S’achemine-t-on vers la fin de l’immunité dont a jusqu’ici bénéficié le président rwandais, malgré son implication avérée et documentée dans la guerre qui secoue l’est de la République démocratique du Congo (RDC). C’est peut-être trop tôt pour se réjouir du réveil de la communauté internationale. Mais au moins, on peut noter que les lignes commencent à bouger contre le parrain des rebelles du M23. En effet, après les Etats-Unis, la semaine dernière, c’est l’Union européenne qui vient de s’accorder sur la nécessité de dire stop au Rwanda dans son appui actif au mouvement rebelle et son agression contre son voisin. Avec à la clé des menaces de sanctions. Manifestement, le mythe Kagamé est en train de tomber.
Un réveil pour conjurer un embrasement régional
Le président congolais voudrait à coup sûr s’attribuer le mérite de cette nouvelle donne diplomatique. Il est vrai qu’à travers notamment sa cheffe de la diplomatie, la RD Congo s’est dernièrement livrée à un intense plaidoyer à l’international. Cependant, ce qui semble avoir fondamentalement décidé la communauté internationale à sortir de sa torpeur, c’est moins les complaintes de Félix Tshisekedi que les menaces d’une déflagration régionale. La prise de Goma, celle de Bukavu et le fait que les rebelles et leurs soutiens semblent vouloir étendre leurs conquêtes au-delà de ces provinces ont en effet mis en évidence les risques d’un conflit d’une grande ampleur. En particulier, ces derniers jours, les combats se rapprochant particulièrement de la frontière congolo-burundaise, les observateurs n’ont cessé d’alerter sur les risques d’une contagion qui ferait passer le conflit de deux à trois pays. Sans oublier, bien sûr, les rivalités entre nombre d’acteurs régionaux et internationaux impliqués à différents degrés dans cette crise. Bref, pour éviter d’avoir à gérer un embrasement général dans une région à la stabilité plus que précaire, le monde décide de prendre ses responsabilités.
L’UE envoie un coup de semonce en direction de Kigali
Mais bien évidemment, ce sont les Etats-Unis qui ont donné le ton, avec les sanctions annoncées la semaine dernière contre James Kabarebe, ancien ministre de la Défense du Rwanda, par ailleurs conseiller du président Paul Kagamé. Des sanctions que l’Oncle Sam avait également adopté contre Lawrence Kanyuka, le porte-parole politique du M23. Eh bien, hier lundi 24 février, c’était au tour de l’Union européenne, poussée par la Belgique et l’Allemagne, de s’accorder sur le principe d’envoyer un coup de semonce en direction de Kigali. Pour le moment, Bruxelles se garde de faire comme Washington. Réunis dans la capitale belge, les ministres des 27 pays de l’UE ont décidé de la suspension du dialogue politique avec le Rwanda, dans ses volets relatifs à la défense et à la sécurité. Ils décident en outre du réexamen du mémorandum d’entente sur les matières premières stratégiques conclu avec Kigali il y a un an. Si ces mesures peuvent paraîtres symboliques, il importe de noter que la première va priver le Rwanda de l’assistance militaire et sécuritaire de l’UE, alors qu’en vertu de la seconde, le Rwanda ne pourra plus approvisionner l’Union européenne en minéraux critiques tel que le coltan et d’autres ressources. En d’autres termes, le Rwanda pourrait être affectée en termes de recettes financières. Et si ces avertissements n’étaient pas pris au sérieux par le Rwanda, l’UE se réserve le droit de mettre en branle des sanctions ciblées contre neuf personnalités rwandaises. Paul Kagamé étant sommé de donner des gages de bonne foi d’ici au prochain sommet ministériel des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le 28 février prochain.
Tshisekedi fragile, les adversaires sortent de tous les côtés
Au-delà de la nature des mesures déjà prises ou de celles annoncées, on peut constater une véritable évolution de la part de la communauté internationale. Il y a quelques semaines en effet, on ne citait même pas nommément le Rwanda, dans les communiqués issus des conclaves diplomatiques, aussi bien en Afrique qu’ailleurs dans le monde. Mais désormais, on appelle clairement le pays de Kagamé à retirer ses troupes de la RDC et de cesser son soutien aux troupes rebelles. C’est là un virage important. Mais il faudra attendre d’évaluer l’impact de cette nouvelle dynamique, au-delà des discours et des résolutions. Et c’est pourquoi de l’autre côté de la frontière, Félix Tshiskedi doit toujours privilégier le dialogue avec tous les acteurs, y compris le M23. Parce qu’avec la dernière tribune signée par l’ancien président Joseph Kabila, on sent un nouveau front poindre, plus politique celui-là. Le sentant fragilisé et dans le creux de la vague, les adversaires sortent opportunément de tous les côtés. D’où l’intérêt pour lui de calmer au plus vite le front dans l’est du pays, pour mieux faire face ensuite à la bataille politique.
Boubacar Sanso Barry