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La musique guinéenne conquiert-elle le monde ? L’analyse de Justin Morel Junior

La musique guinéenne, plutôt cantonnée dans les limites des frontières nationales depuis le virage politique de 1984, semble aujourd’hui reprendre à la fois du souffle et de l’expansion. Des artistes comme Saifond Baldé, Djelykaba Bintou, Azaya ou Soul Bang’s, pour ne citer que ceux-là, qui se produisent désormais à l’étranger dans des salles prestigieuses telles que le Grand Aréna de Paris, témoignent d’une vitalité et d’une créativité qui attirent l’attention internationale. Ce mouvement n’est pas le fruit du hasard : il reflète des décennies de transformations culturelles et l’émergence de talents. Pour décrypter cette évolution et comprendre comment la Guinée s’impose progressivement sur la scène musicale internationale, nous avons rencontré Justin Morel Junior, ancien ministre et acteur majeur du monde culturel guinéen. Dans cet entretien, il nous livre son analyse sur les révolutions musicales guinéennes, l’impact du numérique, et les défis que doivent relever les artistes pour rester authentiques tout en séduisant le public mondial.

Lisez plutôt :

Ledjely.com : Saifond Baldé, Djelykaba Bintou, Soul Bang’s se sont récemment produits à l’étranger. Au-delà, il y a Azaya qui doit se produire le 13 décembre prochain au Grand Aréna de Paris. Et puis, il y a d’autres artistes qui sont soit sur des scènes en dehors du pays, soit sur des médias en dehors du pays. Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

Justin Morel Junior : Il y a un mouvement parce que ces jeunes, venus de divers horizons, ont par leurs propres efforts évolué, positivé, et aujourd’hui s’imposent progressivement sur la scène ouest-africaine, puis sur la scène internationale. Cela est admirable. Cela prouve le nouveau dynamisme de notre culture.

La culture guinéenne a connu globalement, je pense, quatre révolutions. La première, celle de l’indépendance. Puis, la seconde révolution, avec l’avènement des groupes de jeunes, comme Camayenne Sextet, comme Sily Authentic et bien d’autres à l’époque.

Une troisième, avec le retour en 1992 de Sekouba Bambino, qui a déclenché une arrivée, une avalanche de nouveaux talents, dans lesquels vous citerez, entre autres, Fodé Kouyaté, feu Kerfala Kanté, Fodé Baro, Oumou Dioubaté, pour ne citer que ceux-là. Et puis maintenant, depuis que le numérique a envahi le monde, il y a, je dirais, cette révolution numérique, la quatrième révolution de la musique guinéenne, qui va nous permettre, par le jeu des réseaux sociaux, par le jeu des volontés individuelles, de percer sur le plan international. Et c’est évident.

Cette année, j’ai accompagné les artistes guinéens au FEMUA. Et l’explosion était là. La considération était là.

Et nous voyons que Sheba Queen, Queen Rima , et beaucoup d’autres. Et même Yuyu récemment, pour ceux qui sont du monde de la reine de l’Afrique, comme on l’appelle.

Il y a donc ce mouvement qu’il faut admirer. On peut être surpris si on n’a pas fait attention à cette évolution graduelle, mais on peut quand même, après tout, saluer cette nouvelle explosion. Et c’est tant mieux pour la culture guinéenne, c’est tant mieux pour les artistes guinéens.

On avait pensé qu’il y avait peut-être deux grandes époques : celle du premier régime et celle depuis 1984. Et que conséquemment, les gens, sortant subitement du contexte de l’appui de l’Etat, ont mis du mal à s’adapter au libéralisme. Et que c’est ce qui avait créé une espèce de vide, notamment par rapport à à l’arène internationale ?

Non, selon mon expérience personnelle, déjà, au temps de la révolution, il y a eu une seconde révolution. Dans les années 70, les jeunes, comme Camayenne Sextet, Sily Authentic et d’autres groupes, Demba Orchestra, pour ne citer que ceux-là, ont pris conscience qu’il y avait des choses à changer et que leur temps était arrivé.

Et ce temps-là, ils l’avaient saisi. Ils ont été encadrés après par la révolution, mais ils l’avaient saisi. Quand la révolution, à partir de 1984, s’est plus ou moins éteinte, eh bien, le temps des vedettes est arrivé, des stars avec Sekouba Bambino, des individualités. Alors qu’au temps de la révolution, globalement, c’était le temps des orchestres, à part quelques individualités, comme Sory Kandia Kouyaté, Kèlètigui Traoré, ou Pivi Moriba, entre autres. Globalement, c’était le collectivisme. Donc, après ces deux premières révolutions, la troisième dont je vous ai parlé, il restait celle de notre temps.

Et il va arriver dans ce mouvement-là, certainement, celle de l’IA. Parce que de plus en plus, on va être surpris par des artistes qui, n’étant partis nulle part, dans leur petit salon, vont faire des créations qui pourront bouleverser l’échiquier. Donc, il faudrait faire très attention pour ne pas confondre la copie et l’original.

