Pour l’heure, l’optimisme règne autour de la déclaration de principes signée samedi dernier entre la République démocratique du Congo (RDC) et l’AFC/M23. La médiation qatarienne tout d’abord y voit un succès diplomatique, même éphémère. Les autorités congolaises, de leur côté, espèrent que cette déclaration conduira à une cessation des hostilités, leur permettant de poursuivre sereinement l’agenda du troisième mandat. Les rebelles du M23, quant à eux, se félicitent d’avoir obtenu le statut d’interlocuteur direct de Kinshasa, alors qu’ils étaient jusqu’ici présentés comme de simples supplétifs du Rwanda. Pourtant, cette déclaration, tout comme l’accord de paix qui pourrait en découler, a peu de chances de ramener une paix durable dans l’est de la RDC. Et pour cause : les causes profondes de la crise qui secoue cette région depuis près de trois décennies n’ont même pas été abordées lors des discussions à Doha. Si les différentes parties ont accepté de s’engager, c’est davantage pour répondre aux pressions de Washington que par réelle volonté de faire les concessions nécessaires à la restauration de la stabilité.
Le document signé sous l’égide du Qatar définit pourtant certaines conditions d’un retour effectif à la paix. Il prévoit notamment la restauration de l’autorité de l’Etat congolais dans les zones actuellement contrôlées par les rebelles du M23. Mais cette restauration est conditionnée à la résolution des « causes profondes » du conflit, un objectif qui reste aujourd’hui hors de portée.
Parmi les principaux facteurs structurels du conflit qui déchire les régions orientales du pays figure la faiblesse chronique de l’Etat congolais. Dans les zones en crise, cet Etat est quasi inexistant, tant sur le plan militaire que dans la mise en œuvre de politiques publiques. Face aux avancées fulgurantes du M23 de ces dernières années, les autorités ont dû faire appel à des mercenaires surcotés et à des groupes armés tels que les Wazalendo. Aucun accord de paix ne saurait combler cette fragilité institutionnelle, d’autant qu’elle est aggravée par une instabilité politique persistante.
Laissée exsangue par trois décennies de gestion erratique sous Mobutu, la RDC n’a pas connu depuis de rupture véritable. De Laurent-Désiré Kabila à Félix Tshisekedi, en passant par Joseph Kabila, les dirigeants successifs n’ont pas véritablement œuvré pour instaurer une gouvernance stable. Comme souvent ailleurs sur le continent, la priorité semble avoir été le maintien au pouvoir, plutôt que la consolidation de l’Etat.
Un autre élément central à la paix dans l’est du pays concerne le rôle des voisins : le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda. Si avec le premier, un accord a récemment été signé sous l’égide des Etats-Unis, les deux autres ne sont pris en compte par aucun processus. Ni celui de Washington ni celui de Doha ne les intègre réellement. Pourtant, au regard des enjeux transfrontaliers, notamment économiques, sécuritaires et ethniques, il semble illusoire de vouloir stabiliser la région sans impliquer pleinement ces acteurs régionaux. Richesses minières, tensions communautaires, histoires entremêlées : tout les lie à la RDC.
L’implication de ces voisins est d’autant plus cruciale que les groupes armés créés dans l’est de la RDC ont souvent recours à ces pays comme bases arrière. Cette réalité est facilitée par la proximité des communautés ethniques de part et d’autre de frontières artificielles, héritées de la colonisation. Ainsi, tant que ces dynamiques régionales ne sont pas prises en compte, les tentatives de paix risquent de demeurer incomplètes.
En somme, les différents acteurs semblent s’être laissé bercer par une illusion. Car à l’instar des nombreux accords signés par le passé, celui auquel pourrait aboutir le processus de Doha ne changera probablement rien à la réalité dramatique de l’est de la RDC. Pensé et piloté par des puissances extérieures, étrangères tant au Congo qu’à l’Afrique, il répond avant tout à des logiques diplomatiques et géostratégiques qui ignorent les véritables racines du conflit. Ce type d’accord, déconnecté des réalités locales, ne saurait guérir un mal dont le diagnostic lui-même est éludé. C’est pourquoi il ne devrait en aucun cas dispenser les Congolais de se parler entre eux. Car seule une dynamique endogène, fondée sur l’écoute, la reconnaissance mutuelle et la volonté de panser les plaies profondes héritées de décennies de conflits, pourra offrir une chance réelle à la paix. Faute de quoi, le processus de Doha ne sera qu’un énième mirage dans un désert de violences, d’injustices et de souffrances oubliées.
Boubacar Sanso Barry