Le harcèlement est une violence fondée sur des rapports de domination et d’intimidation qui a pour objet ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime et un impact sur la santé physique ou psychique. Le harcèlement est multiforme, mais les plus connus sont : le harcèlement moral, le harcèlement à l’école, le harcèlement professionnel, le harcèlement sexuel, le harcèlement de rue, le cyberharcèlement, le harcèlement physique (ou stalking). Parmi ce lot, nous nous sommes intéressés particulièrement au harcèlement professionnel. Dans le cadre de ce reportage, nous avons rencontré plusieurs personnes qui en sont victimes, mais aussi des activistes des droits des femmes.
Parmi ces personnes que nous avons rencontrées, Rouguiatou Kaba, la vingtaine, en fait partie. Alors qu’elle venait à peine de terminer ses études, cette jeune fille aura l’opportunité de travailler dans une entreprise de la place. Mais cette ambition va se transformer en cauchemar pour Rouguiatou qui sera face à un dilemme : vivre une vie amoureuse avec son patron ou quitter l’entreprise. « Comme ma maman est malade, c’est pourquoi je ne veux pas m’asseoir à la maison aussi. Donc il a dit je vais t’aider, si tu veux, mais à condition que tu sortes avec moi. Je vais te mettre dans les activités qui vont t’apporter de l’argent. Parce que nous on a des activités ici, quand tu sors sur le terrain, ça va t’apporter beaucoup d’argent. En un mois, vous pouvez gagner 40 à 50 millions. Je lui ai dit, voulez-vous m’utiliser à cause de l’argent ? Il a dit, c’est ça, si tu acceptes d’accord, si tu n’acceptes pas, il faut partir. Depuis lors, je n’ai pas été reçue dans son service », relate-t-elle.
Une autre femme sous anonymat (Bintou dans le cadre de ce reportage), a vécu une situation traumatisante dans une entreprise. Alors qu’elle faisait le stage, son superviseur va lui faire vivre l’enfer suite à un refus catégorique qu’elle a opposé aux avances de celui-ci. « Il était présent lors de mon entretien. Lui-même, il m’avait posé certaines questions. Il m’a proposé de sortir avec lui. Je lui ai catégoriquement dit non, tout en lui disant que je préfère qu’on reste professionnels. Depuis lors, ma vie n’a pas été facile dans cette boîte », explique-t-elle. » mes patrons avaient décidé de me laisser entrer chez-moi à partir de 16h30 ou 17h pour ne pas me faire agresser dans mon quartier. Mais depuis que lui, il m’a proposé de sortir avec lui, quand je prenais mon sac à 16h, il me faisait retourner en disant que je ne suis pas supérieur aux autres, que les autres quittent à 18h, pourquoi pas moi », poursuit-elle.
Face à ces multiples provocations, Bintou en aura ras-le-bol finalement et va piquer une colère noire. C’est ainsi qu’une discussion va éclater au bureau et elle découvre que l’homme en question était loin d’être un superviseur dans cette boîte, mais plutôt un technicien. « Un jour, j’ai eu ras-le-bol de ces chantages, j’ai pété les plombs avec lui. C’est là qu’une collègue a remarqué qu’on discutait, elle est venue vers moi pour me demander ce qui se passait. Pour un début, je ne voulais rien dire, mais après, je lui ai expliqué. C’est là qu’elle m’informe que le monsieur n’est pas superviseur, mais un simple assistant au service technique », indique Bintou.
M. Camara, enseignant, fait partie de ces rares hommes victimes d’une accusation de harcèlement. Lui, il a été accusé par une de ses élèves. Une accusation qui va se révéler fausse, mais cet enseignant dit être marqué à jamais par cette affaire. « J’ai failli perdre mon boulot pour ça parce que la fille, elle m’a accusé d’une chose qui est tellement grave que je ne savais même pas comment m’en sortir. Ses parents sont venus dire que j’ai harcelé leur fille raison pour laquelle j’ai fait redoubler leur enfant. J’ai été suspendu quelque temps. C’est pendant ce temps qu’une de ses camarades est venue la dénoncer à la direction avec les preuves à l’appui. Elle a fini par avouer et j’ai été blanchi, sinon j’allais perdre mon boulot gratuitement », fait-il savoir.
Dans de nombreux cas, ces femmes victimes de harcèlement font face à une réalité complexe. Elles sont souvent ignorées lorsqu’elles expliquent leur mal. Une situation que Aminata Pilimini Diallo, activiste des droits femmes dénonce avec force. « surtout en milieu scolaire, quand une femme dit qu’elle est harcelée, les premières réactions, ils vont dire, pourquoi tu t’es habillée comme ça ? C’est parce que tu n’étudies pas en classe, c’est parce que c’est toi qui a provoqué. C’est là que, malheureusement, notre société fait pitier, notre société ne prend pas en considération ce que la femme dénonce, les violences faites aux femmes en général, pas que le harcèlement », dénonce-t-elle. « Beaucoup de personnes considèrent la femme comme un être inférieur, comme un être vulnérable. Cela peut expliquer le harcèlement sur la femme. Que ce soit en milieu scolaire, professionnel, dans la rue, on sexualise la femme. Partout où elle est, on pense qu’on peut la toucher. Se jeter sur elle, on peut lui dire des mots sexuels », souligne Pilimini Diallo.
Cependant, poursuit, l’activiste, le harcèlement est un phénomène puni par les lois guinéennes. Le code pénal de 2016 dans les articles 278 et 279, stipule : Le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est puni d’un emprisonnement de 6 mois à 2 ans et d’une amende de 500.000 à 1.000.000 de francs guinéens.
Malgré l’existence des textes et lois punissant le harcèlement, le phénomène persiste toujours. C’est pourquoi notre interlocutrice invite les femmes à briser le silence devant un cas. « aux femmes victimes de harcèlement, c’est de ne pas accepter de céder. On n’est pas femme pour être victime. On n’est pas femme pour accepter que la société nous mette dans un cercle qui va briser notre force morale qui va entacher notre santé mentale. Parce que le harcèlement ça touche beaucoup la santé mentale de nombreuses femmes », a invité Aminata Pilimini Diallo.
D’après les résultats de l’Enquête démographique et de Santé réalisée en Guinée par afrobaromètre, en 2023, l’Office de Protection du Genre, de l’Enfance, et des Mœurs n’a enregistré que 205 cas de viols et 14 cas d’harcèlement (Sow, 2023), ce qui suggère que de nombreux cas de VBG ne sont jamais signalés.
Djenaba Mara