Si son statut de puissance économique régionale n’est pas usurpé et que sa réputation de géant culturel est pour sa part établie, il y a que le Nigéria sur le plan politique demeure confronté à des défis d’envergure. L’incertitude dans laquelle le pays est plongé depuis l’élection de samedi dernier est en soi une illustration. Quatre jours après, les résultats du scrutin ne sont toujours pas disponibles. Pour un pays de la trempe du Nigéria, ce n’est pas honorable. Et le fait que cela pourrait être dû à des défaillances du système électronique de remontée des données n’est pas une excuse acceptable. Encore que ce n’est pas une raison pour que des candidats, perturbés par la perspective de leur échec, s’amusent à proférer avec une certaine légèreté des accusations de fraude qui risquent de précipiter le pays dans un tourbillon de violences dont on ne saurait comment sortir. Avec la tension qui prévaut déjà dans le pays, sous-tendue autant par la méfiance entre les différents acteurs que par les nombreuses crises notamment économique et sécuritaire, les responsables politiques devraient faire montre de sens de responsabilité et de hauteur de vue.
Processus laborieux
Le processus de publication des résultats de l’élection présidentielle par la commission électorale est certes laborieux. Mais on n’est plus loin de la ligne d’arrivée. Déjà, les résultats du territoire de la capitale Lagos et de 31 des 36 Etats que compte le Nigéria sont disponibles et divulgués. Ces premiers résultats partiels mettent en évidence un trio de tête composé de Bola Tinubu, le candidat du parti au pouvoir, de Atiku Abubakar, du Parti démocratique du peuple (PDP) et de Peter Obi, le surprenant candidat du Parti travailliste (LP). Mais déjà, les deux derniers contestent l’honnêteté des résultats publiés par l’INEC et crient à la fraude et à la manipulation des données. Animant une conférence de presse conjointe ce mardi 28 février, ils vont même jusqu’à appeler à l’annulation du scrutin et à sa reprise.
Rendre compte
Il est vrai que le retard qui a caractérisé le décompte et la compilation des résultats n’est pas de nature à rassurer. Et bien sûr des responsables vont devoir rendre des comptes. En effet, comment a-t-on fait le choix de généraliser le déploiement de ce système électronique de gestion des résultats, sans s’être préalablement assuré que celui-ci fonctionnait normalement ? Est-ce uniquement les enjeux de transparence et de rapidité du scrutin qui ont motivé ce choix ? Des enquêtes devraient aider à répondre à ces questions. Parce qu’en Afrique, il y a une telle frénésie en faveur de la biométrie que certains des promoteurs de ce tout numérique sont certainement mus par des intérêts sonnants et trébuchants. Mais il n’est pas responsable de faire peser à tout un pays les menaces qui planent aujourd’hui sur le Nigéria, juste parce qu’on à cœur de garnir son compte bancaire.
Réflexe de mauvais perdant
L’attitude empreinte de surenchère des partis d’Atiku Abubakar et de Peter Obi n’est pas non plus responsable. Qu’ils veuillent s’assurer de la sincérité des résultats qui sont publiés, cela est tout fait compréhensible. C’est même tout à leur honneur de vouloir s’élever contre les risques de fraude. Mais dans le cas des déclarations émanant des états-majors de ces deux candidats depuis notamment hier, il n’y a pas que principe de précaution et vigilance. Ils font valoir le vieux réflexe du mauvais perdant qui colle à la peau de l’opposant africain. Distancés par leur concurrent du parti au pouvoir, ils instrumentalisent et grossissent à dessein les défaillances du dispositif électronique de l’élection. Ainsi, ils dénoncent des fraudes et une falsification des résultats. Mais on n’a rien de précis. Ils en restent aux généralités. Des généralités – et donc une légèreté – au nom desquelles ils risquent néanmoins de mettre le feu au pays. Les Nigérians dans leur ensemble devraient se ressaisir et leur dire non.
Boubacar Sanso Barry