Poussée vers la sortie en Centrafrique, au Mali et au Burkina Faso, la France ne peut plus faire l’impasse sur le rejet de sa présence militaire en Afrique. Au contraire, c’est un sujet sensible auquel il lui faut faire face avec lucidité. Et c’est ce par quoi s’explique la visite que le ministre des Armées, Sebastien Lecornu, vient d’effectuer en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Conformément aux objectifs définis en juillet dernier par Emmanuel Macron, en vue de ‘’repenser’’ le dispositif militaire français sur le continent, le ministre des Armées veut trouver une formule qui, d’une part, permette de maintenir le lien avec l’Afrique, et d’autre part, prenne en compte une nouvelle donne marquée par l’émergence de nouvelles puissances et une Afrique plus soucieuse du respect de ses choix et de sa souveraineté. Or, en croire certaines pistes mises en avant par Sebastien Lecornu, il n’est pas sûr qu’il ait compris les véritables enjeux de la nécessaire évolution.
En Côte d’Ivoire, le ministre français des armées a projeté en effet une coopération militaire franco-africaine à l’intérieur de laquelle, la présence des militaires français serait moins visible, moins intrusive aux yeux des dirigeants africains, qu’elle ne l’est aujourd’hui. Il est vrai que c’est une recommandation autour de laquelle s’accordent quasiment tous ceux qui réfléchissent sur la question. Mais Sebastien Lecornu propose pour cela que l’intervention des soldats français soit davantage réorientée vers la formation des unités africaines. Or, il se trouve que ce modèle-là est justement un de ceux que l’on rejette. Parce que d’une part, au sein de la hiérarchie des armées africaines, on est arrivé à la conclusion que ces formations courte durée dispensées par des coopérants français n’ont qu’un impact très limité, notamment quand il est question de faire face à de redoutables ennemis à l’instar des djihadistes qui sèment aujourd’hui la terreur dans le Sahel. D’autre part, le modèle des formations dont il est question a tendance à reproduire la logique qui confrère au formateur français le statut du ‘’grand-frère’’. Or, les soldats africains souhaitent qu’ils soient de simples ‘’frères d’armes’’ à leurs collègues français.
En réalité, pour réussir la transformation de sa relation avec l’Afrique, la France doit s’efforcer d’écouter cette dernière sans à priori. Il lui faut attendre que l’Afrique lui fasse part de ses besoins et que le dialogue se fasse sur cette base. Ainsi, ressort-il de l’avis de nombre d’observateurs que l’Afrique souhaite qu’au modèle qui a jusqu’ici prévalu et qui a essentiellement reposé sur l’appui conseil, la formation et l’entrainement, on substitue celui comprenant notamment le financement, l’équipement, le renseignement et l’appui feu, si nécessaire. En gros, les Africains veulent être acteurs de la sécurité de leurs pays et de la défense de l’intégrité de leurs territoires. La France peut bien appuyer, mais surtout pas les supplanter ou leur dicter la marche à suivre. Bien sûr, elle peut par contre exiger que son appui ne serve pas nourrir des tendances autoritaires et dictatoriales.
Mais l’évolution que l’on attend de la France se situe aussi au niveau politique. Bien sûr, on a pleinement conscience que l’obsession avec laquelle les autorités françaises tiennent à un garder un pied en Afrique découle d’intérêts à sauvegarder et d’une influence à préserver. Mais cela ne justifie nullement que la France use de sa présence militaire pour défendre des régimes en déphasage avec les peuples africains. Or, on a vu cela notamment au Tchad. D’ailleurs, cela se poursuit encore aujourd’hui dans ce pays, mais aussi dans d’autres pays de l’Afrique centrale notamment. Aussi longtemps que la France continuera à parier davantage sur les dirigeants que sur les peuples, elle prêtera le flanc à toutes les accusations qu’on lui porte aujourd’hui dans les rues de Bamako, Ouaga, Dakar et Abidjan.
Boubacar Sanso Barry