qu’avocate des parties civiles, cela me semble inimaginable. Et si cette décision de grâce venait à être entérinée, cela signifierait que la procédure d’appel est tout simplement bloquée.
Comment vos clientes, les victimes, réagissent-elles à ce blocage éventuel ?
Aujourd’hui, les victimes sont encore sous le choc. Elles estiment qu’elles avaient le droit de faire appel, et que cette interruption de la procédure leur est profondément défavorable. Pour elles, cette grâce est totalement inopportune, surtout à ce stade du processus judiciaire. C’est, je pense, le sentiment partagé par la grande majorité d’entre elles.
Et quelle est leur réaction face à la grâce elle-même ?
Il faut replacer les choses dans leur contexte. Les victimes se demandent aujourd’hui ce que signifie réellement la justice dans notre pays. Il ne faut pas oublier que l’État a mis beaucoup de temps à obtenir la comparution de M. Moussa Dadis Camara. D’autres co-accusés ont été maintenus en détention pendant 13 voire 14 ans. Les victimes n’étaient pas naïves : elles savaient qu’il s’agissait d’un ancien président, et qu’il existait des considérations politiques autour de ce dossier. Cela expliquait d’ailleurs pourquoi lui vivait tranquillement en exil, sans jamais avoir été placé en détention avant le procès.
Elles accueillent donc cette décision avec une grande surprise. On ne peut pas, d’un côté, accorder des indemnisations aux victimes, puis, deux jours plus tard, accorder une grâce présidentielle à l’un des principaux accusés. L’indemnisation ne saurait suffire. Elle ne signifie pas que l’on peut substituer la réparation à la justice. Les victimes sont parfaitement conscientes des conséquences de cette grâce – pas seulement sur le plan judiciaire, mais aussi sur leur propre sécurité.
Vous avez vu les commentaires sur les réseaux sociaux. Certains partisans vont jusqu’à s’attaquer aux victimes elles-mêmes. Cette décision de grâce nous renvoie, en pleine figure, l’image troublante de ce que représente réellement la justice dans notre pays.
Thierno Amadou Diallo