L’Afrique avait déjà ressenti les effets de la guerre russo-ukrainienne avec l’explosion des prix de certains produits importés soit de l’Ukraine ou de la Russie. Il s’agit notamment des engrais ou des céréales dont l’exportation est devenue plus délicate vers en particulier le continent africain. Malgré tout, les Africains demeuraient à une certaine distance de ce conflit impliquant géants du monde. Conscients qu’ils pourraient avoir besoin de tous les blocs, les pays africains trouvaient plus prudent d’observer une certaine neutralité. Même si cette neutralité a été quelque fois décrite comme une infidélité à l’égard de Paris et de Washington. Mais les choses commencent à évoluer. La faute à une imprudence de la diplomatie ukrainienne qui n’a pas résisté à la tentation de faire des commentaires sur la défaite infligée récemment dans la bataille de Tinzaouatène à des soldats maliens et à des mercenaires russes du groupe Wagner. En l’espace de 48 heures, ce désir irrépressible des autorités ukrainiennes de se réjouir a contraint les autorités sénégalaises et maliennes à sortir de la réserve qu’elles observaient jusqu’ici. Le résultat pour l’Ukraine est si contreproductif qu’on se demande si cette exubérance était opportune.
Depuis qu’en juin 2023, des dirigeants africains, à Kiev puis à Moscou, ont échoué à faire accepter leur offre de médiation somme toute symbolique, l’Afrique demeure plutôt observatrice de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Du moins, l’Afrique des palais. Parce qu’autrement, dans la rue et l’opinion publique, les faveurs du continent vont davantage en faveur du camp russe. C’est ainsi que les trois pays en transition dans le Sahel central sont désormais clairement passés sous pavillon de Moscou. Et cela va de plus en plus au-delà des anciennes colonies françaises. Parce qu’on évoque des drapeaux russes brandis par quelques manifestants dans la crise socioéconomique qui plombe depuis quelques jours le Nigéria. Plutôt curieux que l’Ukraine qui se dit victime d’une forme de colonisation ne réussisse pas à séduire des pays africains qui, jadis, ont eux-mêmes subi la colonisation. Et c’est pourquoi les commentaires de Kiev à propos des évènements de Tinzaouatène n’avaient pas leur raison d’être. Déjà qu’ils peinaient à faire le poids face au rouleau compresseur russe en Afrique, les responsables ukrainiens n’avaient à se compliquer davantage les choses comme ils viennent de le faire.
Parce qu’ici, la réaction de Bamako est tout à fait compréhensible. Que les Ukrainiens aient voulu célébrer la défaite des hommes de Wagner, c’est tout à fait légitime, au regard du conflit qui les opposent aux Russes. Mais pour les Maliens, cela revient tout naturellement à applaudir les pertes de leurs soldats. Cela, aucun Etat ayant une once de fierté et d’orgueil ne saurait l’accepter. Par ailleurs, il est vrai que les propos d’Andri Ioussov, des renseignements militaires ukrainiens, ont de quoi semer le doute. Quand, à la suite des événements de Tanzaouatène, vous vous autorisez à déclarer que le « fait que les rebelles aient reçu les données nécessaires qui leur ont permis de mener à bien une opération contre les criminels de guerre russes, a déjà été observé par le monde entier », vous ne devez pas vous étonner qu’on vous soupçonne d’être de mèche avec « rebelles ». En tout cas, à minima, vous devez avoir des informations sur ceux qui apportent les renseignements qui ont pesé. Si on ajoute à cela la vidéo que le représentant de l’Ukraine au Sénégal a partagée, on dit que Kiev a prêté le flanc à ce qui est arrivé. A moins qu’elle ait finalement décidé de transporter la ligne de front sur le terrain africain.
Boubacar Sanso Barry