Vous avez parlé de la dimension du numérique comme favorisant l’émergence du monde musical guinéen. Mais ce numérique-là suffit-il à lui seul, ou bien y a-t-il un travail et un effort à faire sur la musique elle-même, dans l’optique de la conquête de l’arène internationale ?

Oui, beaucoup. Parce que la plupart du temps, malheureusement, les artistes ont du succès, mais il y a beaucoup de facilités musicales dans le jeu. Il est important qu’ils se mettent à apprendre sérieusement nos instruments traditionnels : balafon, cora, flûte pastorale, djembé, et j’en passe. S’ils maîtrisent mieux cela, et que dans les arrangements et les compositions qu’ils vont proposer à l’international, la présence de notre authenticité instrumentale est bien là, on pourra considérer cela comme vraiment un progrès réalisé pour le bonheur de la culture universelle.

Donc, la quête de la scène internationale ne veut pas dire négation de l’authenticité de la culture ?

Absolument pas. Je crois que plus ils seront enracinés dans nos valeurs, mieux ils seront exploités.

La valeur d’une cora, d’un balafon, et tous les autres instruments, les carignans et autres, ou trompes forestières, tant qu’ils sauront faire cela et que cette originalité puisse se traduire en authenticité artistique, leur succès, je vous le garantis.

Aujourd’hui, vous avez le phénomène des EP (Extended Play), contre ce qu’on a connu par le passé, les albums. Est-ce que la tendance EP relève d’un phénomène de mode ou bien c’est une espèce de paresse ?

Disons que c’est les deux à la fois. De toutes les façons, même avant, au temps de la révolution, il y avait des artistes qui perçaient avec un succès. Je me rappelle le groupe Temouré de Philippe Kourouma et Malik, c’était avec « Temouré » qu’ils avaient percé.

Et après, tout le monde s’est intéressé à eux. Donc, le fait qu’un titre puisse permettre à un artiste d’exploser n’est pas nouveau. Mais la technique aidant, le numérique aidant, aujourd’hui, on peut accumuler des EP, et à partir de cette accumulation ou de ce cumul, faire un bon album de 10, 12, 15 titres ou plus.

En somme, il y a quelquefois de l’opportunisme. Les artistes se disent : « Pourquoi vais-je me fatiguer à composer 10, 15, 20 titres avant d’aller enregistrer en studio si déjà, avec un titre, je peux percer ? » Prenons par exemple le dernier titre de la jeune Rougui, qui parle de ses yeux qui tremblent. Ce petit titre a éclaté et c’est parti. Et on peut citer même pour Azaya, Djelykaba Bintou, Sekouba Kandia Kouyaté, Sona Tata, et tous ces jeunes qui emportent le vent, ou que le vent emporte, toutes ces choses sont la preuve qu’il y a un dynamisme sérieux et que les artistes guinéens ont intérêt à être plus unis, à être mieux organisés, à être plus structurés.

Et c’est l’occasion vraiment de saluer le travail du ministère de la Culture, sous la direction de Moussa Moïse Sylla, qui a su saisir les opportunités pour porter vraiment sur des fronts importants la culture guinéenne et qui saisit toutes les occasions pour amplifier ses actions. Récemment, donner de nouveaux instruments aux orchestres de Boké, Kindia, N’Zérékoré, et on me dit qu’il y en a au moins une dizaine qui sont prévues. Beaucoup de choses positives s’annoncent dans ce domaine.

Et je me réjouis, en tant qu’ancien ministre de la Culture, de voir que le gouvernement, l’État guinéen, supporte sérieusement ces actions-là.

Vous avez parlé d’organisation et de structuration des artistes. Qu’entendez-vous par là ?

Cela veut dire qu’il faudrait savoir encadrer les productions, ne pas sortir à l’emporte-pièces. Quand on est un artiste musicien qui veut évoluer, il faut une structure qui accompagne, il faut des impresarios, il faut des arrangeurs, il faut un orchestre régulier qui apprenne à jouer vraiment avec nos instruments traditionnels. Pas qu’ils se contentent simplement de la machinerie technique pour profiter des applications musicales et bombarder ça à l’international. Ce qu’il faut, c’est avoir conscience que je représente une culture, et qu’il faut que cette culture soit portée par des valeurs, par une conscience, par des messages, et tout cela ne s’improvise pas.

Il faut donc que les séances de travail, les planifications, les projets tournent autour de la création artistique pour qu’on aboutisse à des choses beaucoup plus structurées, beaucoup plus organisées, qui permettent un développement réel et durable de la culture guinéenne. Je dis et j’en suis convaincu, que notre temps arrive. Il faut saisir cette opportunité et ne pas rester après le départ du train.

Décryptage : N’Famoussa Siby

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