Alassane Ouattara est donc candidat pour un nouveau mandat, le quatrième. Si l’annonce faite ce mardi 29 août via les réseaux sociaux ne surprend guère, les observateurs attendaient tout de même de connaître le prétexte que le président ivoirien allait invoquer pour justifier cette nouvelle candidature. Car on se doutait bien que l’exercice ne serait pas aisé pour celui qui, il y a cinq ans, justifiait déjà son maintien au pouvoir par un « sacrifice » nécessaire. Eh bien, dans son discours d’annonce, le président ivoirien est apparu mal à l’aise. Convoquant des arguments tirés par les cheveux et d’une pertinence pour le moins douteuse, il a clairement laissé transparaître un certain embarras. Mais comme souvent chez nos dirigeants africains, il a préféré faire fi de tout cela, quitte à glisser vers le côté sombre de l’histoire et à exposer son pays à de nouvelles incertitudes.
Alassane Ouattara piétine sa parole d’honneur
Soyons clairs : cette candidature d’Alassane Ouattara n’a rien d’illégal. En vertu de la révision constitutionnelle opérée en 2016, il a bien le droit, juridiquement parlant, de briguer un nouveau mandat. Mais sur le plan moral, c’est une tout autre affaire. Car c’est sa parole d’honneur que le président ivoirien engage, et qu’il piétine en sollicitant un nouveau bail à la tête du pays. Déjà en 2020, pour justifier son troisième mandat, il s’était abrité derrière la mort soudaine de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly. Il avait ensuite évoqué la nécessité d’un renouvellement générationnel, promettant de ne pas dépasser 15 ans au pouvoir.
Mais voici qu’il renie aujourd’hui ces engagements, sans sourciller. Et c’est bien là le cœur du problème : cette facilité qu’ont nombre de nos dirigeants de se dédire, de promettre une chose aujourd’hui pour faire exactement le contraire le lendemain. Une pratique qui n’honore ni leurs personnes ni nos nations, et qui contribue à ancrer l’image d’une Afrique politique instable, fourbe, peu fiable. Cette manière d’assimiler la politique à l’art de trahir les principes, de manipuler les textes et de berner les peuples, alimente le mépris que beaucoup nourrissent à l’égard du continent. Alassane Ouattara, tout comme Paul Biya au Cameroun ou Faustin-Archange Touadéra en Centrafrique, peut bien triompher dans les urnes. Mais chacun, à sa manière, contribue à dévaluer un peu plus l’idée même de démocratie en Afrique.
Des arguments potentiellement dangereux
Dans le cas précis du président ivoirien, les arguments avancés pour justifier cette nouvelle candidature sont non seulement faibles, mais potentiellement dangereux. Ainsi, lorsqu’il déclare : « Le devoir peut parfois transcender la parole donnée de bonne foi », on est en droit de s’inquiéter. Quelle légèreté ! Un tel propos pourrait être repris par n’importe quel dirigeant souhaitant s’éterniser au pouvoir. Et que dire de l’autre justification, selon laquelle son expérience personnelle serait le seul rempart contre les défis sécuritaires, économiques et monétaires ? Un argument bancal, d’autant plus que le même Ouattara plaidait il y a quelques années pour un âge plafond de 70 ans pour les candidats à la présidentielle. Cette volte-face démontre à quel point certaines promesses n’étaient, au fond, qu’un écran de fumée.
La Côte d’Ivoire, une « fiction démocratique »
Mais il faut surtout dire au président que, bien plus que la menace terroriste qu’il évoque, c’est sa candidature elle-même qui constitue un facteur d’instabilité pour la Côte d’Ivoire. Elle alimente l’idée que la démocratie n’est ici qu’un simulacre, une illusion. Elle donne raison à ceux qui, au sujet de certains pays africains, parlent de « fictions démocratiques », à l’image du journaliste Ousmane Ndiaye dans son ouvrage ‘’L’Afrique contre la démocratie : mythes, défis et péril’’ (éd. Riveneuve). Car, rappelons-le, avant même d’annoncer sa candidature, Alassane Ouattara s’est assuré que ses véritables challengers soient écartés de la course : ni Tidjane Thiam, ni Laurent Gbagbo, ni Guillaume Soro ne prendront part à l’élection. En somme, il se prépare une élection qu’il est sûr de remporter, car quasiment seul en lice.
Alassane Ouattara se dirige ainsi vers une victoire sans adversaire, mais aussi sans honneur. En voulant s’ériger en ultime recours, il trahit ses propres engagements et affaiblit les fondements démocratiques de son pays. Ce quatrième mandat, même légal, restera une tache morale, une victoire à la Pyrrhus qui pourrait coûter cher à la stabilité et à la crédibilité de la Côte d’Ivoire. A moins que les Ivoiriens, dans un ultime sursaut salutaire, ne s’érigent en rempart contre cette prise en otage de leur destin.
Boubacar Sanso Barry