En dépit des réserves et des doutes émis çà et là quant à la capacité des initiatives en cours, aussi bien à Washington qu’à Doha, à restaurer la paix dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), force est de reconnaître que certains progrès ont été réalisés. Parmi eux, on peut citer la première réunion du Comité conjoint de suivi de l’accord de paix du 27 juin dernier entre la RDC et le Rwanda, tenue le 31 juillet 2025 à Washington. Le lendemain, toujours sous l’égide des Etats-Unis, les deux pays s’engageaient en faveur d’une dynamique d’intégration économique régionale, découlant elle aussi de l’accord signé en juin. Il y a donc, de toute évidence, une volonté d’avancer vers la paix. Toutefois, le procès récemment engagé contre l’ancien président Joseph Kabila devant la Haute Cour militaire pourrait bien remettre en cause cette tendance positive. Ce procès symbolise, en effet, un décalage préoccupant entre les efforts impulsés par des acteurs extérieurs et la marginalisation des initiatives internes.
Washington, Doha, et dans une moindre mesure l’Union africaine, suffiront-ils à construire durablement la paix dans l’est de la RDC ? Et surtout, cette paix pourra-t-elle s’imposer contre la volonté ou l’inertie des acteurs locaux ? Telles sont les interrogations qui s’imposent. Du côté congolais, notamment, le contraste est frappant. Autant Félix Tshisekedi est actif sur la scène internationale, autant il semble faire la sourde oreille aux initiatives locales de cessation des hostilités. A croire que, maintenant qu’il a attiré l’attention de Donald Trump – à qui il a remis les clés des mines congolaises – il n’a plus besoin de personne. Pas même des médiateurs de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de l’Eglise du Christ au Congo (ECC). Depuis l’entrée en jeu de Washington, l’offre de dialogue portée par ces leaders religieux semble avoir été reléguée au second plan. Pourtant, leur démarche avait le mérite d’être inclusive, en allant à la rencontre de toutes les parties.
C’est dans ce contexte de banalisation des efforts locaux qu’il faut situer le procès de Joseph Kabila. Certes, il faut admettre que ces poursuites ne sont pas totalement injustifiées, tant ses agissements récents sont loin de ceux que l’on attend d’un ancien président, surtout lorsque son pays est agressé. Son séjour récent à Goma, alors que la ville est contrôlée par les rebelles de l’AFC/M23, tend à renforcer les accusations portées contre lui.
Pour autant, la décision des autorités de le poursuivre et très probablement de le condamner ne contribuera en rien à la paix. Bien au contraire, elle risque d’attiser les tensions et les frustrations, non seulement chez l’ancien président lui-même, mais aussi dans les rangs de ceux qui continuent de se reconnaître en lui. Et ces nouvelles frustrations ne peuvent que nourrir davantage le climat de malaise généralisé.
D’un point de vue stratégique, une autre approche aurait pu être envisagée. Après la levée de son immunité parlementaire, les autorités congolaises auraient pu se contenter de brandir la menace de poursuites, laissant planer une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Dans le contexte actuel, cette stratégie aurait pu se révéler plus efficace, notamment grâce au soutien américain, dont l’effet dissuasif aurait été plus grand. Mais maintenant que Kinshasa est passé à l’acte, Joseph Kabila se retrouve acculé. Tel un fauve traqué, il pourrait être tenté de riposter. En agissant ainsi, les autorités congolaises en font elles-mêmes une menace potentielle à la paix qu’elles cherchent par ailleurs, à instaurer. Et ce, parce qu’elles se croient peut-être trop fortes, galvanisées par leur nouveau partenaire américain, au point de verser dans un excès d’arrogance.
Boubacar Sanso Barry