La capitale guinéenne traverse une saison des pluies particulièrement violente. Depuis plusieurs jours, Conakry est frappée par des averses intenses et répétées, provoquant d’importantes inondations dans de nombreux quartiers. Le bilan est lourd : plusieurs pertes en vies humaines et d’importants dégâts matériels. Le pic a été atteint dans la nuit du 30 au 31 juillet 2025, avec des précipitations d’une intensité exceptionnelle. Ce phénomène relance une question de plus en plus pressante : la Guinée paie-t-elle déjà le prix du changement climatique ? Pour mieux comprendre la situation, Ledjely.com a rencontré Dr Loua René Tato, Directeur général de l’Agence nationale de la météorologie.
Lisez !
Ledjely.com : Dr Loua, comment décririez-vous la situation pluviométrique en Guinée depuis le début de la saison 2025 ?
Dr Loua René Tato : Comme chaque année d’ailleurs, nous avons deux saisons : la saison des pluies et la saison sèche. Donc, cette année, nous avons une saison pluvieuse qui est vraiment émaillée par beaucoup de dégâts, c’est-à-dire des pertes en vies humaines et des dégâts matériels.
Il est important de noter que tout ce qu’on est en train de subir, principalement, est lié aux effets du changement climatique. Le climat change, c’est connu de tous, et ce sur toute la planète. Donc, le comportement des paramètres météorologiques va changer. C’est pourquoi chaque nation doit se conformer à cela, doit tenir compte de ce changement dans tout son programme de développement.
Peut-on dire que les précipitations de cette année sont dans la norme ou observe-t-on une anomalie ?
À date, ce qu’on peut retenir, c’est que nous observons une pluviométrie très élevée par rapport à l’année dernière. Parce qu’en 2024, par exemple, nous avons eu, de janvier au 31 juillet, une pluie de plus de 1624,7 mm d’eau, c’est-à-dire inférieure à celle qu’on a enregistrée cette année, soit de janvier jusqu’au 31 juillet 2025, où l’on a enregistré 1967,4 mm d’eau, soit une différence de 342,7 mm. C’est la situation exacte, à date, en ce qui concerne Conakry.
Plusieurs épisodes d’inondations ont frappé Conakry ces derniers temps. Que révèlent ces phénomènes sur l’intensité des pluies actuelles ? Selon vos observations et les analyses de vos services, ces perturbations pluviométriques sont-elles liées au changement climatique mondial ?
La pluviométrie qui a occasionné les pertes en vies humaines dans la nuit du 30 au 31 juillet, évidemment, la météo l’avait déjà prévue, comme d’habitude.
Nous avons enregistré une pluviométrie de 70 mm. Mais ce n’est pas la quantité qu’il faut voir, c’est le temps, c’est-à-dire la pluviosité. Donc, une quantité de pluie qui tombe, même si c’est 1000 mètres cubes d’eau, mais cela dépend du temps. C’est la question qu’il faut se poser.
Donc, les 70 mm qui sont tombés cette nuit-là l’ont été en une très courte période. Et c’est cela qui a causé ce qui est arrivé. Alors, ces 70 mm d’eau, c’est ce que nous avons évalué dans la matinée du 31 juillet : cela correspond à 70 litres d’eau tombés sur une surface de 1 mètre carré à Conakry. Ce qui veut dire qu’une parcelle de 500 mètres carrés a reçu 35 000 litres d’eau.
Comme il y avait déjà eu des pluies auparavant, la terre était gorgée d’eau. Si une telle quantité se déverse encore, l’infiltration devient très lente, car le sol étant déjà humide, la capacité d’infiltration diminue.
Du coup, la vitesse d’écoulement de l’eau devient intense. Cela est lié à la topographie. Conakry est longée par la mer de part et d’autre, c’est une pente. C’est ce qui fait que l’eau qui tombe s’écoule vers les bas-quartiers, c’est-à-dire les zones inondables. Voici un peu la description de ce qu’on a subi dans la nuit du 30 au 31 juillet 2025.
C’est pour vous dire que quand on parle de changement climatique, ce n’est pas du « business climatique ».
Tout le monde parle aujourd’hui de changement climatique pour se faire de l’argent. Le climat, c’est la météo. Ce sont les informations de la météo.
Donc, quand nous faisons des analyses sur la quantité d’eau qui va tomber… Oui, si on dit que cette année on a eu 2 millimètres d’eau dans une localité, il faut voir combien de temps a duré cette pluie. Il y a une répartition temporelle : c’est l’une des conséquences du changement climatique.
Quand on répartit bien la pluie dans le temps, elle peut tomber sans causer d’impact. Mais si un système s’abat brutalement sur un territoire, cela provoque ce qu’on appelle des inondations éclairs, des crues éclairs. Et c’est ce qu’on a vécu la dernière fois.
Peut-on déjà dresser une carte des zones les plus vulnérables au changement climatique en Guinée ?
Pas tellement du changement climatique, parce que c’est vaste. Quand on parle de changement climatique, il faut mettre le sujet dans un contexte bien défini. Si vous me dites brièvement « la cartographie des risques en Guinée », je comprends, parce qu’il y a plusieurs risques. Quand on parle de risques liés au climat météorologique extrême, par exemple les inondations, vous verrez grosso modo : la Basse-Côte, la Haute-Guinée dans le bassin du Niger, et quelques parties en Guinée forestière.
