Ainsi donc, le tant attendu procès sur les exactions commises dans l’enceinte du stade du 28 septembre va pouvoir s’ouvrir ce mercredi. Echaudés par les nombreuses annonces demeurées sans suite du temps du président Alpha Condé, les Guinéens ont failli ne pas croire cette fois encore. Mais là, le procès va bien s’ouvrir. Un nouveau tribunal flambant neuf a été construit et meublé à cet effet. Et les prévenus, à commencer par le capitaine Moussa Dadis Camara, sont bel et bien là. D’ailleurs, l’ancien chef de la junte au moment des faits et cinq de ses coaccusés ont passé la nuit de ce mardi en prison. Incroyable, mais vrai ! L’évènement est d’une telle portée que le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) ne veut pas se le conter. Karim Khan est arrivé à Conakry hier à la tombée de la nuit. Tout semble donc prêt pour un procès inédit. C’est en tout cas l’espoir que les victimes des odieux événements du 28 septembre 2009 et plus globalement tous les Guinéens nourrissent. Pourvu qu’il en soit ainsi !
Rendez-vous avec l’histoire
Si le capitaine Moussa Dadis Camara joue son destin dans ce procès, la justice guinéenne, de son côté, a rendez-vous avec l’histoire. Elle qui n’a pas toujours été citée en exemple va devoir se surpasser pour combler les immenses attentes. D’autant que les enjeux du procès ne se limitent guère à identifier et condamner les coupables et à panser les plaies physiques et morales des victimes. Pour la Guinée dont l’histoire est jonchée d’événements traumatisants du même type, le procès du massacre du stade du 28 septembre est d’une plus grande portée. S’il est conduit comme il faut, il pourrait passer pour un événement fondateur dans la marche de la Nation Guinée. Et c’est là une responsabilité historique dont les magistrats en charge de le piloter doivent s’imprégner. Ils doivent faire en sorte que dans ce pays, il y ait un avant et après ce procès. A l’issue de l’aventure qui commence ce mercredi, personne ne devrait plus dans ce pays, se sentir suffisamment fort de son statut pour nier à son prochain les droits qui lui sont reconnus. De même, dorénavant, les victimes ne devraient plus douter en allant au-devant de la justice. Dans la mesure où il y a toujours eu une certaine appréhension à se saisir des épisodes sombres de l’histoire du pays, ce procès devrait aider à dédramatiser les choses et à faciliter ainsi la mise en place d’un processus de réconciliation qui manque tant à la Guinée. Mais encore une fois, tout cela dépendra du sentiment que les Guinéens et le monde entier auront du travail qui aura été accompli. D’où la responsabilité majeure de la justice.
La sécurité de A à Z
L’autre acteur dont le rôle sera déterminant pour la réussite ou non du processus qui commence ce mercredi, ce sont les autorités de la Transition elles-mêmes. Certes, on se doit de saluer et féliciter le colonel Mamadi Doumbouya et son ministre de la Justice pour la diligence qui a été imprimée à ce dossier ces dernières semaines. Sans cette volonté politique amplement exprimée et qui se traduit aujourd’hui sur le terrain, on n’en serait pas là. Mais pour les autorités, le défi est de faire en sorte que cette volonté puisse demeurer jusqu’au bout. Cela suppose en tout premier lieu que les conditions sécuritaires soient garanties pour la sérénité des débats, de bout en bout. De fait, il ne faut pas perdre de vue que les prévenus relèvent de la grande muette à l’intérieur de laquelle ils doivent encore avoir des partisans. S’y ajoute qu’en ce qui concerne tout particulièrement le capitaine Moussa Dadis Camara, il est en outre un acteur politique et un leader symbolique auquel s’identifient également des militants. Enfin, un tel procès requiert que l’on garantisse la sécurité aux victimes dont les témoignages sont indispensables à la manifestation de la vérité.
Agenda politique
Il est aussi à espérer des autorités qu’elles ne se servent guère de ce procès ni pour faire les yeux doux à la communauté internationale, ni pour régler des comptes. En effet, dans la mesure où ce jugement était attendu et désiré par le monde entier, il serait tentant pour la junte au pouvoir, aujourd’hui en délicatesse avec la communauté internationale, d’essayer de s’en servir avec l’espoir que cela puisse faire oublier le reste. D’une part, la manœuvre serait vouée à l’échec. De l’autre, cela ferait perdre à la Guinée une formidable opportunité de faire face à son passé. Il serait tout aussi vain d’inscrire ce procès dans un quelconque agenda politique notamment pour allonger la durée de la Transition ou faire porter le chapeau à des acteurs perçus comme gênants. La douleur des victimes et l’intérêt supérieur de la Guinée devraient être les seuls facteurs à prendre en compte. Autrement, tout l’espoir qui s’exprime dans le sillage de l’ouverture de ce procès pourrait bien donner lieu à un gros flop. Un autre rendez-vous manqué. Ce que bien sûr, personne ne souhaite.
Boubacar Sanso Barry