C’est un décès qui ne contribuera pas à apaiser les relations déjà tendues entre les autorités ivoiriennes et burkinabè. La mort, dans des circonstances pour le moins troubles, de l’influenceur Alain Christophe Traoré, plus connu sous le nom de Alino Faso, embarrasse logiquement la Côte d’Ivoire. D’autant que du côté de la junte du capitaine Ibrahim Traoré, la disparition de cet influenceur de 44 ans, considéré comme un relais de la propagande pro-Ouagadougou, est perçue comme une énième preuve des manœuvres souvent imputées au pouvoir d’Alassane Ouattara. Les discours se durcissent, les menaces fusent. La condamnation est énergique. L’exigence de vérité sur les causes et les circonstances du décès est tout aussi vigoureuse. La chargée d’affaires de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Ouagadougou, convoquée illico presto, a été sommée de transmettre à sa hiérarchie la demande burkinabè pour le rapatriement immédiat du corps du défunt.
Maladresses
Main sur le cœur, les autorités ivoiriennes affirment qu’Alino Traoré s’est suicidé dans sa cellule, se pendant à l’aide de son drap de lit. Mais cette version est tout simplement inaudible à Ouagadougou, où la défiance et les suspicions envers Abidjan sont installées depuis l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré, le 30 septembre 2022. A la décharge des autorités burkinabè, il faut reconnaître que la gestion du dossier Alino Traoré par Abidjan a été entachée de maladresses. Arrêté en janvier dernier, il semble avoir été détenu essentiellement pour ses sympathies affichées envers le capitaine burkinabè, ce qui n’était visiblement pas du goût des autorités ivoiriennes. Curieusement, la justice ivoirienne ne s’était jamais non plus donné la peine de rendre publics les motifs des poursuites engagées contre lui. A cela s’ajoute un autre flou troublant : son décès, survenu le 24 juillet, n’a été annoncé que le dimanche 27, soit trois jours plus tard. Dans un tel contexte d’opacité, les soupçons sont compréhensibles.
Récit de la complotite
Pour autant, du côté burkinabè, on sent poindre une volonté d’exploiter ce drame pour clouer la Côte d’Ivoire au pilori. La posture adoptée dépasse la simple protestation diplomatique. On semble vouloir faire de la mort d’Alino Traoré la preuve irréfutable de tous les maux que l’on reproche depuis toujours à Abidjan. Mais en réalité, ce n’est pas tant la Côte d’Ivoire qui est visée. A travers elle, la junte burkinabè cherche surtout à nourrir le récit de la complotite, cette théorie du complot permanent utilisée par le régime pour justifier ses dérives autoritaires et masquer son impuissance face à la crise sécuritaire.
Depuis son arrivée au pouvoir, Ibrahim Traoré brandit en effet des menaces extérieures, souvent imaginaires, pour consolider son pouvoir et détourner l’attention de l’échec sécuritaire. Les maladresses ivoiriennes dans l’affaire Alino Traoré tombe donc à point nommé. Elles permettent à Ouagadougou de conforter la narration d’un Burkina Faso assiégé, et d’un président victime d’un vaste complot, dont la Côte d’Ivoire ne serait que le dernier maillon visible.
Ni de surenchère, ni de fuite en avant
Ainsi donc, la Côte d’Ivoire doit effectivement fournir des explications plus probantes, tant sur les conditions de détention que sur les circonstances de la mort d’Alino Traoré. Il lui faudra apporter des preuves tangibles à l’appui des accusations désormais évoquées par le procureur, notamment celle de la supposée « intelligence avec des agents d’un Etat étranger » et du prétendu « complot contre l’autorité de l’Etat ». Entre autres chefs d’inculpation opportunément brandis seulement maintenant. Car il serait difficilement concevable que les seules sympathies affichées par le défunt influenceur envers le régime burkinabè aient pu justifier, à elles seules, son arrestation et conduire à sa mort. Cependant, cette exigence de vérité ne saurait justifier l’instrumentalisation politique à laquelle se livrent le capitaine Ibrahim Traoré et son entourage. La mort d’Alino est certes dramatique et condamnable. Mais elle ne saurait en aucun cas exonérer les autorités burkinabè de leurs propres responsabilités, à commencer par celle de restaurer la sécurité sur l’ensemble du territoire, mais aussi de garantir le respect des droits humains et des libertés fondamentales. Elle ne doit servir ni de prétexte à la surenchère, ni de fuite en avant, dans une stratégie de diversion bien rodée.
Boubacar Sanso Barry