Certes, Aly Touré, le procureur spécial près la Cour de répression des infractions économiques et financières (CRIEF) n’exerce que son droit. Mais le fait pour lui de s’opposer aussi systématiquement aux quatre décisions de mise en liberté de l’ancien premier ministre rendues par les juges instructeurs, commence à susciter une certaine suspicion. Ce n’est peut-être pas de l’acharnement, comme le disent les avocats de Don Kass. Mais il est possible que ce soit là une manifestation de la peur du camouflet et du désaveu de la part du procureur en question.
Il faut dire que dans la rhétorique politico-judiciaire en vigueur depuis le 5 septembre 2021, Kassory Fofana, ce n’est pas que l’ancien premier ministre. C’est le symbole de l’échec du pays qu’on impute indistinctement à tous ceux qui ont géré avant l’avènement du CNRD. Il s’en suit que si celui-ci devait s’en sortir, c’est la légitimité de ce discours simpliste qui s’en trouverait affectée. C’est donc à l’aune de cette peur bleue qu’il faut comprendre l’attitude du procureur spécial de la CRIEF. Ayant toujours assuré disposer d’éléments susceptibles de confondre ceux qui sont détenus à la Maison centrale, Aly Touré a conscience du risque qu’il court si on venait à le désavouer, en démontrant qu’il a davantage fait dans la surenchère. Au-delà de sa personne, c’est à toutes les autorités de la transition qu’il ferait courir le risque. D’autant que les tenants de la thèse de l’acharnement et du règlement de compte politique ne manqueraient pas de profiter de l’occasion.
Mais à priori, le procureur ne fait que différer l’inéluctable. En tout cas, à ce rythme, c’est la Cour suprême dont les décisions sont insusceptibles de recours qui devrait trancher. Or, dans son ordonnance de ce 1er décembre, la chambre de contrôle de l’instruction est sans équivoque. « Les procès-verbaux issus de la commission rogatoire suite à un réquisitoire supplétif n’ont mis en exergue aucun nouvel élément grave et concordant motivant la détention de Ibrahima Kassory Fofana », disent en effet les juges instructeurs. S’y ajoute, selon eux, que « le rapport médical établi par l’administration pénitentiaire fait état d’une détérioration de la santé physique de l’inculpé, l’exposant à des risques graves ». Les extraits-ci de cette ordonnance sont d’autant plus défavorables au procureur spécial qu’il avait dernièrement assuré disposer de nouveaux éléments susceptibles de justifier le maintien en détention de l’ancien locataire du palais de la colombe. Le contraste entre l’assurance qu’il renvoyait alors et la conclusion à laquelle sont ainsi arrivés les magistrats est tel qu’on peut penser qu’Aly Touré fait dans le déni. Qu’ayant sans doute fait monter les enchères, il peine aujourd’hui à admettre que ce soit lui qui est en passe d’être confondu. Surtout que cela signifierait aussi qu’il ait induit le président de la Transition en erreur. Ce dernier ‘’crime de lèse-majesté’’ fait en particulier peur. Dans nos pays, ce n’est jamais bien de donner au chef l’occasion de douter de vous. Aly Touré sait bien cela.
Pourtant, on n’en est pas si loin. Car c’est bien ce doute qui sous-tend la volonté du ministre Charles Wright d’amender les textes fondateurs de la CRIEF. D’autant que les réformes en question sont guidées essentiellement par le désir d’instituer un procureur de second degré. Une manière de rogner les attributs de ‘’toute-puissance’’ que revêt aujourd’hui le pouvoir d’Aly Touré.
Boubacar Sanso Barry.