Ce sont les zones extrêmement exposées aux risques d’inondations, donc également liées au changement climatique. En ce qui concerne les inondations, les zones les plus touchées sont celles-là.
Quelles sont les prévisions météorologiques pour les mois à venir, notamment en termes de précipitations ?
Pour le moment, ce que nous donnons, ce sont des prévisions météorologiques quotidiennes qui passent à la RTG. Mais en plus de ça, nous avons aussi des alertes que nous émettons. Même pour ce qui s’est passé dans la nuit du 30 au 31 juillet 2025, il y avait déjà une alerte émise. Et même la nuit dernière, une autre alerte a été émise. Donc, quand une alerte est émise, il faut être prudent. La météo vous a déjà informé qu’à telle date, tel phénomène pourrait arriver. La population est informée, nous sommes informés, donc nous devons tenir compte de cette information dans nos déplacements, dans tout ce que nous faisons.
Notre objectif n’est pas que, si une alerte est émise, elle entraîne forcément des dégâts. Notre prière est même que le système dévie nos territoires ou se dissipe avant.
Ce n’est pas parce que la météo a prévu quelque chose que, si cela n’arrive pas, il faut dire qu’elle s’est trompée. Au contraire, quand ça n’arrive pas, il faut dire merci. Mais quand ça arrive, il faut que la météo l’ait déjà prévu. Et même si elle a prévu, il vaut mieux que cela n’arrive pas. Cela nous évite de subir des dégâts.
Donc, ce n’est pas parce que la météo a dit qu’il allait pleuvoir, et qu’il n’y a pas eu de pluie, qu’on doit la traiter de menteuse. Non.
Nous, les scientifiques, quand nous prévoyons un phénomène dangereux, notre prière est qu’il n’arrive pas, ou qu’il dévie nos territoires. C’est ça, notre objectif.
Mais ceux qui ne comprennent pas vont dire que « la météo a menti ». Je comprends les gens, il y a des problèmes de compréhension. Il faut beaucoup d’efforts.
Votre institution dispose-t-elle de systèmes d’alerte efficaces pour prévenir les populations en cas de fortes pluies ?
Aujourd’hui, dans chaque État, il a été clairement indiqué, dans le rapport de l’Organisation météorologique mondiale, que les phénomènes météorologiques vont devenir de plus en plus intenses et sévères.
À cet effet, le système des Nations Unies a invité chaque pays à mettre en place ce qu’on appelle le système d’alerte précoce pour tous. Ce système doit être piloté par le service météo de chaque pays.
Il s’agit de mettre les moyens qu’il faut à la disposition de son service météo, pour que les informations soient disponibles à temps et de façon pérenne.
Cela permet aux autorités de prendre les bonnes décisions, et aux services de gestion des catastrophes de bien se positionner. Sinon, et la population, et les services seront tous surpris. Qui va sauver qui ?
C’est pourquoi les informations météorologiques interviennent en amont, pendant et après la gestion des risques liés aux catastrophes.
Donc, si on finance des projets ou qu’on veut soutenir les services de l’État dans ce domaine, il faut mettre la météo dans les priorités.
Si ce n’est pas fait, c’est ce qui explique pourquoi chaque année, nous sommes dans la même situation. La météo, de son côté, a tout fait. Nous avons mis les équipements en place. À travers le pays, nous avons 26 stations météorologiques automatiques.
Mais il faut retenir que ce n’est pas suffisant. Les équipements météorologiques sont très chers et nécessitent de la maintenance.
Il faut des moyens pour assurer une maintenance régulière, une connexion Internet permanente, un personnel qualifié et stable.
Le système doit fonctionner avec une équipe de veille météorologique 24h/24, connectée à tout moment pour surveiller le temps. Il faut aussi des moyens de déplacement pour assurer la maintenance sur le terrain.
Quels conseils ou recommandations auriez-vous à adresser aux décideurs politiques et aux citoyens ?
Pour les citoyens : rester concentrés, s’informer régulièrement, et suivre les instructions des services de l’État.
Quand je parle d’instructions : il y a ceux qui jettent les déchets dans les caniveaux, ceux qui font des constructions anarchiques dans des zones interdites, ou qui bloquent la route et causent des problèmes chez les voisins. Toutes ces questions sont importantes. Donc, il faut adopter un comportement citoyen.
Il faut aussi cultiver l’habitude de s’informer chaque jour sur la météo, via la RTG ou les réseaux sociaux. Certes, il y a des difficultés liées aux réseaux, mais il faut faire l’effort.
Enfin, il faut que les partenaires au développement et l’État mettent la météo dans la priorité des priorités. Investir 1 euro dans la météo, c’est économiser 100 euros en réparations des dégâts. C’est hyper important.
Un dernier mot ou message à adresser aux Guinéens ?
D’abord, je présente mes condoléances aux familles des victimes de ces phénomènes météorologiques extrêmes. Et j’invite la population à rester vigilante. Je pense que les autorités ont déjà pris des dispositions pour que tout rentre dans l’ordre, et que les services agissent rapidement en cas de problème.
J’invite aussi chacun à préserver l’environnement, à être attentif durant cette saison des pluies, à éviter les zones inondables, et surtout à respecter les consignes de sécurité routière.
Interview réalisée par N’Famoussa Siby